Oberweis fête ses 60 ans d’existence en 2024. De quelle réalisation majeure êtes-vous le plus fier?
Jeff Oberweis. – «D’avoir réussi à avoir les équipes que nous avons aujourd’hui, mon frère Tom et moi. On entend souvent que l’on a les équipes que l’on mérite. Quand je repense à l’entreprise à mon arrivée il y a trois décennies, il y avait moins de collégialité et de compréhension commune qu’aujourd’hui. Je suis fier d’avoir créé une communication transversale aussi bien au niveau des métiers ‘administratifs’ que des métiers techniques, liés à la production.
Votre gamme a évolué au fil du temps. Mais quels sont les fondamentaux intemporels?
«Les produits d’apparence ‘simple’, comme les éclairs, les croissants ou les sandwiches, nécessitent de la recherche, ainsi qu’une préparation et une maîtrise millimétrées. Mais je suis d’avis que même le produit qui plaît le plus peut toujours être amélioré. Alors, il m’arrive de faire évoluer des recettes. Avec le changement climatique, je rencontre des variations de la qualité de certains ingrédients, comme le beurre par exemple. Cela peut engendrer des soucis dans la réalisation des recettes. Il faut donc sans cesse trouver les bons produits, et de préférence par un canal qui soit le plus direct possible.
Était-ce logique pour vous de poursuivre l’aventure entrepreneuriale de votre père?
«Lorsque j’étais jeune, j’aidais déjà à la pâtisserie dans l’entreprise, mais pour autant, je n’ai jamais aimé faire de simples gâteaux. Enfant, j’aimais surtout modeler la pâte d’amandes et travailler avec mes mains. En 1984, lorsque je suis allé à Paris visiter une célèbre pâtisserie avec mes parents, j’ai vu une magnifique pièce en sucre, et c’est là que j’ai su que je voulais devenir chef pâtissier. C’est ce qui m’a révélé le côté artistique du métier. J’ai alors demandé à commencer mon apprentissage, j’ai ensuite participé à des concours, et plus tard j’ai eu cette passion pour la perfection des recettes.
Oberweis est toujours membre de l’association Relais Desserts International. Vous y êtes le porte-voix du Luxembourg?
«Il n’y a pas d’autre représentant du Grand-Duché. On pourrait même dire que je suis le porte-voix de Relais Desserts International à l’étranger en tant que vice-président avec Pierre Hermé. Mon rôle, c’est de défendre la gastronomie française à l’international.
Et la gastronomie luxembourgeoise?
«Nous sommes ancrés dans la gastronomie française, mais nous défendons bien sûr les spécialités et traditions culinaires luxembourgeoises qui sont, par définition, internationales.
Vous avez lancé en 2021 une gamme de pâtisseries véganes. Qu’avez-vous appris de cela?
«J’ai appris que lorsque je ne propose pas du végan, les gens m’en font le reproche. Et lorsque j’en propose, ils n’en consomment pas assez [sourire]. Je pense que la réalisation de ces recettes implique d’avoir une connaissance pointue des matières premières. Ensuite, il faut remplacer certains ingrédients et enfin il faut maîtriser le volet technique. Personnellement, j’aborde le végan comme un défi à relever. Par exemple, j’ai décliné la tartelette soleil en version végane. Cela marche très bien et répond à une certaine demande, surtout du côté des plus jeunes.
Nous projetons d’ouvrir d’abord une boutique et un restaurant à l’horizon 2025.
Vous avez ouvert en 2020 votre première succursale étrangère, à Trèves. Comment se porte-t-elle et en envisagez-vous d’autres?
«Nous sommes très contents de Trèves et nous apprenons beaucoup de cette ouverture. Au début, nous pensions surtout proposer du chocolat et des pâtisseries alors qu’en fait, nous vendons beaucoup de pains et de macarons. Ouvrir ailleurs en Allemagne n’est pas à l’ordre du jour pour le moment. Nous nous concentrons sur le Luxembourg et en particulier Munsbach.
Vous voulez dire la nouvelle unité de production annoncée déjà en 2017?
«Nous projetons d’ouvrir d’abord une boutique et un restaurant à l’horizon 2025. Ensuite, nous espérons entamer la construction d’un nouvel atelier de production plus moderne et plus fonctionnel. Mais les procédures d’autorisation nécessitent beaucoup de temps. L’objectif est de centraliser l’ensemble de la production à Munsbach. Notre implantation de la Cloche d’Or (où se fait actuellement la production, ndlr) restera en activité au niveau de la vente et de la restauration.
Avec huit points de vente au Luxembourg et bientôt neuf avec Munsbach, cela vous suffit-il ou regardez-vous à d’autres emplacements?
«Il faut voir l’évolution du pays et celle des opportunités. Je suis quelqu’un qui fonctionne à l’opportunité. J’ai déjà été sollicité pour de nombreux projets, mais ils me semblent parfois trop contraignants. Au fil du temps, je réalise que ce qui prime pour nous, c’est la visibilité et l’accessibilité, notamment au niveau du parking. Nous avons fait le pari d’ouvrir à Schifflange en 2021 pour mesurer notre notoriété dans le sud du pays et nous ne le regrettons pas. À Munsbach, nous profiterons du flux et de la proximité de l’autoroute. Nous aimerions aussi rénover l’implantation du City Concorde.
Les métiers de l’artisanat sont confrontés à la grande démission et avec ses horaires décalés, j’imagine qu’Oberweis n’y échappe pas. Comment gérez-vous ces difficultés?
«Il faut tenir compte de la réalité: depuis la crise sanitaire, les salariés, et en particulier les nouvelles générations, veulent travailler différemment et il faut donc organiser nos entreprises en conséquence. Travailler raisonnablement avec plaisir est important. Le mal qu’on a aujourd’hui provient du fait que les gens n’ont plus de plaisir au travail. Tant que je suis là, j’essaie de créer une bonne ambiance de travail pour que nos collaborateurs soient heureux au travail.

Tom et Jeff Oberweis dirigent ensemble l’entreprise familiale. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)
Échangez-vous avec votre père Pit sur l’entreprise?
«Pas vraiment, même si mon père est encore quotidiennement présent pour saluer tous nos collaborateurs par exemple. Parfois, il arrive que je l’appelle pour lui demander s’il connaît l’un ou l’autre produit que j’ai goûté récemment. Mon père lit beaucoup et a une très bonne mémoire des noms, il est aussi un observateur averti de l’évolution de la pâtisserie à travers le monde.
Quelle est l’implication de votre frère dans l’entreprise compte tenu de son mandat à la Chambre des métiers?
«En plus de son rôle de directeur dans l’entreprise, mon frère fabrique tous nos chocolats selon la technique ‘bean to bar’, qui consiste à travailler depuis la fève de cacao jusqu’à la tablette de chocolat. Nous livrons ensemble chaque matin la boutique de la gare à 7h15. Ce trajet constitue notre réunion quotidienne.
La nouvelle génération entre en piste avec l’arrivée de vos neveux Louis et Bob Oberweis. Comment cela se passe-t-il?
«Mon frère et moi avons instauré la Charte Oberweis pour nos enfants: chaque jeune qui souhaite entrer au directoire doit avoir exercé un métier dans une autre entreprise pendant trois ans. L’objectif principal est d’apporter de la nouveauté. En plus des trois ans s’ajoutent 30 semaines de parcours d’intégration dans notre firme. Ils découvrent tous les métiers, de la logistique à la comptabilité en passant par la production et sont épaulés par des parrains. En bref, je dirais qu’il faut une bonne tête, de bonnes mains, une compréhension parfaite de l’entreprise et surtout apporter quelque chose de nouveau.
Qu’est-ce que la troisième génération peut apporter de neuf?
«Louis a obtenu un bachelor en sciences avant de s’orienter vers la pâtisserie. Bob a quant à lui étudié les sciences économiques et obtenu un master en management. La nouvelle génération doit d’abord voir ce qu’elle peut faire, trouver sa passion et son plaisir dans l’entreprise pour ensuite apporter sa contribution en fonction de ce qu’elle aime. Aujourd’hui, Louis est responsable de la chocolaterie et Bob responsable de secteur dans la boutique de la Grand-Rue. Mes deux fils sont actuellement impliqués ailleurs: Joé travaille dans un cabinet membre des Big Four et Jacques étudie l’ingénierie à Vienne. Mon neveu Gilles travaille pour sa part au ministère de l’Économie. Leurs parcours pourraient les mener jusqu’à l’entreprise familiale, mais mon frère et moi leur laissons le temps de trouver leur voie.
Je me considère comme un accompagnateur pour mes collaborateurs.
Avez-vous déterminé quand la prochaine génération sera pleinement aux commandes de l’entreprise ou préférez-vous vous impliquer jusqu’au bout?
«Ma mission pour le moment se concentre sur les plans et les préparatifs de l’implantation à Munsbach. Je sens que les enfants ont besoin de cela. Je me positionne en appui de la prochaine génération. Je me considère aujourd’hui non plus comme un dirigeant, mais plutôt comme un accompagnateur pour mes collaborateurs.
Comment définissez-vous ce rôle?
«J’ai le sentiment que je travaille moins mais qu’aujourd’hui, mon travail consiste surtout en une présence. Je donne des coups de main, j’observe les procédures et je corrige les choses. Je suis plus productif qu’avant car j’ai moins la tête dans le guidon et je suis plus calme.
Le sujet de la transmission d’entreprise vous est familier puisque vous avez repris l’affaire familiale avec votre frère, mais que vous opérez la transition avec la «next gen». Quel conseil donneriez-vous aux entrepreneurs concernés?
«Je leur dirais de prendre les décisions importantes au plus tard à partir de la deuxième génération, surtout en ce qui concerne la structuration de l’entreprise, tant au niveau de l’actif que du patrimoine foncier. Il faut faire en sorte qu’il y ait des gens qui connaissent le métier et le transmettent aux générations futures. Chez Oberweis, tous nos enfants sont les bienvenus dans l’entreprise. C’est pourquoi nous avons déjà évoqué les différentes possibilités de carrières et perspectives de chacun. Je constate que beaucoup de personnes organisent la transition avec des conseillers et restent dans la théorie. Ils en oublient l’aspect humain et familial. Le but étant que chacun de nos enfants trouve le meilleur chemin pour sa vie, même si ce n’est pas dans l’entreprise.
Vous avez déjà planché sur la recette du gâteau d’anniversaire des 60 ans d’Oberweis?
«Nous souhaitons plutôt fêter notre anniversaire tout au long de l’année avec nos collaborateurs et nos clients. Nous avons prévu un événement au Tramsschapp, au Limpertsberg, le quartier où mes parents ont ouvert leur premier magasin en 1964. Nous préférons une succession d’actions pour remercier nos clients et nos collaborateurs à un gâteau d’anniversaire.»
Souvenir d’enfance
Pour l’anecdote, Jeff Oberweis a attendu l’âge de 12 ans et son entrée au Lycée de garçons pour vivre sous le même toit que son frère aîné Tom. «Notre habitation était tellement petite que lorsque je suis né, mon frère a dû partir chez notre grand-mère paternelle à 300 mètres de notre appartement car la chambre ne faisait que 8m2 et il n’y avait pas de place pour deux», se remémore le cadet. «Au début de la boulangerie, mes parents n’avaient rien sauf leur courage et leurs mains», résume-t-il.
Cet article a été rédigé pour l’édition magazine de , paru le 12 décembre 2023. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam.
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