«Évaluer objectivement une lettre relève parfois d’un exercice d’équilibriste», convient-on chez Dussmann, le deuxième plus gros employeur du pays. (Photo: Shutterstock)

«Évaluer objectivement une lettre relève parfois d’un exercice d’équilibriste», convient-on chez Dussmann, le deuxième plus gros employeur du pays. (Photo: Shutterstock)

Standardisée, parfois générée par IA: la lettre de motivation est-elle en voie d’extinction? Chez Dussmann, elle reste un outil utile… quand elle est «authentique». Sans toutefois être décisive dans le processus de recrutement.

Longtemps considérée comme un passage obligé dans toute candidature, la lettre de motivation voit désormais sa pertinence remise en question. Standardisation des contenus, recours à l’intelligence artificielle, évolution des attentes des recruteurs comme des candidats: les mutations sont multiples.

Pour saisir l’impact concret de ces changements sur les pratiques de recrutement, nous avons sollicité , et ses équipes. Témoignage et analyse du (4.710 salariés en 2024), qui, chaque année, réceptionne des milliers de candidatures, pour tenter de répondre à cette question: la lettre de motivation a-t-elle toujours un avenir?

• Quel rôle la lettre de motivation joue-t-elle encore dans un processus de recrutement aujourd’hui?

«Mise en avant des compétences et motivations», «expression de la personnalité et de l’intérêt pour l’entreprise», «évaluation de la qualité d’expression écrite»… Chez Dussmann, la lettre de motivation n’a pas rejoint la corbeille, ses équipes RH continuent de lui prêter de l’intérêt. D’aucuns, pourtant, s’interrogent sur son «authenticité» et «sa pertinence», le recours à une aide extérieure pouvant faire qu’elle est «perçue comme accessoire, voire comme un facteur de complexification inutile de dossier».

Conclusion: «La lettre de motivation conserve une valeur dans le processus de recrutement, mais son utilité réelle dépend fortement de la qualité de sa rédaction, du poste visé, du secteur d’activité et des attentes spécifiques du recruteur. Elle peut être un atout… à condition de ne pas tomber dans le piège du modèle impersonnel.»

• Sur quels critères s’appuyer pour évaluer la qualité d’une lettre de motivation?

«La lettre doit démontrer un lien clair entre le profil du candidat et les besoins spécifiques du poste, en s’adressant de manière personnalisée à l’entreprise», pose-t-on chez Dussmann.

D’autres critères sont cités, tels que la «motivation réelle» du candidat, «la qualité de l’expression écrite», «la pertinence du contenu», afin d’«apporter une valeur ajoutée authentique», et «la force d’expression»: «La lettre doit être concise (éviter les pavés), tout en montrant une force de conviction réelle à travers une formulation soignée et un ton professionnel», développent les équipes de Christelle Noel.

Précision: «Certains soulignent que malgré ces critères, l’évaluation reste un exercice délicat: entre standardisation, attentes variées selon les recruteurs et impact finalement relatif sur la décision finale, évaluer objectivement une lettre relève parfois d’un exercice d’équilibriste.»

Conclusion: «Une bonne lettre de motivation est claire, personnalisée, bien écrite, exprimant une motivation sincère et une valeur ajoutée au-delà du CV. Cependant, son poids réel dans le processus reste relatif, surtout face aux réalités pratiques du recrutement.»

«Une valeur fortement remise en question»

La lettre de motivation demeure-t-elle un outil pertinent pour différencier des candidatures?

«Avis nuancés» chez Dussmann. Entre les «oui» francs et les «non» résolus, regardons du côté de l’entre-deux: «En théorie, seules les lettres vraiment personnalisées permettraient une différenciation. En pratique, la standardisation des lettres rend cet exercice quasi impossible, sous peine d’écarter une grande partie des candidats – dans un contexte où les talents sont déjà rares», est-il expliqué.

Conclusion: «La lettre de motivation peut encore faire la différence, mais principalement dans des cas spécifiques et si elle est d’excellente qualité. Globalement, son importance tend à diminuer au profit d’approches plus directes et interactives.»

• L’essor des outils d’intelligence artificielle générative modifie-t-il la perception de la lettre de motivation?

Opinions «partagées» à nouveau, même si «une tendance générale se dessine clairement»: «Oui, l’IA a changé la perception.» «Pour beaucoup, l’émergence des outils d’IA générative (ChatGPT et autres) a déshumanisé la lettre de motivation, qui perd son essence authentique; dépersonnalisé les contenus, rendant les lettres plus standardisées et moins crédibles; compromis la capacité à évaluer sincèrement la motivation d’un candidat, puisque l’on ne sait plus si la lettre vient du candidat ou d’une machine. En conséquence, la valeur de la lettre comme indicateur humain de motivation et de personnalité est fortement remise en question.»

Conclusion: «L’essor de l’IA générative a profondément modifié la perception de la lettre de motivation pour la majorité: perte d’authenticité, difficulté d’évaluation sincère. Cependant, une minorité considère que les critères d’évaluation restent valables, indépendamment du mode de rédaction.»

Quid des lettres soupçonnées d’avoir été rédigées à l’aide d’une IA?

Si une partie des répondants chez Dussmann affirment n’avoir «pas constaté ce phénomène dans leur expérience récente», d’autres «remarquent parfois des lettres très ‘lisses’, génériques, ou parfaitement structurées, qui évoquent l’usage d’une IA». «Leur réaction n’est pas systématiquement négative: dans ces cas-là, l’accent est mis davantage sur l’entretien, où l’authenticité et la cohérence du candidat sont évaluées plus finement», détaille-t-on.

La «déception» peut cependant exister, d’aucuns «regrettant que le candidat n’ait pas pris le temps d’insuffler un peu de lui-même dans sa candidature».

Conclusion: «Si l’usage potentiel de l’IA dans les lettres est parfois détecté et peut générer une certaine réserve ou déception, il n’est pas automatiquement pénalisant: l’authenticité est principalement recherchée lors de l’entretien plutôt que dans la lettre elle-même.»

«Une bonne lettre de motivation est claire, personnalisée, bien écrite, exprimant une motivation sincère et une valeur ajoutée au-delà du CV», expliquent la senior HR marketing project manager de Dussmann, Christelle Noel, et ses équipes. (Photo: Eva Krins/Maison Moderne)

«Une bonne lettre de motivation est claire, personnalisée, bien écrite, exprimant une motivation sincère et une valeur ajoutée au-delà du CV», expliquent la senior HR marketing project manager de Dussmann, Christelle Noel, et ses équipes. (Photo: Eva Krins/Maison Moderne)

• Le recours à ces outils remet-il en question la valeur du document ou traduit-il, au contraire, une capacité à s’approprier les technologies actuelles?

«Pour beaucoup, l’utilisation d’outils d’IA diminue la valeur de la lettre en tant que reflet authentique de la motivation du candidat. Elle ne permet plus de distinguer réellement l’engagement ou l’intérêt personnel du candidat pour le poste. Elle peut même desservir le candidat: utiliser un outil standardisé pour chercher à se démarquer est perçu comme contradictoire», développent les ressources humaines de Dussmann.

Pour autant, «certains estiment que la lettre de motivation ayant déjà une importance limitée dans le processus, l’usage de l’IA ne modifie pas fondamentalement sa valeur», quand «quelques voix reconnaissent que l’utilisation maîtrisée de ces outils peut témoigner d’une capacité d’adaptation aux technologies modernes et d’une certaine intelligence dans l’usage des ressources disponibles, à condition que le candidat personnalise le contenu final et en assume l’usage.»

Conclusion: «L’usage de l’IA dans la lettre de motivation est principalement vu comme une perte d’authenticité. Cependant, une minorité considère que cela peut aussi refléter une compétence d’adaptation technologique, si utilisé avec discernement et personnalisation.»

• Que penser des lettres standardisées ou construites à partir de modèles disponibles en ligne? Peuvent-elles encore convaincre un recruteur expérimenté?

Jugées globalement «peu convaincantes», «les lettres standardisées ne permettent pas de vraiment connaître le candidat. Elles manquent généralement de personnalité, de précision, et ne parviennent pas à créer un lien authentique avec le poste ou l’entreprise. Pour un recruteur expérimenté, ces lettres sont rapidement repérées et n’apportent que peu de valeur dans le processus de sélection», répond Dussmann. «Ce type de lettre renforce cette tendance à considérer le CV et l’entretien comme des outils d’évaluation bien plus pertinents», est-il ajouté.

Conclusion: «Les lettres standardisées ou issues de modèles convainquent rarement un recruteur expérimenté, sauf si elles sont profondément retravaillées pour montrer une authenticité réelle et un véritable intérêt pour le poste.»

• Très concrètement, dans quelle mesure la lettre de motivation est-elle lue et prise en compte dans les processus de sélection?

Dussmann constate que «la lettre de motivation est plus prise en compte pour les postes de type ‘col blanc’ (cadres, administratifs) ou certains postes de service spécifiques (sécurité, catering)”. Par ailleurs, «elle peut faire la différence entre deux profils similaires, en mettant en avant un intérêt particulier pour l’entreprise ou en montrant une motivation plus marquée». Dans son «rôle de première impression», «la lettre peut servir à confirmer l’intérêt du candidat et affiner l’évaluation de la candidature».

Conclusion: «La lettre de motivation n’est pas universellement indispensable, mais devient un outil précieux pour des postes à responsabilité, à forte communication ou nécessitant une expression écrite et une forte implication personnelle.»

• Un CV solide peut-il compenser une lettre de motivation absente ou peu convaincante?

«Les réponses convergent assez clairement: oui, dans la majorité des cas», affirme Dussmann: «Un CV solide – riche, clair, bien structuré et aligné avec les attentes du poste – peut compenser une lettre de motivation absente ou peu percutante.»

En outre, «le contenu factuel du CV (expériences, compétences, résultats concrets) est souvent perçu comme plus fiable et plus ‘réputé incontestable’ que le discours plus orienté et parfois artificiel d’une lettre de motivation».

Conclusion: «Un CV solide est souvent suffisant pour convaincre, même sans une lettre de motivation forte. Cependant, dans certains métiers ou environnements où la motivation personnelle ou la capacité d’expression est un critère fort, une lettre soignée reste un plus.»

«Un simple supplément au CV»

Une lettre de motivation peut-elle réellement peser dans la décision finale?

«Aucun des répondants n’a souvenir d’une lettre de motivation qui aurait véritablement pesé dans une décision finale de recrutement», résume Dussmann. «Cela confirme l’idée que, dans la pratique, la lettre de motivation reste rarement déterminante lorsqu’il s’agit de choisir entre candidats.»

Conclusion: «Dans l’expérience des répondants, la lettre de motivation n’a pas d’impact décisif dans la sélection finale. Le CV, l’entretien et les compétences concrètes priment largement.»

• Comment envisager l’avenir de la lettre de motivation dans les processus de recrutement?

Les personnels RH de Dussmann observent que «la lettre de motivation a perdu de son poids au fil des années». Selon eux, «cette évolution va continuer». «Pour beaucoup, la lettre est devenue un document accessoire, un simple supplément au CV, sans rôle décisif dans la sélection», exception faite de certains profils de poste (type «col blanc» ou à responsabilités) ou dans le cas de candidatures spontanées.

Dussmann met également en avant «la montée des alternatives modernes»: «Les formats alternatifs (vidéos de présentation, entretiens exploratoires, tests pratiques) gagnent en popularité, notamment auprès des jeunes générations (avec 66% des moins de 35 ans qui estiment la lettre dépassée).»

«Si la lettre de motivation veut conserver une place, elle devra être plus personnalisée, authentique et adaptée aux nouvelles attentes et aux outils technologiques modernes», avance Dussmann.

Conclusion: «La lettre de motivation tend à devenir un outil secondaire dans le recrutement moderne. Elle conserve une place résiduelle dans certains contextes spécifiques, mais elle doit se réinventer pour ne pas disparaître face aux nouveaux formats plus interactifs et dynamiques.»