(Article mis à jour à 14h avec l’ordonnance de la CJUE sur un autre volet de la même problématique)
Les juges européens obtiendront-ils le résultat que les politiques européens – la Commission européenne et le Conseil européen des ministres – n’ont pas obtenu?
Ce vendredi matin, les quatre principales organisations syndicales de juges européens font savoir dans un rare communiqué de presse qu’elles ont obtenu que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) examine leur recours contre la décision du Conseil européen du printemps, qui permet à la Pologne d’obtenir jusqu’à 35,4 milliards d’euros dans le cadre de son plan de relance et de résilience. Deuxième élément tout aussi important, le recours sera examiné en accéléré, donc potentiellement avant l’été, tandis que des élections législatives doivent avoir lieu en Pologne à l’automne.
Les quatre organisations sont l’Association européenne des juges administratifs (AEAJ), la branche européenne de l’Association internationale des juges (l’Association européenne des juges – à laquelle sont affiliés les juges luxembourgeois qui sont solidaires de cette action), Juges pour juges et Magistrats européens pour la démocratie et les libertés.
Même pas d’action minimale requise…
Dès le 5 avril, le Conseil européen des ministres avait demandé que l’affaire ne bénéficie pas du statut d’urgence et que la date limite pour envoyer son mémoire de défense passe du 26 avril au 5 juin, requête à laquelle la CJUE a opposé une fin de non-recevoir, fixant la date butoir au 3 mai.
Dans l’intervalle, les quatre organisations ont même ajouté un sixième motif. «La Commission européenne a rédigé les accords dans des termes qui pourraient permettre des paiements même lorsque les étapes imparfaites de l’état de droit n’ont pas été respectées – et donc sans même une action corrective minimale de la part de la Pologne», dit le communiqué.
Le torchon brûle depuis 2017 entre la Pologne et l’Union européenne. En jeu ici, l’indépendance de la justice polonaise. La CJUE a déjà exigé des autorités polonaises l’annulation des sanctions disciplinaires imposées illégalement à des juges polonais. Les trois conditions fixées par la Commission européenne en juin 2022 prévoyaient le démantèlement de la chambre disciplinaire de la Cour suprême, la réforme du régime disciplinaire des magistrats et la possibilité pour les juges sanctionnés de voir leur cas réexaminé, ce que le Parlement européen avait ensuite trouvé largement insuffisant.
Double menace polonaise
«S’il semble que tous les juges illégalement suspendus aient entre-temps pu reprendre leur travail, de nombreuses procédures disciplinaires fictives sont encore pendantes à l’encontre des juges et une vaste gamme de sanctions antérieures n’ont pas été annulées et continuent de mettre ces derniers et d’autres juges sous pression indue», dit encore le communiqué des juges européens.
À l’automne dernier, le gouvernement polonais avait d’abord menacé d’introduire un recours contre la Commission européenne si elle ne débloquait pas les fonds avant même d’imaginer trouver des financements en Asie.
Cette double «victoire» des quatre organisations de juges ne préjuge pas de l’issue que donneront les juges de la CJUE à l’affaire.
A la mi-journée, le vice-président de la CJUE a réduit l’astreinte à laquelle la Pologne était soumise depuis 2021: 500.000 au lieu d’un million d’euros par jour. L’ordonnance constate que la Pologne a effectué des modifications législatives… qui ne sont cependant pas suffisantes pour se conformer au respect des textes européens.
«Les effets des décisions adoptées par la chambre disciplinaire de la Cour suprême autorisant l’ouverture d’une procédure pénale contre un juge ou son arrestation n’ont pas été suspendus, en toute hypothèse, de manière immédiate», écrit le vice-président de la CJUE. «La Pologne n’a pas démontré la suspension complète et effective des dispositions interdisant aux juridictions nationales de vérifier le respect des exigences de l’Union relatives à un tribunal indépendant et impartial établi préalablement par la loi ni celles permettant des poursuites disciplinaires contre un juge ayant procédé à cette vérification». La Cour rendra un arrêt sur le fond de l’affaire le 5 juin 2023.