Carlo Thelen, directeur général de la Chambre de commerce. (Photo: Mike Zenari / Archives)

Carlo Thelen, directeur général de la Chambre de commerce. (Photo: Mike Zenari / Archives)

Le directeur général de la Chambre de commerce, Carlo Thelen, revient sur les éléments marquants de 2019 et se projette vers une année 2020 qui sera, selon toutes les projections, à nouveau marquée par les incertitudes politiques et financières. Le ralentis­sement économique apparaît en toile de fond des prévisions, y compris pour le Luxembourg. Sans parler forcément de récession. Encore moins de crise.

Quel mot vous vient en tête en repensant à 2019?

.- «Je pense au mot ‘Brexit’. Ou plutôt ‘no Brexit’. Cet événement historique qui n’a jamais eu lieu après avoir été annoncé en mars, en mai, en octobre puis pour janvier 2020. Ces reports sont à l’image de ce qu’a été 2019, caractérisée par une incertitude à bien des égards. On ne peut être sûr que d’une chose, c’est qu’il y aura de plus en plus d’incertitudes. De nombreux observateurs nous annonçaient d’ailleurs une crise économique qui, fort heureusement, n’a pas eu lieu, même si la météo conjoncturelle demeure assez morose pour beaucoup d’entreprises.

Les relations économiques seront forcément plus compliquées avec le Royaume-Uni après sa sortie de l’UE?

«Tout dépend de la teneur exacte des modalités de sortie, mais on peut déjà entrevoir les répercussions négatives pour le Royaume-Uni sur le plan économique. Avec, selon la Commission européenne, une croissance prévue de 1,3% pour 2019 et 1,4% pour 2020, alors qu’elle était encore proche de 2% par an de 2010 à 2014. Pendant la phase de négociation des relations économiques futures, j’ose espérer que les dégâts resteront limités. Au Grand-Duché, les secteurs sem­blent bien préparés au Brexit. La Chambre de commerce a accompagné les entreprises dans la préparation du Brexit à travers sa helpline dédiée.

L’Allemagne ne sera sans doute plus le moteur de l’économie européenne.
Carlo Thelen, directeur général de la Chambre de commerce

Carlo Thelen, directeur général de la Chambre de commerce

L’Allemagne a souffert cette année, en raison du ralentissement de son industrie automobile. Quelles sont les perspectives au niveau du moteur de l’économie européenne?

«Cet été, l’industrie, qui pèse 20% dans le PIB allemand, affichait une contraction de 5%. Dans les prochaines années, l’Allemagne ne sera sans doute plus le moteur de l’économie européenne. En 2019, la croissance allemande devrait atteindre 0,4% selon la Commission, contre 1,1% pour la zone euro. En 2020, l’Allemagne devrait toujours afficher un taux en retrait au sein de l’union monétaire, avec 1% contre 1,2% en zone euro. Quant à la France, qui devient de facto le principal moteur, elle affiche 1,3% tant cette année que l’an prochain.

Quid au niveau mondial?

«On attend un ‘petit’ taux, de l’ordre de 2,9%, pour 2019 et 3,0% en 2020. Malgré le fait que l’Allemagne sera concernée par les tensions commerciales entre la Chine et les États-Unis, elle est aussi fortement affectée par le ralentissement de son industrie automobile. Les conséquences indirectes se font sentir au Luxembourg, avec certaines difficultés pour les fournisseurs de composants automobiles.

Quels seront les marchés à surveiller en 2020?

«Nous sommes en train de mettre en place un programme dans le cadre de l’Expo universelle de Dubaï. D’une manière générale, le Luxembourg a tout intérêt à continuer à se profiler comme un pays pleinement en phase avec la mondialisation, à être moins discret. Nous avons de belles choses à montrer, dont nous pouvons être fiers. Quant à notre image, le gouvernement a entrepris des efforts louables de mise en conformité pour sortir de toutes les ‘listes’, mais d’autres pays (Belgique, Pays-Bas, Royaume-Uni, Irlande…) et juridictions renforcent leur attractivité (fiscale et autres…) et concurrencent nos business models. En restant agile et innovant, le Luxembourg pourra rester compétitif et créer de nouveaux atouts autour du développement durable. C’est en tout cas ce que nous ambitionnons de montrer à Dubaï.

Nous savons que les politiques monétaires accommodantes des banques centrales ne peuvent pas continuer éternellement.
Carlo Thelen, directeur général de la Chambre de commerce

Carlo Thelen, directeur général de la Chambre de commerce

Les banques centrales continuent à soutenir les économies par des politiques accommodantes. La situation va-t-elle perdurer?

«Les politiques monétaires, la masse monétaire et le risque de surévaluation de certains actifs (l’immobilier notamment) font partie des éléments à surveiller pour 2020. Nous savons que les politiques monétaires accommodantes des banques centrales ne peuvent pas continuer éternellement, mais remonter trop brutalement les taux d’intérêt s’avérerait difficile dans le contexte actuel. Le véritable risque est de voir les dettes publiques demeurer à des niveaux élevés, comme en France, en Italie ou en Belgique, et ce malgré des coûts de financement des États historiquement bas.

Le Luxembourg doit-il s’inquiéter du contexte actuel?

«Le ralentissement est en cours. On le voit par exemple dans la logistique, certaines industries et même dans le secteur de la construction, où la demande est forte et dont le manque de main-d’œuvre constitue un goulot d’étranglement. Mais tant que l’emploi et la consommation privée se tiennent, tant que les pouvoirs publics veillent à assurer ou renforcer l’attractivité économique du Luxembourg, je ne vois pas de raisons de prévoir une crise majeure. Les atouts traditionnels du Luxembourg (triple A, stabilité politique…) assurent une certaine résilience économique de notre pays face aux chocs internationaux. À nous de sauvegarder ces avantages, voire d’en développer de nouveaux.

Dix ans après la crise, a-t-on tiré tous les enseignements nécessaires?

«Les instruments ont été développés pour éviter une situation similaire à celle qui s’est présentée en 2008-2009. Mais je note que si l’idée était d’éviter d’avoir un paysage bancaire composé de banques ‘too big to fail’, certaines d’entre elles ayant éprouvé de graves difficultés en 2008, la réglementation est en train de produire l’effet inverse.

En effet, les obligations réglementaires imposant une certaine taille critique pour supporter les dépenses, on se retrouve à nouveau face à un paysage dominé par des banques systémiques, mais dont les obligations réglementaires sont autrement plus complexes et lourdes qu’il y a dix ans. Ces règles permettraient probablement d’assurer une certaine résistance, mais elles ont un prix élevé pour ce secteur et pour l’économie dans son ensemble. Le phénomène d’‘over-regulation’ guette.

Nous demandons également que le marché intérieur soit renforcé, en premier lieu au sein de la Grande Région, qui est en réalité une ‘mini Europe’ où les bienfaits de l’intégration sont vécus au jour le jour.
Carlo Thelen, directeur général de la Chambre de commerce

Carlo Thelen, directeur général de la Chambre de commerce

Dix ans après, le Luxem­bourg reste très dépendant de son secteur financier. Est-ce une faiblesse structurelle?

«Tout d’abord, le secteur financier est extrêmement diversifié. La Place est relativement solide et a plutôt bien passé le cap de la crise, même s’il avait fallu l’intervention étatique pour assister deux groupes bancaires, pour des raisons qui n’étaient pas liées au Luxembourg. Cela dit, la diversification de l’économie s’est poursuivie et la place financière elle-même s’est diversifiée durant cette décennie: elle ne constitue nullement un monolithe. Cette situation renforce la résistance de notre économie en général et de la Place en particulier à tout choc économique international potentiel.

Qu’attendez-vous de la nouvelle Commission européenne?

«Nous avons synthétisé une série de recommandations à destination de la Commission européenne, que nous avons remises également aux six eurodéputés luxembourgeois. D’une manière générale, nous plaidons pour un environnement ‘pro business’. 67% de l’emploi total en Europe est obtenu par les PME, qui ont besoin d’un environnement véritablement propice à leur éclosion et leur croissance.

Nous demandons également que le marché intérieur soit renforcé, en premier lieu au sein de la Grande Région, qui est en réalité une ‘mini Europe’ où les bienfaits de l’intégration sont vécus au jour le jour. Pour nos entreprises, cela veut dire lever au maximum les barrières administratives entre les pays, qui ont parfois supplanté les frontières d’autrefois.

Le Green Deal est annoncé comme la pièce maîtresse de la Commission Von der Leyen…

«C’est très important, mais il faut veiller à un certain ‘level playing field’ à l’échelle mondiale pour que l’industrie européenne ne soit pas défavorisée par rapport à l’industrie américaine notamment. La délocalisation du carbone ne rime pas avec décarbonisation. L’Europe peut devenir un exemple dans ce domaine en tant qu’axe majeur de diversification économique, à condition que les efforts soient encouragés positivement sans forcément opter par défaut pour une approche punitive, basée sur la réprimande.

Je crois à l’intérêt d’instruments incitatifs, dans une démarche d’‘écologie positive’. La politique doit fournir un cadre attractif et prévisible et encourager l’innovation et l’investissement. La neutralité technologique doit être assurée. Ni l’Europe ni le Luxem­bourg ne connaissent aujourd’hui les innovations qui permettront de décarboner le plus efficacement l’économie et la société en 2030 et a fortiori en 2050.

Je vois beaucoup de potentiel pour notre industrie à travers les accords volontaires, la création d’incitations à l’inversement et les mesures de soutien à l’efficacité énergétique qui devraient se retrouver dans le PNEC.
Carlo Thelen, directeur général de la Chambre de commerce

Carlo Thelen, directeur général de la Chambre de commerce

Le gouvernement vient de dévoiler les grandes lignes du plan national intégré en matière d’énergie et de climat (PNEC). Qu’en espérez-vous?

«Dans ce cas aussi, nous espérons qu’il s’articulera de façon fluide, sans pénaliser les entreprises existantes, sans effrayer les acteurs qui voudraient s’implanter ici et sans favoriser le départ d’entreprises. Nous devons tous apporter notre contribution à la lutte pour le climat en réduisant notre empreinte carbone. Mais nous devons axer les actions sur la participation positive des acteurs, jouer sur les incitations et pas la création de clivage dans la société.

Je vois beaucoup de potentiel pour notre industrie à travers les accords volontaires, la création d’incitations à l’inversement et les mesures de soutien à l’efficacité énergétique qui devraient se retrouver dans le PNEC. Le nerf de la guerre reste les transports, qui comptabilisent les deux tiers de nos émissions. Là aussi, la délocalisation n’entraînera aucun bénéfice, mais un très significatif déchet fiscal.

La question de la croissance qualitative resurgit régulièrement dans le débat public. Comment faut-il l’aborder en 2020?

«Nous devons ranimer le projet Rifkin de la troisième révolution industrielle. De belles idées sont sorties du processus lancé en 2016, certains projets sont en cours, mais nous devons chercher à décliner cette philosophie dans tous les domaines pour obtenir une meilleure mobilité, développer l’économie circulaire, favoriser une transition énergétique harmonieuse. Les parties prenantes ont droit à une ‘clause de rendez-vous’ avec les autorités pour faire l’état des progrès réalisés et des opportunités générées dans le sillage du projet Rifkin.

Ceci dit, nous devons promouvoir un modèle qualitatif de croissance, tout en sachant que nous avons besoin d’une croissance soutenue, qui est incontournable, ne serait-ce que pour financer notre modèle social. Selon la Fondation Idea et en l’absence de réformes, un taux de croissance de l’ordre de 5% par an serait même requis pour éviter, à terme, une dérive des dépenses de pension.

2020 sera marquée par la réforme fiscale annoncée par le gouvernement. Qu’en attendez-vous?

«Même si on dit que la fiscalité n’est pas tout, ce n’est pas rien non plus! Amsterdam, Londres, Dublin, Genève… les autres centres de la finance ne nous attendent pas et tous n’ont pas les mêmes problèmes que nous pour attirer des talents. Surtout lorsqu’on re­marque que les taux d’affichage et effectifs d’imposition des sociétés luxembourgeoises sont proches selon la Commission européenne.

Nous devons aller au-delà d’une approche attentiste, opter pour une réforme ambitieuse en ce qui concerne la réduction de l’impôt sur les collectivités, l’impôt commercial communal, l’impôt sur la fortune ou la taxe d’abonnement. Par ailleurs, il faut rétablir la prévisibilité en matière fiscale, un atout luxembourgeois qui s’est affaibli au cours des dernières années.»