Ryan McNelley, managing director and EMEA portfolio valuation leader, Daniel Turi, director portfolio valuation, et Armand Kantar, director valuation chez Kroll Advisory, soulignent l’importance de la valorisation des actifs illiquides tant pour les investisseurs que pour la Place. (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne)

Ryan McNelley, managing director and EMEA portfolio valuation leader, Daniel Turi, director portfolio valuation, et Armand Kantar, director valuation chez Kroll Advisory, soulignent l’importance de la valorisation des actifs illiquides tant pour les investisseurs que pour la Place. (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne)

Fraîchement installée au Grand-Duché, Kroll Advisory a organisé sa première table ronde consacrée à l’évaluation des actifs privés. Une préoccupation majeure dans le secteur des investissements alternatifs à un moment où la remontée des taux, l’inflation et la volatilité suscitent l’inquiétude des investisseurs.

Le paradigme économique change brusquement. Les causes en sont connues: hausse de l’inflation post-covid, resserrement des politiques monétaires et agression russe en Ukraine. Et les effets de ce changement se font ressentir sur les marchés privés, le secteur star des investissements ces dernières années lorsque les banques centrales pratiquaient une politique monétaire accommodante, quand l’inflation avait disparu et que les tensions géopolitiques étaient maîtrisées.

Pour Ryan McNelley, managing director and EMEA portfolio valuation leader, Daniel Turi, director portfolio valuation, et Armand Kantar, director valuation chez Kroll Advisory le grand changement pour l’industrie des marchés privés est relatif à la croissance de la volatilité, déclarent-ils en amont d’une table ronde tenue le 27 octobre à la Chambre de commerce de Luxembourg.

Théoriquement, cet accroissement de la volatilité se ressent plus sur les marchés publics – «où il y a plus de place pour l’émotion et le court-termisme» – que sur les marchés privés «où les investisseurs ont une vision à long terme et voient à travers le cycle», détaille Armand Kantar et «où le cycle d’investissement est beaucoup plus long que celui du marché public», ajoute Daniel Turi, «et qui apporte de la stabilité à la performance et à la valorisation des actifs».

Mesure de la performance des actifs privés

Mais cette volatilité impacte les marchés privés à deux moments précis: lors de la levée des fonds et lors des sorties. «La volatilité peut allonger la durée de ces phases», estiment les trois spécialistes. Ce qui induit une tendance au prolongement de la durée de vie d’un fonds ainsi que l’essor d’un marché privé secondaire. Bref l’introduction d’arbitrages dans les portefeuilles, qui semblait plus l’apanage des marchés publics.

Lorsque nous sommes confrontés à des vents contraires économiques, comme c’est le cas actuellement, cela ralentit l’activité commerciale. Cela rend le capital plus cher et plus difficile à obtenir, et les sorties plus aléatoires.
Ryan McNelley

Ryan McNelleymanaging director and EMEA portfolio valuation leaderKroll Advisory

«D’où l’importance du sujet de la valorisation des actifs privés», insiste Armand Kantar pour répondre à la question «est-il judicieux de transférer ou de vendre de tels actifs?» Et aussi pour calculer les espérances de rendement, poursuit Ryan McNelley. «Lorsque nous sommes confrontés à des vents contraires économiques, comme c’est le cas actuellement, cela ralentit l’activité commerciale. Cela rend le capital plus cher et plus difficile à obtenir et les sorties plus aléatoires. Chaque écart de 50 points de base supplémentaire rend les financements plus chers et impacte les rendements futurs. Tout cela met la pression sur l’évaluation.»

«La première conséquence de l’actuelle volatilité est d’attirer l’attention des investisseurs sur des sujets jusqu’ici passés sous le radar. Dont l’évaluation des actifs illiquides. Cette année, la plupart des classes d’actifs ont enregistré des performances médiocres. Très peu ont réellement conservé leur valeur. De ce point de vue, mesurer la performance des actifs privés est crucial. Pour cela, les méthodes d’évaluation font actuellement l’objet d’un examen approfondi», renchérit Daniel Turi.

Un enjeu pour la Place

Le sujet est important pour les investisseurs. Des investisseurs «en demande d’évaluations précises, opportunes et indépendantes», observe Armand Kantar. «Leur préoccupation est de s’assurer que les données fournies par les promoteurs (General Partners) reflètent la juste valeur de leurs actifs. L’indépendance est un mot clé. C’est la philosophie de notre offre de service, une approche neutre basée sur une vérification croisée des pièces.»

Tous ces investisseurs institutionnels mondiaux sont prêts à placer leur argent au Luxembourg parce qu’ils sentent que c’est un endroit sûr.
Ryan McNelley

Ryan McNelleymanaging director and EMEA portfolio valuation leaderKroll Advisory

Le sujet est également important pour la Place estime Ryan McNelley qui voit un important risque potentiel de réputation. «Le Luxembourg, de par sa position centrale dans le secteur des fonds d’investissement en Europe, doit s’emparer de la question. Le pays a bâti son succès sur sa réputation d’endroit sûr où les investisseurs internationaux peuvent domicilier leurs actifs. Tous ces investisseurs institutionnels mondiaux sont prêts à placer leur argent ici parce qu’ils sentent que c’est un endroit sûr. La volatilité des marchés met tout cela sous pression. Les gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs, responsables de la surveillance des risques et de l’évaluation, sont donc en première ligne pour protéger la réputation du Luxembourg. C’est pourquoi il est essentiel, et c’est le principal message que nous voulons transmettre à l’industrie ici, que lorsqu’il s’agit de risque et d’évaluation, en particulier, vous devez adopter les meilleures pratiques pour vous assurer que nous n’aurons pas de problèmes. Cela nuirait à la réputation du Luxembourg.»

La question des données

Qui dit évaluation dit qualité des données. «La question des données sera probablement un thème récurrent des prochaines années», estiment les trois spécialistes.

«Pour ce qui est des données sur les marchés publics, les sources sont nombreuses, ce n’est pas le cas pour les marchés privés. Mais maintenant que ces derniers grandissent et deviennent de plus en plus importants pour l’économie réelle, les régulateurs et les gouvernements voudront avoir de plus en plus d’informations et de visibilité sur ce qui s’y passe réellement. Mais ils vont se heurter à un problème majeur: celui de la confidentialité des données. Dans notre activité de valorisateur, nous collectons beaucoup de données, ce qui nous permet d’avoir une connaissance approfondie de ce qui se passe réellement sur les marchés privés. Mais nous ne pouvons pas les divulguer, car elles sont confidentielles.»

Pour Daniel Turi, Ryan McNelley et Armand Kantar, la question de cette confidentialité devra faire l’objet d’un débat, voire d’une règlementation.

Cet article est issu de la newsletter Paperjam + Delano Finance, le rendez-vous hebdomadaire pour suivre l’actualité financière au Luxembourg.