Premier producteur d’huile de tournesol et victime de l’invasion russe, le géant ukrainien Kernel, qui a sa holding au Luxembourg, agite malgré lui les marchés des produits alimentaires. (Photo: Shutterstock)

Premier producteur d’huile de tournesol et victime de l’invasion russe, le géant ukrainien Kernel, qui a sa holding au Luxembourg, agite malgré lui les marchés des produits alimentaires. (Photo: Shutterstock)

Le leader mondial de la production et de l’exportation d’huile de tournesol, la société ukrainienne Kernel, dont la holding est luxembourgeoise, a été cueilli par l’invasion russe le 24 février. Seule l’aide européenne pourrait permettre de semer 50 à 70% des surfaces habituelles en Ukraine.

«J’ai pris la décision d’une opération militaire spéciale», annonce le président russe, Vladimir Poutine, dans une déclaration à la télévision. «Nous nous efforcerons d’arriver à une démilitarisation et une dénazification de l’Ukraine.» Tout s’arrête. Mais ce 24 février, à la Bourse de Varsovie où Kernel est coté, les traders liquident leurs positions vis-à-vis du géant ukrainien. 441.947 actions sont mises en vente. Le cours plonge à 25 zlotys (5,37 euros), contre 58 en début d’année ou même 79 au plus haut, il y a exactement un an.

Oubliées, les ambitions du CEO, Andriy Verevskyi, dans le bilan annuel pour 2020-2021 déposé au registre luxembourgeois du commerce, de livrer en 2022 plus de 100 millions de tonnes de céréales, dont 79 millions de maïs, de blé et d’orge, et 16,8 millions de tonnes de graines de tournesol. L’armée de Poutine est lancée dans une folle guerre qui rase tout sur son passage.

Le grenier de l’Europe

Et le géant de l’agroalimentaire, ses 515.000 hectares, ses 12.000 employés, ses 50 tracteurs à 24 rangs de semage, ses 3.500 wagons à céréales vers les ports, ses deux terminaux en eau profonde à Tchornomorsk n’échappe pas au conflit. Il y a 20 ans que Kernel a fait ses comptes pour s’apercevoir qu’il valait mieux exporter l’huile que les graines et s’est doté de huit moulins, capables d’extraire 440kg d’huile de 1.000kg de graines.

Premier producteur et premier exportateur mondial, Kernel n’a plus qu’à s’en remettre aux hommes politiques: la semaine dernière à Luxembourg, le nouveau ministre ukrainien de l’Agriculture, Mykola Solsky, a demandé aux 27 de lui fournir «du carburant, des semences, des engrais, des pesticides, des médicaments vétérinaires et des machines agricoles», a indiqué le commissaire à l’Agriculture, Janusz Wojciechowski, en marge de la réunion.

M. Solsky a affirmé aux 27 que Kiev «s’efforçait de maintenir une production agricole là où c’est possible sur le sol ukrainien, et que 50 à 70% des terres du pays peuvent aujourd’hui être semées, et demain récoltées», a rapporté le ministre français Julien Denormandie, observant cependant que «cela dépendra de l’évolution» du conflit, selon des propos rapportés par Ouest-France.

Inquiétude à la FAO

Avril et mai sont deux mois essentiels pour semer en Ukraine, avant une récolte en septembre. Et comme les deux pays alimentent 80% du marché mondial, la FAO s’inquiète. L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture a vu ses indices s’envoler: 159,3 pour le Food Price (contre 119,2 un an plus tôt) et même 248,6 pour l’indice qui reprend dix huiles végétales (contre 159,3 en mars 2021), en hausse de 23,2% par rapport à février.

«Les pertes attendues dans les exportations de la région de la mer Noire exacerbent la situation déjà compliquée sur le marché du blé», explique la FAO. «La forte hausse de l’indice s’explique par la hausse des prix des huiles de tournesol, de palme, de soja et de colza. Les cotations internationales de l’huile de tournesol ont considérablement augmenté en mars, alimentées par la réduction de l’offre d’exportation dans le contexte du conflit en cours dans la région de la mer Noire.»

Les acheteurs ont déplacé leurs commandes vers les huiles de palme, de soja et de colza, ajoute l’agence. «De plus, alors que les valeurs mondiales de l’huile de palme ont bénéficié d’un soutien supplémentaire du resserrement persistant de l’offre dans les principaux pays producteurs, les prix de l’huile de soja ont été soutenus par les inquiétudes suscitées par la réduction des disponibilités exportables en Amérique du Sud. Il est à noter que les prix volatils et plus élevés du pétrole brut ont également soutenu les prix internationaux des huiles végétales.»

L’huile de tournesol n’est que la quatrième huile la plus consommée au monde (avec 20,47 millions de tonnes contre 73,87 pour l’huile de palme, 60,24 pour l’huile de soja et 28,85 pour l’huile de colza), mais les Occidentaux s’inquiètent.

Tandis que les images de carnages se succèdent, en France, par exemple, l’UFC annonce travailler main dans la main avec la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes pour informer les consommateurs des changements dans leurs préparations industrielles préférées ou pour leur éviter des allergies. Mi-avril, les réserves d’huile de tournesol seront épuisées en France. L, le 1er avril, pour obtenir la transparence sur les huiles utilisées, pétition qui a recueilli moins de 16.000 signatures.

Au Royaume-Uni, la Food Standards Agency, chargée de la protection publique dans l’alimentation, déclare travailler «d’urgence avec l’industrie agroalimentaire et d’autres partenaires pour nous assurer que les étiquettes sur les produits où l’huile de tournesol a été remplacée par de l’huile de colza soient rendues exactes aussi vite que possible».

Il n’en faut pas plus pour que les rayons des supermarchés soient dévalisés. «Restez alertes», suggèrent des blogs de cuisine, qui expliquent par quoi remplacer l’huile de tournesol. S’il est vrai que les chemins du cœur passent par l’estomac, mieux vaut en effet soigner ce dernier…