Katia Ciesielska est administratrice indépendante pour Deutsche Bank Group, CCA Life Settlements, Emeram, Dinamik, Pears Global Real Estate, Miya Water et ILA.   (Montage: Maison Moderne)

Katia Ciesielska est administratrice indépendante pour Deutsche Bank Group, CCA Life Settlements, Emeram, Dinamik, Pears Global Real Estate, Miya Water et ILA.  (Montage: Maison Moderne)

Dans son numéro «Women on board», Paperjam met en lumière plus de 100 profils de femmes prêtes à rejoindre un conseil d’administration. Tout au long du mois de mars, découvrez divers profils de femmes ainsi que leurs points de vue et leurs idées pour un meilleur équilibre des genres dans les instances de décision. 

est diplômée en droit des affaires. Au cours des dernières années, elle a suivi des programmes de formation exécutive dans des écoles de commerce de premier plan telles que l’Insead (International Directors Program), HEC Paris (International Certificate in Corporate Finance), la London School of Economics and Political Science (Certificate in Real Estate Economics and Finance) et la Frankfurt School of Finance and Management (Certified Expert in Sustainable Finance).

Quels sont les principaux défis auxquels vous avez été confrontée en tant que femme membre d’un conseil d’administration indépendant?

Katia Ciesielska. – «Depuis que j’ai commencé à travailler en tant qu’administratrice indépendante, je me suis heurtée à un scepticisme important. J’ai tout entendu: on m’a dit que j’étais trop jeune, que le rôle était trop risqué, que je manquais d’expertise dans des domaines spécifiques ou que je n’étais peut-être pas disponible pour les réunions parce que j’étais mère de famille. Enfin, j’ai même été confrontée à l’hypothèse selon laquelle j’avais obtenu les mandats du conseil simplement parce que j’étais une femme.

Comment gérez-vous la résistance ou le scepticisme dont vous faites l’objet?

«J’aborde la résistance ou le scepticisme avec calme et professionnalisme. Un comportement excessivement critique découle souvent de la jalousie ou de l’insécurité, et je choisis de ne pas me laisser affecter par cela. J’ai confiance en mes capacités et je m’attache à démontrer ma valeur par mon travail, plutôt que de m’engager dans la négativité.

Croyez-vous que l’égalité entre les hommes et les femmes s’améliore au sein des conseils d’administration?

«La présence des femmes dans les conseils d’administration s’améliore, mais il reste encore du chemin à parcourir. Au Luxembourg, le pourcentage de sièges occupés par des femmes dans les conseils d’administration a augmenté régulièrement au cours des cinq dernières années, pour atteindre 21,8% en 2023. Si ce chiffre témoigne d’un réel progrès, il reste lent et la marge d’amélioration est importante.

Au Luxembourg, l’approche repose en grande partie sur les objectifs volontaires des organisations pour atteindre l’équilibre entre les genres au fil du temps. Cela contraste avec des pays comme la Norvège, l'Espagne et la France, où des quotas contraignants ont été mis en œuvre pour augmenter la représentation des femmes, promouvoir le développement de carrière et garantir la présence des femmes dans les rôles décisionnels. Les deux approches sont valables. Si les quotas permettent de faire évoluer la situation dans certaines régions, ils devraient être appliqués plus largement. Inversement, si les mesures volontaires sont efficaces, il n’est pas nécessaire de changer de stratégie, mais plutôt de renforcer les efforts.

Toutefois, des données récentes, telles que celles de MSCI, soulignent que même avec les initiatives actuelles, la parité hommes-femmes dans les conseils d’administration pourrait ne pas être atteinte avant 2045. Les entreprises publiques luxembourgeoises ont notamment progressé plus rapidement, les femmes occupant près de 39% des postes au sein des conseils d’administration d’ici à la fin 2023, contre 27% en 2015.

Les conseils d’administration jouent un rôle essentiel dans l’impulsion du changement. Ils doivent se demander s’ils en font assez pour favoriser la diversité, notamment en ce qui concerne la sélection des candidats et la promotion des femmes à des postes de direction. Les entreprises doivent également élargir leurs profils de compétences afin de diversifier les conseils d’administration et de combler les lacunes en matière de compétences. La réalisation d’une véritable égalité entre les hommes et les femmes nécessite à la fois un engagement et une action à tous les niveaux.

Quel est votre avis sur les quotas de femmes au sein des conseils d’administration? Sont-ils nécessaires ou contre-productifs, selon vous?

«Je ne suis pas foncièrement partisane des quotas, mais je pense qu’ils sont nécessaires pour accélérer le progrès. En l’absence d’une telle réglementation, les changements significatifs ont tendance à se produire trop lentement, voire pas du tout. Les quotas nous obligent à aborder la question directement et à créer des opportunités pour les femmes d’accéder à des rôles de leadership.

La décision du Luxembourg en 2016 d’introduire un quota minimum de 40% de femmes dans les conseils d’administration des établissements publics est un pas dans la bonne direction. Les premiers pays à avoir adopté les quotas, comme la Norvège, qui a pleinement mis en œuvre les quotas de femmes dans les conseils d’administration des entreprises en 2008, démontrent que ces mesures fonctionnent. Elles permettent non seulement d’améliorer la diversité des genres, mais aussi d’élargir les perspectives et d’enrichir le processus décisionnel.

Même si les quotas peuvent sembler prescriptifs, ils fixent des objectifs réalistes plutôt que d’attendre une parité immédiate; les conseils d’administration peuvent donc continuer à se concentrer sur la recherche de personnes qualifiées tout en s’efforçant d’améliorer la diversité. En fin de compte, les quotas sont un catalyseur de changement car ils créent des conditions égales pour tous et garantissent que les meilleurs talents sont pris en compte, quel que soit leur genre.

En tant que femme membre d’un conseil d’administration, vous sentez-vous particulièrement responsable de plaider en faveur de la parité et de l’inclusion des genres?

«Oui, je me sens fortement responsable de la promotion de la diversité et de l’inclusion, mais dans un sens large – englobant non seulement le genre mais aussi la culture, la démographie, l’éducation et les facteurs socio-économiques. Je soutiens activement les initiatives qui renforcent la position des femmes dans les conseils d’administration, que ce soit par le biais du mentorat, d’interventions lors d’événements du secteur ou du partage de mes expériences avec d’autres administratrices autour d’un café ou d’un déjeuner. Pour moi, défendre l’inclusion ne consiste pas seulement à atteindre des quotas ou à remplir des obligations; il s'agit de favoriser une culture où chacun a les mêmes chances de contribuer et de s’épanouir.

À votre avis, quel est l’impact de la diversité sur les performances d’un conseil d’administration?

«La diversité est essentielle à la performance d’un conseil d’administration, mais il est important de l’aborder de manière globale. Il ne suffit pas de se concentrer sur un seul type de diversité, comme le genre. La diversité sociale – qui englobe le sexe, la race, l’origine ethnique et l’âge – combinée à la diversité professionnelle, améliore l’éventail des perspectives et de l’expertise dans la salle du conseil.

J’ai vu des administrateurs plus jeunes apporter des idées nouvelles et innovantes, des collègues issus de milieux culturels différents partager des points de vue uniques, et des femmes exceller dans des domaines émergents tels que l’ESG et l’IA. Ce mélange d’expériences dynamise la salle du conseil, favorise la motivation et remet en question la pensée traditionnelle. Les membres du conseil d’administration qui ne font pas partie du ‘club des anciens’ apportent souvent leur enthousiasme, leur esprit critique et leur volonté de remettre en question le statu quo.

Toutefois, il est essentiel de parvenir à un bon équilibre. Trop peu de diversité peut conduire à la pensée de groupe et à un manque d’analyse critique, tandis que trop de diversité, sans une base de compréhension commune, peut créer des barrières de communication et entraver la collaboration. Les conseils d’administration les plus efficaces sont ceux qui parviennent à un équilibre, en adoptant des perspectives variées tout en conservant suffisamment de points communs pour travailler de manière cohérente.

Quelles sont les solutions ou les politiques qui pourraient favoriser une meilleure parité entre les hommes et les femmes?

«La réalisation d’une meilleure parité hommes-femmes nécessite une combinaison de processus transparents, de pratiques équitables et de changements structurels. Par exemple, la mise en œuvre d’un processus de sélection plus transparent, similaire aux pratiques en vigueur au Royaume-Uni, peut garantir que tous les candidats, quel que soit leur genre, sont évalués sur la base de leurs compétences, de leur expérience et de leur potentiel. Cette approche réduit les préjugés et permet à un plus grand nombre de femmes d’être prises en considération pour des postes au sein des conseils d’administration.

Les politiques de rotation au sein des conseils d’administration pourraient également contribuer à améliorer la situation. Après un certain nombre d’années, les membres du conseil d’administration ne sont plus considérés comme indépendants, ce qui permet à de nouvelles voix, y compris celles des femmes, d’entrer dans la salle du conseil. Cette rotation garantit de nouvelles perspectives et contribue à briser les réseaux établis de longue date qui limitent souvent la diversité.

Enfin, bien que les quotas soient parfois controversés, ils se sont avérés efficaces pour accélérer les progrès vers la parité hommes-femmes. La combinaison de ces mesures peut créer un environnement plus inclusif et plus équilibré dans les conseils d’administration.

Quel conseil donneriez-vous à une femme qui hésite à s’engager dans cette voie?

Le rôle d’administrateur indépendant offre de nombreux avantages: liberté de travailler de manière autonome, flexibilité dans l’organisation de sa journée et possibilité de collaborer avec des clients divers. Chaque jour apporte de nouveaux défis, ce qui rend le travail dynamique et loin d’être répétitif. C’est un parcours professionnel qui favorise l’apprentissage et la croissance continus.

Si vous pensez que vous n’avez pas encore assez d’expérience ou de confiance en vous, ne laissez pas cela vous freiner. Le meilleur moment pour commencer est maintenant. L’expérience et l’assurance viendront avec le temps, à condition que vous restiez engagé et ouvert à l’apprentissage. Croyez en votre potentiel, sautez le pas et n’hésitez pas à demander conseil en cours de route. Vous pourriez être surprise de tout ce que vous pouvez accomplir.

Avez-vous une anecdote ou un moment marquant de votre carrière qui illustre la réalité d’être une femme dans ce rôle?

«Il y a quelques mois, j’ai été invitée à une conférence au Cercle Munster. J’étais la seule femme parmi trente participants. Au cours d’une conversation avec un participant danois et l’un des organisateurs, ils m’ont demandé quelle était ma profession. Lorsque j’'ai mentionné que j’étais administratrice indépendante, l’organisateur a immédiatement rejeté l’idée en disant que c’était impossible.

Curieuse, je lui ai demandé pourquoi il pensait cela. Il m’a répondu que pour être administrateur indépendant, il fallait connaître des sujets tels que Dora, CSRD, AML, AI, etc. et que je ne pouvais donc pas posséder une telle expertise. Pour ne rien arranger, ils ont ensuite fait des remarques désobligeantes sur l’ILA, dont je suis membre du conseil d’administration, et ont accusé les femmes de voler leurs mandats.

Ce moment m’a fait prendre conscience des préjugés grossiers et infondés qui peuvent persister dans les environnements professionnels, non seulement à l’encontre des femmes, mais aussi à l’encontre de l’évolution de la diversité dans les salles de conseil d’administration. C’est un rappel de la raison pour laquelle la défense de l’inclusion et la lutte contre les stéréotypes restent cruciales.

Quel conseil donneriez-vous à une jeune femme qui veut se faire une place dans la société? Et contre quoi la mettriez-vous en garde?

«Je lui conseillerais de se concentrer sur la culture d’un état d’esprit fort et orienté vers la croissance. Bien trop souvent, les femmes sous-estiment leurs propres capacités et doutent d’elles-mêmes alors qu’elles en sont tout à fait capables. Il est essentiel de croire en son potentiel et d’aborder les défis avec confiance et détermination. Rappelez-vous que la croissance vient en sortant de votre zone de confort et en saisissant les occasions d’apprendre, même si elles semblent intimidantes.

S’entourer de mentors, de modèles et d’un réseau de soutien qui encouragent vos ambitions. Participez à un apprentissage continu, car les connaissances et les compétences vous permettent de prendre des décisions éclairées et de diriger avec confiance.

Qu’est-ce que vous lui déconseilleriez de faire?

«Je mettrais en garde contre le fait de trop compter sur les autres pour obtenir une validation ou un soutien. Si la collaboration et le mentorat sont essentiels, le véritable épanouissement vient de l’autonomie et de l’indépendance. L’indépendance financière et émotionnelle vous donnera la liberté de faire des choix qui correspondent à vos valeurs et à vos aspirations.

Enfin, je vous déconseille de comparer votre parcours à celui des autres. Le parcours de chacun est unique. Concentrez-vous sur vos objectifs, restez fidèle à vos valeurs et soyez fier des progrès que vous réalisez en cours de route.»

Cet article a été rédigé initialement en anglais, traduit et édité pour le site de Paperjam en français.