Une analyse en sources ouvertes a révélé une série d’incohérences dans les activités de Juicy Fields. (Photo: Maison Moderne)

Une analyse en sources ouvertes a révélé une série d’incohérences dans les activités de Juicy Fields. (Photo: Maison Moderne)

Les victimes de l’affaire Juicy Fields sont appelées à porter plainte auprès des autorités. Seules les conclusions d’une enquête pourraient leur permettre de récupérer leurs fonds. Le travail des enquêteurs reste toutefois des plus complexes.

Acheter des plants de cannabis thérapeutique à distance et récupérer des rendements entre 36% et 66% suite à leur revente en moins de 108 jours. C’est ce que proposait la plateforme d’investissement Juicy Fields à ses clients. Trop beau pour être vrai? Depuis mi-juillet, des groupes d’investisseurs s’organisent, aussi bien sur Facebook que Telegram, pour porter plainte contre Juicy Fields. Depuis lors, les opérateurs de la plateforme sont aux abonnés absents.

Face au risque de ne pas récupérer leur mise, 1.200 investisseurs espagnols ont initié, fin juillet, une action collective à l’encontre des propriétaires de Juicy Fields, les accusant d’escroquerie. L’ampleur de l’affaire s’est rapidement étendue à plusieurs pays européens. Le Parquet de Luxembourg a d’ailleurs confirmé à Paperjam que des plaintes ont récemment été déposées et qu’il est fort probable que d’autres devraient encore arriver. Une enquête a été lancée.

Le Parquet et la police indiquent qu’ils ne commenteront pas les détails et l’état d’avancement de l’enquête. Malgré tout, le 29 juillet dernier, nos confrères de RTL faisaient état de 260 personnes qui se seraient déjà signalées au Luxembourg via un groupe Facebook à cet effet. RTL rapportait également que 101 victimes auraient déjà perdu 1,6 million d’euros. En effet, Juicy Fields a opéré des activités de vente au Luxembourg. Distribuant ses produits d’investissement via des «ambassadeurs», nous en avons identifié au moins un actif au Luxembourg via le réseau social professionnel LinkedIn. De plus, un site web d’ambassadeurs affiliés à Juicy Fields possède une page – en construction – à l’intention de la clientèle luxembourgeoise.

Une série de signaux interpellants

Au premier abord, plusieurs indices portent à croire que les propriétaires de Juicy Fields cherchent la discrétion et à semer d’embûches toute piste permettant de remonter jusqu’à eux. Par exemple, le nom de domaine du site web de la plateforme présente des données volontairement occultées afin d’empêcher l’identification de son administrateur. Sur sa page de contact, Juicy Fields indique être opéré par «Juicy Holdings BV», une société enregistrée aux Pays-Bas, mais renseigne des numéros de téléphone contenant un indicatif suisse et une adresse légale à Zurich – sans inscrire aucun nom de rue.

La société Juicy Holdings BV a elle aussi son propre site web. Ce dernier indique une adresse postale qui renvoie à un centre de location de bureaux virtuels à Amsterdam. Autre élément: le site web de Juicy Holdings BV renseigne également le nom de la société Juicy Fields AG, enregistrée en Suisse. L’adresse de celle-ci pointe vers un château historique dans le canton de Zurich, alors que le registre du commerce cantonal mentionne une tout autre adresse, localisée dans un centre d’affaires dédié à la location de bureaux.

En vérifiant la validité du numéro de TVA communiqué sur le site web de Juicy Holdings BV, à l’aide de l’outil de la Commission européenne dédié à cet effet, un message d’erreur apparaît à l’écran. De plus, une consultation auprès du registre du commerce néerlandais indique des noms d’administrateurs qui ne correspondent en aucun cas à ceux mentionnés sur le site web de la société.

Porter plainte absolument

Si ces éléments interpellants collectés en sources ouvertes ne suffisaient pas, l’autorité fédérale allemande de surveillance financière, la BaFin, avertissait, le 30 mars dernier, que Juicy Holdings BV ne respectait pas la loi sur les investissements, offrant publiquement un investissement sous la forme d’un prêt subordonné sans aucun prospectus. Suite à cela, la BaFin imposait, le 3 juin, à Juicy Holdings BV une interdiction de distribuer ses produits d’investissement en Allemagne.

Contactée, la BaFin explique ne pas avoir de mandat pour poursuivre les activités criminelles et entamer des démarches de récupération d’actifs détournés. Par conséquent, elle encourage toutes les victimes à porter plainte auprès des autorités judiciaires. Seule solution pour les investisseurs floués d’avoir une maigre chance de récupérer leurs fonds. Au Luxembourg, même son de cloche du côté de la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF). Juicy Holdings BV n’étant pas une entité supervisée et n’ayant pas émis d’offre publique de titre au Luxembourg, la CSSF n’a pas de compétence dans le dossier. Le régulateur luxembourgeois conseille donc à toutes les victimes de porter plainte soit auprès du Parquet, soit auprès de la police.

Il ressort des échanges entre le secrétariat général de la CSSF et Paperjam que c’est l’enquête initiée par le Parquet qui analysera le modus operandi des instigateurs et identifiera – si possible – le lieu où se trouvent les fonds présumés détournés. Pour ce faire, l’antenne luxembourgeoise du Centre européen des consommateurs (CEC) souligne qu’il est essentiel pour les victimes d’adresser leur plainte avec un maximum d’informations possible. Si, par exemple, une victime a été contactée par un intermédiaire de la société, il lui est conseillé de porter l’identité de cette personne et son numéro de téléphone à la connaissance des enquêteurs. Au fil des plaintes, cela leur permettra d’acquérir une meilleure compréhension de la méthodologie de la fraude présumée.

Entre 3.000 et 45.000 euros

Les victimes doivent prendre leur mal en patience en attendant les conclusions de l’enquête. De nombreuses interrogations restent en suspens. La dimension transfrontalière de l’affaire, aussi bien du côté des instigateurs que des victimes, ne facilite pas le travail des enquêteurs. Dans pareil contexte, identifier les sociétés impliquées – il peut s’agir de sociétés fictives –, localiser leurs dirigeants et retracer les flux d’argent sera un travail de longue haleine.

L’enjeu des investigations est de taille, au regard des sommes investies. Le CEC nous indique avoir déjà reçu deux plaintes de personnes qui ont déboursé respectivement environ 3.000 et 45.000 euros. Même si les données manquent encore pour comprendre l’ampleur de la fraude, les sommes déjà connues peuvent s’avérer conséquentes pour des clients particuliers. Des experts familiers avec ce genre de dossier de fraude ne se montrent pas optimistes quant à la facilité de récupérer les fonds escamotés, d’autant plus que les produits d’investissement distribués par Juicy Fields ne font l’objet d’aucune supervision réglementaire.

Dans l’immédiat, l’unique possibilité pour les victimes de récupérer leurs fonds aurait été de demander à leur banque d’effectuer un «chargeback». Cependant, cette option ne fonctionne que pour les paiements effectués avec une carte bancaire. Au regard des informations disponibles, il semble que les clients viraient leurs fonds vers Juicy Fields via virement bancaire ou des services de cryptomonnaies.