François Cordier: «Nous nous sommes inspirés de l’aérospatiale et de l’automobile, où ils essaient d’avoir le moins de matière possible, mais de la matière au bon endroit.» (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

François Cordier: «Nous nous sommes inspirés de l’aérospatiale et de l’automobile, où ils essaient d’avoir le moins de matière possible, mais de la matière au bon endroit.» (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Fin février, la start-up du Technoport, Leko Labs, levait 21 millions de dollars auprès de 2150, Microsoft et Tencent. Son fondateur, François Cordier, a des ambitions pour le roi de la maison en bois en sept jours.

Racontez-moi comment commence votre histoire…

François Cordier. – «Je montais des charpentes de maisons. Tout le monde rêve d’avoir un pavillon. C’est principalement le prix qui motive la décision; la façon dont c’est construit, on s’en moque un petit peu. La façon dont le bâtiment est conçu n’a pas fondamentalement changé depuis des siècles: on empile les pierres ou les agglos les uns sur les autres. Je me suis fait la promesse, à ce moment-là, en 2009-2010, qu’un jour, les gens auraient le droit à autre chose. Cette autre chose, c’est ça (il montre une structure de maison en bois dans le grand hangar où son équipe travaille au Technoport de Foetz, ndlr). Aujourd’hui, en 2022, on est moins cher que le traditionnel. Ce qui est complètement révolutionnaire sur le marché. Moins cher, avec un produit qui est de top qualité.

Comment avez-vous fait?

«Nous nous sommes inspirés de l’aérospatiale et de l’automobile, où ils essaient d’avoir le moins de matière possible, mais de la matière au bon endroit. Nous avons créé un treillis. Ça paraît simple, mais, en réalité, c’est extrêmement complexe. Nous assemblons des morceaux de bois à 90 degrés, on vient les coller et les visser, et on a uniquement le bois où c’est nécessaire. Par rapport aux constructeurs traditionnels, nous parvenons à avoir une empreinte carbone négative.

C’est la maison des trois petits cochons? Plus légère et plus fragile?

«La maison est beaucoup plus légère. Elle n’est pas plus solide, mais suffisamment, et surtout beaucoup mieux isolée, parce que là où on a des vides, on vient les remplir avec de la fibre de bois, matériau extrêmement haut de gamme, coupe-feu, résistant 120 minutes. Et vous allez avoir une super isolation qui permet de conserver la chaleur plus d’une journée dans le bâtiment.

J’imagine que le feu est une objection 1.000 fois entendue?

«Les objections sont toujours les mêmes aujourd’hui: durabilité, feu, isolation. Un bâtiment comme ça, vous pouvez ne pas le chauffer pendant une journée, il va garder la température. Nous avons fait des comparatifs avec le béton: au bout de huit heures, la température chute soudainement. Aujourd’hui, nous parlons beaucoup des bâtiments super isolés, triple A, etc. La valeur prise en compte pour le passeport énergétique est calculée sur une seconde, alors qu’un bâtiment, ça vit! ­La chaleur résiduelle, dans nos bâtiments, existe encore 10 à 12 jours après. Vous n’avez quasiment pas besoin de chauffer, c’est super confortable, sans parler de l’isolation acoustique.

À quoi sert cette sorte de grille verticale?

«Aujourd’hui, comment fabrique-t-on les murs? Notre processus de fabrication est semi-­automatisé, là où les opérateurs font beaucoup de choses à la main, même quand ils sont assistés par ordinateur. Dès le départ, on savait que le futur ne serait pas «à la main», mais avec des robots. Ça permet d’écraser les coûts. Nous développons cela depuis trois ans en interne. Au lieu d’avoir des opérateurs qui prennent les bouts de bois et mettent des vis, ce sont des robots qui le font à leur place, et au lieu de le faire à plat, nous allons le faire avec une table verticale, que nous avons appelée ‘Octopuss’, brevetée, et qui va permettre de fabriquer un mur complètement en lévitation.

Notre mur fait trois mètres par six mètres, et Octopuss compte quatre petites plaques qui composent une seule et même plaque de 72 petites plaques. Il va y avoir un rail, deux robots fixés sur le rail, qui vont prendre les bouts de bois et les accrocher sur la grille. Puis, ils collent et ils vissent. Il y aura un pont roulant au-dessus, et ça part pour être emballé et envoyé sur le chantier. C’est unique au monde.

C’est étrange que cela n’existe nulle part ailleurs, alors que cela semble si évident.

«C’est fou, mais c’est vrai! L’idée est d’utiliser le moins de bois possible. Par rapport au mass timber (le bois d’ingénierie, ndlr), qui est en train de prendre beaucoup de parts de marché, on utilise deux fois moins de bois. Ça fonctionne grâce à la robotique et au logiciel que nous avons développés. Le logiciel est très important parce qu’il faut piloter les robots, et chaque mur est différent. Le robot doit le comprendre au moment de prendre les bonnes pièces et de les assembler de la bonne manière.

Mi-février, vous avez annoncé une levée de fonds de 22 millions d’euros, dans la fourchette haute des levées de fonds des start-up au Luxembourg. À quoi cela va vous servir? 

«Nous avons recruté Remo Gerber, qui vient de chez Lilium, dont la spécialité est la levée de fonds. Je ne me fais aucun souci là-dessus. La difficulté est que c’est une course contre la montre. Il faut avoir cet équipement qui va être suffisamment rapidement prêt pour répondre à l’explosion des demandes commerciales. Là, nous sommes en train d’être extrêmement sollicités dans les pays nordiques, au Danemark, notamment, en Suède pour un projet de 17.000 mètres carrés – c’est énorme –, et il faut pouvoir produire les panneaux. Maintenant que nous avons du cash, nous devons trouver les personnes.

Comme beaucoup d’entreprises au Luxembourg…

«C’est pour cela que nous avons décidé d’ouvrir quelque chose à Londres et à Zurich, et de garder le siège au Luxembourg. Parce qu’à Londres, nous allons beaucoup plus facilement embaucher des ingénieurs structures, des développeurs informatiques. À Zurich, nous allons trouver des talents dans tout ce qui est bois. À Luxembourg, nous allons continuer à développer la robotique et l’unité de production. Nous sommes bien situés. Nous sommes en train de regarder avec la plateforme des CFL à Bettembourg pour amener nos panneaux en train au Danemark. Ce serait assez cool, et ça permettrait de capitaliser sur ce qui a été développé ici. Ça a du sens. 

Justement, ce que vous faites, vous le faites par conviction écologique, par opportunisme économique…? Qu’est-ce qui vous motive?

«Au début de mon parcours d’entrepreneur, en 2007, j’ai eu une vraie prise de conscience écologique. J’ai commencé à regarder comment je m’habillais, ce que je mangeais. Je ne suis pas un ayatollah: je fais attention à ce que je consomme. Pour moi, arrêter de couler du béton alors qu’on n’en a pas besoin, ça dépasse la logique green, c’est du bon sens. Faire quelque chose de bien avec une ressource renouvelable comme le bois, qui stocke du carbone parce que 50% du bois est du carbone, ce n’est pas simplement une logique green. Développer une entreprise est le meilleur outil dont on dispose dans le monde moderne pour changer les choses. Ça fait plus de 15 ans que je bosse là-dessus… Des retours sur investissement, il y en a des plus rapides que cela. 

Développer une entre­prise est le meilleur outil pour changer les choses.
François Cordier

François CordierCEO et fondateurLeko Labs

Quinze ans, ça veut dire qu’aujourd’hui, c’est un peu la fin d’une traversée du désert, d’une longue période de gestation…

«C’est difficile, parce que je me rappelle avoir écrit sur le tableau avec mon équipe et avoir dit: «On va accélérer la transition écologique mondiale vers un habitat durable.» Quand j’ai écrit «mondiale», on m’a regardé en me disant: ‘Tu es fou, nous sommes quatre!’ Aujourd’hui, nous sommes sollicités pour un projet au Danemark, nous avons un investisseur qui s’appelle Tencent, un des mastodontes de la tech, qui nous sollicite déjà pour faire une ville en Chine. C’est un projet mondial. Il n’y a qu’en Europe qu’on est toujours frileux et qu’on n’assume pas son ambition. J’aime beaucoup cette phrase qui dit que les succès immédiats mettent des années à se construire. Maintenant que le projet prend une telle dimension, nous allons être confrontés à des problèmes qui vont être autrement plus compliqués que ceux que nous avons été amenés à gérer jusqu’à maintenant. Nous devons nous entourer des bonnes personnes. 

La levée de fonds s’est accompagnée d’un pas de côté pour vous, puisque vous quittez la fonction de CEO pour celle de CTO. Comment le comprendre?

«Je suis le président du conseil d’administration et actionnaire majoritaire, ce qui est unique pour une entreprise de cette taille qui lève autant de fonds. Je me suis plutôt bien entouré pour pouvoir permettre au projet de grandir pendant que moi, je me concentre là où j’apporte une valeur ajoutée. Derrière nos discussions, il y a quelque chose qui sort. Il faut être assez humble pour se dire que l’on n’est pas le meilleur leveur de fonds du monde, que l’on n’est peut-être pas le meilleur CEO du monde, mais que si on trouve quelqu’un de bien meilleur que soi, c’est bien.

Il y a deux ou trois fondateurs qui feraient mieux de ravaler leur ego… Il ne faut pas avoir peur d’embaucher des gens qui sont plus intelligents que nous! Ces dernières années, le fait que le fondateur ne soit pas CEO était assez mal vu par les VC, mais chaque boîte est différente. Nous avons recruté quelqu’un qui a de l’expérience, nous avons besoin de lever des capitaux parce que c’est une course contre la montre, parce qu’il y a des compétiteurs, et parce que le changement climatique n’attend pas. Mon ego et mon rôle de CEO, ce n’est pas le sujet. 

De gros chantiers, en Chine ou en Suède, ça implique quoi, au niveau opérationnel? 

«Nous croyons beaucoup à la logique de la production sur place. Donc, à terme, nous aurons des unités décentralisées, dans les pays nordiques, en Grande-Bretagne, pourquoi pas un jour en Chine. Nous regardons beaucoup comment transporter nos éléments en train. Nous pouvons produire à Luxembourg.

Jusqu’à quand vous voyez-vous dans cette société? Quinze ans, c’est déjà long…

«D’abord, je dois me prouver que je peux avoir du succès. Mon échelle, c’est le milliard. Le milliard d’euros de revenus. À partir du milliard, vous commencez à avoir un impact planétaire, c’est en tout cas ce que je crois. Je vois le milliard d’ici cinq ans. On a un marché en train de changer, une offre assez limitée de construction à bas carbone; la nôtre est scalable et compétitive. Ça pourrait être 10. Ou 100. À terme, ce sera sûrement ça, l’échelle du projet. Quand j’ai rencontré Remo, il ne comprenait pas qui j’étais. Je suis curieux, dans beaucoup de domaines. Je lis beaucoup, alors que l’entrepreneuriat ne s’apprend pas à l’école. Les masters en entrepreneuriat, c’est bien, c’est mignon, on y apprend certainement des choses très intéressantes, mais l’école de la vie, cela ne se remplace pas.»

Cet article a été rédigé pour l’édition magazine de  parue le 30 mars 2022. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam.

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