Arrivés sous les vivats d’une assemblée debout, Serge et Beate Klarsfeld, respectivement âgés de 88 et 84 ans, ont fait leur apparition sur la scène de la salle Robert Krieps du Centre culturel de Neimënster pour répondre aux questions de l’historien Vincent Artuso, qui animait la rencontre devant une salle comble.
Les époux Klarsfeld, souvent présentés comme des «chasseurs de nazis» pour avoir passé leur vie à traquer les criminels du Troisième Reich qui vivaient en toute impunité après la Seconde Guerre mondiale, répondaient à l’invitation de l’association MemoShoah, comme l’a précisé la directrice de Neimënster, .
«Un œil marron, la couleur du parti nazi»
Comme une prophétie, le couple s’est rencontré dans le métro parisien, le jour même où le responsable de la solution finale, Adolf Eichmann, «était enlevé» pour être jugé en Israël, se rappelle Beate. Elle avoue avoir commencé à s’intéresser à l’histoire allemande «au travers de l’histoire de Serge», français juif d’origine roumaine. Allemande protestante non-pratiquante, elle explique qu’à l’époque les «professeurs ne parlaient pas» et qu’en Allemagne, on n’apprenait pas «les suites de la Seconde Guerre mondiale». Elle raconte avec un sourire lorsqu’elle a giflé le chancelier Kiesinger, ancien nazi notoire, mais qu’elle a raté sa joue. Il avait «un œil marron, la couleur du parti nazi».
Pour Serge, c’est sa première visite au camp d’extermination d’Auschwitz, où son père a été déporté et assassiné, qui a lancé son combat pour la mémoire de la Shoah. Il prend alors «conscience de la nécessité de s’engager» et dit y avoir «rencontré [son] destin».
«On a été des pionniers de la mémoire»
Devenu historien malgré lui, c’est grâce à l’intermédiaire de l’ancien président français, François Mitterrand qu’il accède aux archives de la République française et des ministères. Avec son association des Fils et Filles de déportés juifs en France, le couple Klarsfeld abat un travail colossal en permettant de «restituer à chaque victime de la Shoah son identité». «On a été des pionniers de la mémoire», explique-t-il, en précisant que «les 5 millions de noms» recensés au mémorial de la Shoah à Yad Vashem en Israël, «c’est notamment grâce à nous». Il conclut avec un sourire: «le peuple du Livre ne pouvait faire autrement que de rassembler des documents».
Réaliste, Serge se sait appartenir «à une génération qui est en train de disparaître». Il regarde toutefois la salle, pleine de jeunes adolescents, et relève que «le monde a changé», que «des combats que nous ne connaissons pas» encore vont advenir. Il estime que l’«on sent que la violence revient parce que les nouvelles générations n’ont pas connu la guerre». S’il se dit «inquiet», il espère que les jeunes feront «leur possible» et choisiront «leur engagement».
Des justiciers modestes
S’il avoue entendre «très mal» – sa femme prend régulièrement le temps de lui répéter les questions – Serge Klarsfeld n’en reste pas moins «actif» puisqu’il a «publié quatre ou cinq livres» dernièrement. Beate, quant à elle, vérifie sa mémoire auprès de son mari lorsqu’elle raconte la fois où ils ont échappé à un énième attentat et explique que «c’est le résultat qui compte» lorsque Vincent Artuso évoque les risques qu’elle a pris par le passé pour retrouver les nazis. «On n’a pas fait des choses gigantesques» répond modestement Beate Klarsfeld, provoquant des réactions d’étonnement dans la salle.
La rencontre se finit par un court moment de questions-réponses entre le couple et le public puis une séance de dédicace improvisée, Beate et Serge Klarsfeld enchaînant une heure plus tard avec une autre conférence.