La Grande-Duchesse Maria Teresa est la présidente et fondatrice de l’ONG Stand Speak Rise Up! qui lutte contre le viol comme arme de guerre. «Stand Speak Rise Up! est aussi capable de répondre à des situations d’urgence, comme en Afghanistan, où les terroristes sont en train d’emmurer vivantes les 28 millions de femmes». (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne/archives)

La Grande-Duchesse Maria Teresa est la présidente et fondatrice de l’ONG Stand Speak Rise Up! qui lutte contre le viol comme arme de guerre. «Stand Speak Rise Up! est aussi capable de répondre à des situations d’urgence, comme en Afghanistan, où les terroristes sont en train d’emmurer vivantes les 28 millions de femmes». (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne/archives)

Le «viol comme arme de guerre» est une problématique mondiale difficile à mesurer en raison de la stigmatisation et de l’insécurité des victimes. Les Nations unies estiment que le phénomène a augmenté de 50% en 2023. Cette cause est devenue le cheval de bataille de la Grande-Duchesse Maria Teresa, de son association Stand Speak Rise Up! créée en 2019… et de Luxair, qui soutient l’association avec un nouveau partenariat.

Comment avez-vous découvert ce phénomène et pourquoi avoir voulu vous engager pour cette cause?

. – «J’ai découvert ce phénomène grâce au Dr Denis Mukwege (médecin congolais, prix Nobel de la paix 2018, ndlr), lors d’une conférence qui m’a bouleversée. Il m’a expliqué qu’il existait un groupe de survivantes, venues du monde entier, victimes du viol comme arme de guerre. Ce qui m’a fait prendre conscience que ce problème est mondial. Ces survivantes n’étaient entendues par personne et avaient besoin de visibilité. Cela rentre complètement dans la manière dont j’ai toujours agi, car j’ai toujours pensé qu’à la place où je suis, je désire être le porte-voix de celles et ceux que l’on veut le moins entendre. Nous avons donc eu l’idée d’organiser un forum, dans lequel les survivantes seraient le cœur de cet événement.

Ce forum a été un déclencheur…

«Oui, à ce moment, l’association n’était pas encore créée. Mais il y a véritablement eu un avant et un après. Il s’agissait du premier forum dans lequel les principales concernées étaient le cœur du forum. Elles sont montées sur scène et ont pris la parole, devant 1.500 personnes. Cela a été un grand succès. Nous avons pu mettre en lumière aux yeux des Nations unies une situation dont on avait très peu connaissance à ce moment-là: le sort des enfants nés du viol. Une résolution aux Nations unies est née à la suite du forum. Mais à ce moment-là, il n’y avait pas l’Ukraine à grande échelle, il n’y avait pas le 7 Octobre, peu de gens avaient connaissance de ce phénomène. Le monde ne se sentait pas vraiment concerné.

Aujourd’hui, les gens sont (malheureusement) obligés de voir cette réalité en face, bien qu’elle puisse déranger.
SAR la Grande-Duchesse Maria Teresa

SAR la Grande-Duchesse Maria Teresaprésidente et fondatriceStand Speak Rise Up!

Cela a évolué aujourd’hui?

«Oui, grâce au forum, mais aussi à cause de deux situations dramatiques: l’Ukraine et le 7 Octobre (2023, ndlr). Tout à coup, nous nous sommes rendu compte qu’il s’agissait bien d’une thématique d’actualité, très proche de nous. Au départ, lorsque nous sollicitions des banques ou des sociétés, certaines ne voulaient pas nous aider, car elles ne voulaient pas être associées à cette thématique… Depuis la guerre en Ukraine, l’invasion du Donbass et les premiers récits de victimes, nous nous sommes retrouvés plongés dans cette réalité qui a lieu à quelques centaines de kilomètres du Luxembourg. Ça a été un premier réveil, avant le 7 octobre et toutes les horreurs que l’on a vues et entendues. Aujourd’hui, les gens sont malheureusement obligés de voir cette réalité en face, bien qu’elle puisse déranger, et cela conduit à une libération de la parole. D’ailleurs, même dans nos pays, des femmes sont victimes de violences conjugales et de viols dans le secret de leur relation conjugale. C’est aussi une horreur dont on entend de plus en plus parler. Par ailleurs, le Dr Mukwege expliquait que le viol, dans les pays en situation de guerre, n’est qu’une exponentielle des viols qui se passent de manière courante dans toutes nos sociétés. Ces récits sont extrêmement difficiles, mais ils doivent aujourd’hui être entendus.

La Grande-Duchesse Maria Teresa, à droite du Dr Mukwege, lors du Gala de Biarritz en octobre 2022. (Photo: SSRU/Julio Piatti)

La Grande-Duchesse Maria Teresa, à droite du Dr Mukwege, lors du Gala de Biarritz en octobre 2022. (Photo: SSRU/Julio Piatti)

Après le forum, vous avez décidé de créer l’association Stand Speak Rise Up! en 2019. Pourquoi?

«Une fois que le forum était passé, je ne pouvais pas laisser tomber ces femmes. Nous avions tissé un lien très spécial. Je me suis dit que l’indignation ne pouvait pas suffire, qu’on ne pouvait pas en rester là, et qu’il fallait pérenniser cette action. J’ai donc pu, avec Chékéba Hachemi (militante et première femme afghane diplomate, ndlr) et Stéphane Bern, créer l’association pour permettre une action continue afin d’aider les survivantes. L’action de l’association repose à la fois sur un plaidoyer et sur des actions concrètes.

Pourquoi ce sujet demeure-t-il aujourd’hui un tabou?

«Je crois que le tabou sera fatalement là, car le viol comme arme de guerre est une manière de détruire la personne humaine, la femme. Je n’oublierai jamais ce que nous ont dit les survivantes: ‘Nous sommes des mortes-vivantes, nous sommes détruites intérieurement.’ Et tout mon but était, à travers une reconnaissance, de les aider à se reconstruire pour qu’elles puissent de nouveau avoir la tête haute et retrouver confiance en elles.

Chékéba Hachemi (à droite) est cofondatrice de SSRU. Elle est la première femme afghane à avoir été diplomate et est l’autrice du roman «L’Insolente de Kaboul». (Photo:Maison du Grand-Duc/Sophie Margue)

Chékéba Hachemi (à droite) est cofondatrice de SSRU. Elle est la première femme afghane à avoir été diplomate et est l’autrice du roman «L’Insolente de Kaboul». (Photo:Maison du Grand-Duc/Sophie Margue)

Quelles sont les conséquences pour les femmes victimes de tels crimes?

«Le viol comme arme de guerre est une bombe à sous-munitions qui fait des dégâts sur des générations entières. Parce que vous détruisez la femme, sa descendance, son village, sa famille, son tissu social. Tout se retrouve comme explosé. Ces femmes sont soumises à des doubles peines à répétition puisque non seulement elles sont détruites par le viol, mais elles sont aussi rejetées par leur communauté. Leurs enfants nés du viol sont aussi rejetés. Un grand nombre de ces femmes se sont retrouvées contraintes, par exemple, de se prostituer, n’ayant pas d’autres solutions.

En plus d’aider les survivantes, Stand Speak Rise Up! se mobilise également pour les enfants nés du viol. Ici, Sylvia Acan, survivante présente au Forum en 2019, entourée des bénéficiaires du projet d’éducation aux enfants nés du viol en Ouganda. (Photo: SSRU)

En plus d’aider les survivantes, Stand Speak Rise Up! se mobilise également pour les enfants nés du viol. Ici, Sylvia Acan, survivante présente au Forum en 2019, entourée des bénéficiaires du projet d’éducation aux enfants nés du viol en Ouganda. (Photo: SSRU)

Sait-on aujourd’hui combien de femmes sont touchées par ce fléau?

«Non, nous n’avons pas de chiffres, car beaucoup de victimes n’en parlent pas. Je crois que si nous pouvions connaître le vrai nombre de victimes, nous serions absolument horrifiés. Mais nous savons par exemple qu’au Congo, dans la région des Grands Lacs, on compte environ cinquante femmes violées chaque jour, des viols qui sont accompagnés de torture.

Quelles actions concrètes menez-vous pour les aider?

«Nous avons beaucoup de projets à travers le monde. Mais ce qui est très important pour nous, c’est de permettre à ces femmes d’atteindre une autonomie et une indépendance. Certaines qui ont participé au forum sont par exemple devenues des présidentes d’associations dans leurs pays qui aident d’autres femmes, comme Tatiana Mukanire, une victime originaire du Congo qui a écrit son propre livre, publié aux ­Éditions des femmes, grâce au soutien de Stand Speak Rise Up! Elle est aussi à la tête d’un mouvement qui aide ces femmes à créer leur propre entreprise. Nous accompagnons aussi des microprojets, des projets d’écoles pour les enfants nés du viol, comme en Ouganda. Nous sommes certes une toute petite ONG, mais une des rares à s’occuper du sort des enfants nés du viol. Cela a aussi donné naissance à de vraies communautés d’entraide dans les pays des victimes: elles partagent leurs bonnes pratiques, leurs expériences…

Parmi les actions que vous portez, l’indépendance économique de ces femmes est un objectif. Pourquoi est-ce un élément-clé de leur reconstruction?

«Le but de ces viols comme armes de guerre est de détruire ces femmes pour qu’elles ne soient plus capables de revenir dans la communauté. Un de nos objectifs est donc de les ramener dans la communauté, que ce soit à travers l’accès à un logement, par exemple, pour être sûrs qu’elles ne seront plus jamais mises dehors. Cela passe aussi par des bourses d’accompagnement. La femme a besoin d’être indépendante financièrement pour pouvoir faire ses propres choix. Mais Stand Speak Rise Up! est aussi capable de répondre à des situations d’urgence, comme en Afghanistan où les terroristes sont en train d’emmurer vivantes les 28 millions de femmes. Notre aide d’urgence alimentaire aide ces femmes qui étaient encore il y a trois ans des juristes, des profs, des journalistes. Nous portons aussi un projet médical de formation des sages-femmes, mais aussi d’accompagnement par des bourses d’études les jeunes Afghanes qui se retrouvent en Iran et au Pakistan dans des camps de réfugiés.

La Grande-Duchesse Maria Teresa et Chékéba Hachemi vont régulièrement à la rencontre d’entreprises ou d’institutions pour les sensibiliser, comme ici à la BEI, au Kirchberg, au mois d’octobre. (Photo: SSRU/Sophie Margue)

La Grande-Duchesse Maria Teresa et Chékéba Hachemi vont régulièrement à la rencontre d’entreprises ou d’institutions pour les sensibiliser, comme ici à la BEI, au Kirchberg, au mois d’octobre. (Photo: SSRU/Sophie Margue)

Sur le plan juridique, quelles sont les avancées?

«Nous travaillons avec une association suisse qui s’appelle Trial International et qui a porté la problématique des enfants nés du viol et la question de la réparation. Cela a donné des résultats concrets, comme en Bosnie-Herzégovine ou ailleurs. Nous travaillons avec cette association pour essayer de trouver les responsables de ces horreurs et de les traduire devant la Cour pénale internationale et les tribunaux compétents, car le viol est un crime de guerre constitutif de crimes contre l’humanité, et de crimes de génocide. À notre échelle, nous savons que nous ne pouvons pas tout faire, donc nous nous associons avec d’autres associations ou structures qui défendent cette cause pour être les plus efficaces et performants possible, avec toujours la volonté que notre aide aille directement aux survivantes que nous connaissons.

Pourquoi les entreprises, aussi, ont-elles tout intérêt à s’intéresser à cette problématique?

«La responsabilité sociale des entreprises fait que le personnel est de plus en plus intéressé de savoir comment aider. C’est important pour nous, car c’est une façon de faire parler de la thématique et de récolter des fonds pour mieux aider les survivantes. Par ailleurs, nous n’avons pas de subventions publiques: l’association repose sur des dons privés. Nous reposons également sur une vision holistique, c’est-à-dire que l’on intervient pour aider une personne à plusieurs stades de sa reconstruction, jusqu’à son autonomisation. Cela passe par l’aide psychologique, sociale, du matériel… Aujourd’hui, plusieurs entreprises luxembourgeoises nous soutiennent, comme Luxair par exemple, avec la volonté de , et nous avons tout un réseau d’ambassadeurs qui sont des personnes très engagées. Nous travaillons aussi sur le mécénat de compétences et sur un projet de mentoring des survivantes à distance.

Voici l’avion de Luxair aux couleurs de Stand Speak Rise Up!. Le design a été conçu par Madhurika Modani et reflète les histoires de femmes ayant vécu des souffrances, symbolisées par des morceaux de papier déchirés. (Photo: Luxair)

Voici l’avion de Luxair aux couleurs de Stand Speak Rise Up!. Le design a été conçu par Madhurika Modani et reflète les histoires de femmes ayant vécu des souffrances, symbolisées par des morceaux de papier déchirés. (Photo: Luxair)

Quels sont les projets de l’association pour les cinq ans à venir?

«Avec la mise en place de la lieutenance puis l’abdication en temps voulu, je pourrais me consacrer plus que jamais à Stand Speak Rise Up!, pour continuer d’accompagner les survivantes dans leur reconstruction. Je m’en réjouis profondément. Notre mot d’ordre reste ‘Nothing about us without us’, c’est-à-dire que l’on ne fait rien sans les principales concernées, les survivantes. Nous ne prétendons pas que nous pourrons arrêter les guerres, mais si l’on peut au moins faire en sorte que le viol ne soit plus une arme de guerre, nous aurons déjà fait un grand pas.»

Cet article a été rédigé pour l’édition magazine de parue le 20 novembre. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam. 

 

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