Jean, baskets, pull confortable. C’est presque incognito que l’ancienne joueuse de tennis belge Justine Henin, invitée des «Rencontres au Cercle Munster», a rejoint le déjeuner sponsorisé par le cabinet de conseil en management Resultance qui a rassemblé, mardi 18 mars, une quarantaine de femmes CEO et dirigeantes – et notamment , ou , marraine du rendez-vous.
L’ex-numéro un mondiale des années 2000, lauréate de sept titres du Grand Chelem (dont quatre Roland-Garros), a pendant une heure partagé son passé autour de trois thématiques communes au sport et au business: la prise de décision sous pression, la résilience et l’excellence dans l’exécution.
Après l’espresso de fin de repas et les applaudissements, chaque participante est repartie avec une balle signée par la championne, aujourd’hui âgée de 42 ans, qui, avant de quitter le Grund, s’est posée, côté bibliothèque, pour un petit quart d’heure d’interview. Tout en simplicité et en débit mitraillette. Distillant ses conseils comme autrefois ses merveilles de revers à une main décochés du fond du court.
Pendant votre carrière, vous avez souvent dû prendre des décisions cruciales en une fraction de seconde. Quels principes appliquez-vous pour faire le bon choix sous pression?
Justine Henin. – «Quand la balle arrive et qu’il faut choisir ou oser le revers long de ligne, c’est le travail effectué auparavant qui permet d’arriver, sous stress, à maîtriser le plus de coups possibles dans le plus de situations possibles. Il y a aussi une part d’instinct dans ces moments où, très vite, il va falloir prendre une décision. J’ai commencé à travailler très jeune avec mon entraîneur (l’Argentin Carlos Rodriguez, ndlr), cela a été un long chemin ensemble, et toute cette part d’autonomie et de responsabilisation a constitué un pan important de mon apprentissage et de mon développement pour arriver à se dire: ‘OK, je suis prête, je peux compter sur moi-même.’
Quels parallèles faites-vous avec le monde des affaires?
«Mêmes si les contextes sont très différents, les réalités, elles, sont très proches. Comment sortir de sa zone de confort pour explorer, pour tenter, pour avoir une prise de risque…
Y a-t-il une situation où une décision difficile a changé le cours d’un match ou de votre carrière? Comment l’avez-vous gérée?
«Il y a eu beaucoup, beaucoup de décisions à prendre, et certaines assez fortes. J’ai quitté la maison familiale à l’âge de 17 ans, j’ai décidé d’étudier à distance, de tracer ma route. C’était quand même un choix qui était déjà fort à l’époque. À l’âge de 14 ans, on avait aussi décidé de changer ma prise en coup droit, alors qu’il aurait été peut-être plus confortable de continuer à jouer des tournois, et peut-être de gagner, comme je le faisais jusque-là. Mais, non, on a fait le choix de s’arrêter un moment, de s’éloigner du court terme, et de travailler pour l’avenir. Comment est-ce qu’on construit un cap? Comment sortir un petit peu des sentiers battus et opérer des changements à des moments où d’autres n’auraient peut-être pas osé le faire? J’ai eu beaucoup de chance avec mon entraîneur.
Vous avez connu des blessures, des défaites et même une retraite anticipée. Qu’est-ce qui vous a permis de rebondir à chaque fois?
«Il y a eu du travail, mais je pense aussi que c’est dans mon caractère de ne pas lâcher grand-chose. Cela a été façonné par mon existence, mon contexte familial, les épreuves de la vie, toutes ces choses qui se présentent devant vous. J’ai eu à me relever effectivement de moments extrêmement difficiles. Le décès de ma maman quand j’étais très jeune (en 1995, Justine Henin était alors âgée de 13 ans, ndlr) a été un moment où ça a tangué et où il a fallu s’accrocher. Dans ma vie, j’ai toujours essayé de trouver dans les moments les plus durs des opportunités de rebond.
C’est dans mon caractère de ne pas lâcher grand-chose.
Justement, comment transformer un échec en levier de progression, que ce soit dans le sport ou dans le monde des affaires?
«Les échecs, c’est normal d’en connaître. Il faut l’accepter et admettre que l’on ne peut pas être au top en permanence. Federer l’a dit: ‘J’ai gagné plus de 80% des matchs joués dans ma carrière, mais j’ai gagné en moyenne 54% des points.’ Il faut faire avec les ressources dont on dispose à un moment donné, dans une situation donnée. Il y a tellement de paramètres… On ne se lève pas tous les jours avec la même énergie le matin avant d’aller au travail. Mais qu’est-ce qu’on va être capable de donner à ce moment-là? Ça, c’est tout un apprentissage. Nous sommes tous humains, nous avons tous le droit d’être parfois un peu moins bien, le plus important est de savoir comment composer avec cela.
Quelles sont les habitudes et les routines que vous conseillez pour cultiver cette résilience?
«Il faut accorder de l’importance au débriefing et à l’analyse après une échéance. Qu’elle soit positive ou qu’elle ne se soit pas déroulée comme prévu. Après un match de tennis, il faut comprendre ce qui a permis d’aller au bout de la partie ou, au contraire, ce que l’on n’a pas été capable de mettre en place pour l’emporter. Cela doit se faire avec distance et froideur, une fois que toutes les émotions sont retombées. C’est quelque chose sur lequel j’ai pu m’appuyer. Faire des analyses réalistes, factuelles, se connecter à ce que l’on a ressenti et en arriver à se dire des choses qui ne sont pas toujours faciles, mais qui peuvent vraiment faire bouger les lignes pour la suite. Il y a une notion d’honnêteté à avoir dans cette démarche.
Comment maintenir un niveau de performance optimal sur la durée, malgré la pression et la fatigue?
«Quand on est ‘dedans’, il n’est pas toujours évident de prendre du recul. Dans ces cas-là, l’entourage ou l’équipe autour de nous est d’une importance capitale. On peut parler, cela aide énormément. L’enjeu porte aussi sur la capacité à se recentrer, à se mettre dans sa bulle, essayer de prendre le recul nécessaire, j’y reviens. Même pour les plus grands champions, une carrière n’est pas un long fleuve tranquille. On passe par des hauts et des bas. C’est tout à fait normal.
Même pour les plus grands champions, une carrière n’est pas un long fleuve tranquille.
Mais comment bien s’entourer? Les stars, on le sait, suscitent les convoitises…
«J’ai pas mal fermé les les portes autour de moi, cela a été ma manière de vivre tout ça. Je ne savais pas tout gérer, et beaucoup de gens ont essayé de commencer à graviter autour de moi. Je me suis clairement protégée, quitte à renvoyer une image un peu froide. Quand j’étais joueuse, j’ai essayé d’être la plus performante possible, mais aussi authentique dans ma démarche. Je me suis tenue à l’écart des sollicitations et de ce que l’on pouvait dire de moi à l’extérieur. Ça aussi, ça a été un apprentissage, un chemin. J’ai été vraiment aidée par Carlos, qui m’a permis, justement, de canaliser tout ça. On restait ouvert, en alerte, mais on avait un cap.
Aujourd’hui, vous accompagnez des athlètes et des entrepreneurs à travers vos activités. Quel est le principal message que vous souhaitez leur transmettre?
«’La vie est une aventure audacieuse ou elle n’est rien.’ Cette citation d’Helen Keller m’a beaucoup accompagnée. Quand je m’adresse à un public, je n’arrive pas avec des messages tout faits mais avec l’idée de partager mon vécu. Celui d’une petite fille qui clamait qu’elle voulait devenir numéro un mondiale et que tout le monde regardait un peu de haut, en disant: ‘Bon, c’est bien de rêver, mais…’ Je dirais qu’il ne faut pas s’empêcher de rêver et d’oser. Si je m’étais arrêtée à ce que les autres pensaient de moi à ce moment-là, j’aurais rapidement jeté l’éponge.»