À la veille de ce samedi 3 mai, «jour où la liberté de la presse est censée être célébrée, l’Association luxembourgeoise des journalistes professionnels (ALJP) est loin d’avoir le cœur à la fête», s’inquiète l’ALJP. (Photo: Shutterstock)

À la veille de ce samedi 3 mai, «jour où la liberté de la presse est censée être célébrée, l’Association luxembourgeoise des journalistes professionnels (ALJP) est loin d’avoir le cœur à la fête», s’inquiète l’ALJP. (Photo: Shutterstock)

La liberté de la presse au Luxembourg est passée de la 11e à la 13e place dans le classement annuel réalisé par Reporters sans frontières. L’Association luxembourgeoise des journalistes professionnels s’inquiète de ce déclin.

À la veille de ce samedi 3 mai, «jour où la liberté de la presse est censée être célébrée, l’Association luxembourgeoise des journalistes professionnels (ALJP) est loin d’avoir le cœur à la fête. Une fois encore, le Luxembourg recule de deux places dans le classement mondial de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières (RSF), pour se retrouver désormais en 13e position. Ce recul confirme les tendances des années précédentes, et la question se pose à nouveau: pourquoi la liberté de la presse est-elle en déclin au Luxembourg?», interroge l’ALJP suite à la publication, ce vendredi 2 mai, du classement annuel mondial de RSF sur la liberté de la presse.

«La presse luxembourgeoise jouit, en principe, d’une réelle liberté d’exercice, mais la proximité des intérêts des journalistes avec le pouvoir politique et économique limite son expression»,  résume de son côté Reporters sans frontières. En ce qui concerne le contexte politique du Luxembourg, l’organisation note que «pendant longtemps, chaque parti bénéficiait d’un journal ‘d’obédience’ et, bien que ces affiliations aient pris fin, des liens de subordination perdurent de façon plus insidieuse. En règle générale, les médias travaillent de manière indépendante et les journalistes jouissent d’une grande liberté vis-à-vis du pouvoir politique.»

Un projet de loi critiqué par l’ALJP

En 2025, les conditions d’exercice du journalisme sont mauvaises dans la moitié des pays du monde, note RSF, plaçant la Norvège, l’Estonie et les Pays-Bas dans le top 3, et la Chine, la Corée du Nord et l’Érythrée aux trois dernières places. Le Grand-Duché se situe derrière le Liechtenstein et l’Allemagne, la Belgique étant 18e et la France 25e.

«La loi luxembourgeoise garantit la liberté d’expression et la protection des sources. Le gouvernement luxembourgeois a promis aux représentants des médias, pour 2024, une loi garantissant l’accès à l’information publique, limité ces dernières années pour cause de protection des données personnelles. Début 2025, le texte était en discussion au Parlement», ajoute RSF, évoquant le projet de loi 8421 sur la promotion du journalisme professionnel et du débat démocratique.

Un projet de loi qui «constitue une nouvelle déception majeure», répond l’ALJP. «Plutôt que de garantir un réel accès à l’information et de rendre les administrations responsables, c’est la circulaire datant de l’ère  (DP, ndlr) qui a été inscrite dans la loi – et encore, dans une version affaiblie. Pour l’ALJP, cela est inacceptable. Si la loi est adoptée dans cette version, nous ne la considérerons pas comme un véritable accès à l’information – et nous le ferons savoir, tant au niveau national qu’international», prévient l’association. «L’accès à l’information pour les médias reste un combat loin d’être gagné. La coalition bleu-rouge-verte n’a pas réussi à (la) garantir en dix ans de gouvernement.»

Le pays peut effectivement encore aller plus loin. Il faut écouter ce que disent les journalistes, le but est d’avoir un accès facilité aux documents officiels.
Didier Reynders

Didier Reyndersancien commissaire européen à la Justice

Pour RSF, les médias luxembourgeois, «nombreux compte tenu de la taille restreinte du marché national, n’en restent pas moins sous pression, et la petite taille du Grand-Duché favorise les conflits entre le travail de la presse et les divers intérêts économiques. Le secret bancaire et l’évasion fiscale sont longtemps restés tabous dans la presse nationale. Lorsque les révélations journalistiques LuxLeaks ont mis en lumière l’industrie luxembourgeoise de l’optimisation fiscale grâce à deux employés d’un cabinet d’audit, l’un d’entre eux, Raphaël Halet, a été condamné à une amende par le tribunal. En 2023, celui-ci a enfin été reconnu comme lanceur d’alerte par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), qui a condamné le Luxembourg pour violation de la liberté d’expression», se réjouit RSF.

La place de la presse et l’accès aux journalistes aux informations est régulièrement mentionné dans le rapport sur l’État de droit de la Commission européenne. Lors de son dernier passage au Luxembourg , alors en fonction, avait été interrogé par (déi Gréng) sur ce même projet de loi «pour un accès facilité et rapide aux documents officiels aux journalistes professionnels. Mais qui est critiqué par les journalistes eux-mêmes parce qu’il ne mentionne pas de délai pour leur fournir ces informations». Didier Reynders avait alors répondu que «la transparence des administrations a connu des améliorations depuis la publication de nos derniers rapports, mais le pays peut effectivement encore aller plus loin. Il faut écouter ce que disent les journalistes, le but est d’avoir un accès facilité aux documents officiels.»

Privilégier la protection de la presse nationale

L’ALJP salue de son côté le plan d’action pour la protection des journalistes dans son principe. «Mais nous regrettons le manque d’engagement fort du gouvernement à s’attaquer concrètement à plusieurs points essentiels. Par exemple, la directive européenne anti-Slapp (ou procédures-bâillons, ndlr), qui sont utilisées pour réduire au silence journalistes et activistes. Même au Luxembourg, ces plaintes se sont multipliées ces dernières années, mettant en péril les finances des médias, notamment des plus petits. Le risque, c’est l’autocensure.»

«Mais une transposition littérale de la directive ne changerait presque rien à la situation luxembourgeoise. Car celle-ci ne s’applique que lorsque des journalistes ou ONG sont attaqués dans plusieurs pays à la fois. Nous demandons donc avec insistance au gouvernement – en particulier à la ministre de la Justice et déléguée aux Médias, (CSV, ndlr)– de ne pas appliquer la doctrine ‘la directive et rien que la directive’, et de privilégier la protection de la presse nationale.»

Le classement de RSF a été publié le 2 mai, à la veille de la Journée internationale de la liberté de la presse. À cette occasion, la présidente du Parlement européen, Roberta Metsola, a rappelé qu’«une presse libre est le meilleur bouclier de la démocratie. Les journalistes doivent être libres de faire leur travail sans crainte de censure, d’intimidation ou de représailles. Le Parlement européen défendra et défendra toujours la liberté des médias et de la presse, non seulement lors de la Journée mondiale de la liberté de la presse, mais chaque jour.»