Le «job rotation scheme» permet le remplacement, par un travailleur intérimaire, d’un salarié parti en formation continue, moyennant une indemnité versée à l’employeur. (Photo: Shutterstock)

Le «job rotation scheme» permet le remplacement, par un travailleur intérimaire, d’un salarié parti en formation continue, moyennant une indemnité versée à l’employeur. (Photo: Shutterstock)

Champion d’Europe de la «flexisécurité», le Danemark l’est aussi en matière de rotation des emplois, un système censé doper la formation continue et lutter contre le chômage. Des voix s’expriment en faveur de son introduction au Luxembourg.

«Des effets positifs sont enregistrés» pour les chômeurs et le dispositif propose «une solution au problème de l’absence des travailleurs à des fins de formation», écrivait l’OCDE, l’an dernier, au sujet du «job rotation scheme», introduit en 2006 au Danemark. Chantre de la «flexisécurité», le pays scandinave aux 5,9 millions d’habitants affiche un taux de chômage d’environ 4,2%. Il inspire aujourd’hui la Fondation Idea, qui, dans sa publication «Décryptage», datée de ce mois, suggère l’expérimentation de ce dispositif au Luxembourg.

1. Le «job rotation scheme», c’est quoi?

Tel qu’il existe depuis bientôt 20 ans au Danemark, le «job rotation scheme» poursuit deux objectifs. D’une part, soutenir la formation continue des employés déjà en poste. De l’autre, favoriser le retour au travail de personnes inscrites au chômage.

De quelle manière? En embauchant ces dernières pour le remplacement des premiers nommés, lorsque ceux-ci s’absentent de leur entreprise pour un stage ou une formation de (re)mise à niveau de leurs compétences, sur un temps relativement long. «Cette méthode permet à l’entreprise de bénéficier des nouvelles compétences de l’employé formé et d’assurer la continuité de l’exécution des tâches régulières par un substitut temporaire», écrit l’auteure du «Décryptage» consacré à la question, Ioana Pop, économiste à la Fondation Idea.

2. Comment ça marche?

Dans son article, le think tank de la Chambre de commerce rappelle les règles de fonctionnement de la rotation des emplois à la danoise. Pour l’employeur, il s’agit, dans un premier temps, d’avancer les frais de formation continue du salarié parti parfaire ses connaissances, ainsi que le coût de son salaire et de celui de son remplaçant.

Se met ensuite en branle un mécanisme d’aides publiques, l’agence de l’emploi locale (l’équivalent de l’Adem) ou la commune versant à l’entreprise une indemnité pour chaque heure de travail non réalisée par le salarié absent pour formation, mais effectuée par son remplaçant. Cette indemnité est assumée à hauteur de 60% par l’État.

Les conditions d’éligibilité sont minimalistes: l’employeur ne doit pas être récipiendaire d’autres subsides ayant trait à la rémunération; le salarié doit être présent dans l’entreprise depuis au moins trois mois; son remplaçant doit être inscrit au chômage depuis au moins six mois.

3. Pour quels résultats?

«L’effet net sur l’emploi [du job rotation scheme] est bien positif et il se renforce avec le temps», déduit Ioana Pop d’une étude de l’Agence danoise du marché du travail et du recrutement menée en 2021. L’enquête assurait que les personnes ayant effectué une mission de remplacement gagnaient, un an plus tard, 1,2 point de pourcentage de taux d’emploi par rapport aux autres. Le gain monte à 4 points de pourcentage après un an et demi, 4,9 points après deux ans, et 5,8 points après deux ans et demi. La durée moyenne du remplacement s’établissait à 17 semaines.

Quant à l’impact sur la montée en savoirs des salariés en formation continue, «trois analyses qualitatives issues d’expériences dans les communes de Aarhus, Randers et Norddjurs montrent que ce schéma a aidé à avoir des employés aux compétences renforcées, ainsi qu’à disposer d’un canal de recrutement supplémentaire».

4. Pourquoi cette proposition?

Dans son propos liminaire, l’économiste de la Fondation Idea convoque l’exemple danois à l’appui de ce qu’elle désigne comme «un certain paradoxe» du marché du travail luxembourgeois. À savoir «une hausse du nombre de demandeurs d’emploi diplômés du supérieur concomitante avec une augmentation du nombre d’emplois qui requièrent des qualifications supérieures».

«En effet, entre 2017 et 2023, le nombre de chômeurs diplômés du supérieur et inscrits à l’Adem depuis plus de 12 mois a augmenté de 35,9%, alors que pour ceux issus du secondaire supérieur, la hausse n’était que de 0,2%. Sur la même période, la hausse des chômeurs diplômés du supérieur et inscrits entre 7 et 11 mois était de 50,5% en moyenne, contre 27,3% pour ceux issus du secondaire supérieur», détaille Ioana Pop.

«Dans un contexte de hausse du chômage, la formation des chômeurs et les politiques de réinsertion professionnelle gagnent également en importance. Ainsi, la formation continue favoriserait l’employabilité des chômeurs de longue durée et réduirait la vulnérabilité des salariés, c’est-à-dire leur probabilité de se retrouver au chômage en raison de changements actuels, comme la digitalisation accrue ou l’importance donnée à la dimension environnementale», estime-t-elle encore.    

5. Est-ce applicable au Luxembourg?

La Fondation Idea pense que oui. Couplé au projet de loi, déposé l’an dernier, sur l’introduction d’un programme de gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences, «le système de job rotation pourrait en effet présenter un aspect ‘triple win’: il permettrait aux employeurs de pallier le manque de main-d’œuvre pendant la formation longue continue des salariés, aux salariés d’acquérir de nouvelles compétences et aux chômeurs de bénéficier d’une expérience de travail», indique-t-elle.

«Mettre en œuvre un tel modèle au Luxembourg augmenterait les chances des demandeurs d’emploi de longue durée de réintégrer le marché du travail, en les aidant à retrouver un emploi durable, et renforcerait aussi le filet de sécurité en maintenant leurs droits à percevoir des allocations de chômage», développe Ioana Pop.

«La mise en place de ce schéma devrait cependant tenir compte de certaines contraintes administratives liées aux ressources humaines de l’entreprise et les simplifier au maximum. Une indemnité de rotation serait aussi versée à l’employeur pour l’aider à couvrir les frais de formation du salarié et le salaire du remplaçant», précise-t-elle. Ioana Pop préconise d’adapter le «job rotation scheme», «en fonction du contexte local et des besoins du marché du travail luxembourgeois». Et suggère même d’aller encore plus loin que le Danemark en invitant à réfléchir à «l’élargissement du dispositif à d’autres publics cibles, comme les demandeurs d’emploi ayant des durées d’inscription au chômage plus courtes».