«Le Barreau évolue dans le sillage du secteur financier, qui a connu une progression extraordinaire», souligne le bâtonnier Pit Reckinger. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

«Le Barreau évolue dans le sillage du secteur financier, qui a connu une progression extraordinaire», souligne le bâtonnier Pit Reckinger. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

À l’occasion de la Journée européenne des avocats, ce mercredi 25 octobre à Luxembourg, le bâtonnier Pit Reckinger fait un point de conjoncture sur les cabinets d’affaires. Pour le chef de l’Ordre, si le marché reste très concurrentiel, le métier n’est pas plus dur qu’il y a 20 ans.

Le Luxembourg est prêt à accueillir, ce mercredi 25 octobre, la Journée européenne des avocats – une journée qui «célèbre les valeurs communes des avocats et leur rôle dans la promotion de l’État de droit, ainsi que leur contribution au système judiciaire et la défense des droits des citoyens», selon le Barreau de Luxembourg.

Il faut dire que le pays connaît la plus forte densité d’avocats d’Europe. Entre 2018 et 2023 (état au 19 octobre), le nombre d’avocats inscrits est ainsi passé de 2.615 à 3.395, et le nombre d’études de 480 à 559, toujours selon le Barreau. «La croissance du nombre d’avocats atteint 6% par an», se réjouit le bâtonnier de l’Ordre des avocats

Comment s’explique cette forte progression?

Pit Reckinger. – «Ces cinq dernières années, et même avant, nous avons évolué dans le sillage du secteur financier. Le Barreau a toujours été largement tributaire de l’évolution de l’économie luxembourgeoise, et sur les cinq dernières années, la Place a connu une progression extraordinaire, notamment dans le domaine des fonds d’investissement et surtout du private equity.

Y a-t-il une forte augmentation, en particulier, du nombre d’avocats d’affaires?

«Nous n’avons pas de chiffres pour l’attester. Ce qu’on sait, c’est que les huit plus grands cabinets du pays (qui emploient plus de 50 avocats) représentent un bon tiers du Barreau et qu’ils connaissent une forte croissance. On peut donc raisonnablement penser que la progression des cabinets d’affaires a été aussi forte, sinon plus forte que celle du Barreau.

Dans le secteur financier, on voit poindre quelques nuages à l’horizon – à commencer par la baisse des marchés. La conjoncture est-elle toujours au beau fixe pour les cabinets d’affaires au Luxembourg?

«Je n’ai pas d’informations spécifiques à ce sujet, mais ne suis pas particulièrement inquiet. Nous avons traversé des crises et jusqu’ici, nous n’avons pas vu de cabinets disparaître: au contraire, ils se sont bien défendus. Ces cabinets font preuve d’une certaine résilience, car ils couvrent de nombreux domaines: si, par exemple, le département immobilier ralentit, ce sera compensé par les départements restructurations, refinancements, contentieux… D’autre part, ces cinq dernières années ont vu une augmentation assez spectaculaire de la réglementation, ce qui procure du travail aux avocats. Et n’oublions pas que la profession a une dimension anticyclique: quand les choses tournent mal, les gens ont encore besoin d’avocats!

Les cabinets continuent à recruter. Je pense qu’ils ont encore tous du travail.
Pit Reckinger

Pit ReckingerbâtonnierOrdre des avocats

Le Luxembourg connaît la plus forte densité d’avocats d’Europe. La concurrence se durcit-elle?

«C’est un fait que le marché des cabinets d’affaires s’est modifié: il y a constamment de nouveaux entrants. Il y a 50 ans, Luxembourg comptait deux ou trois cabinets d’affaires, puis d’autres sont arrivés de l’étranger, par vagues – d’abord d’Angleterre, puis des Pays-Bas et maintenant des États-Unis. Pour moi, l’environnement a toujours été concurrentiel. Je ne pense pas que le métier soit plus dur aujourd’hui qu’il y a vingt ans.

Mais peut-on parler d’une surpopulation d’avocats d’affaires aujourd’hui à Luxembourg?

«Ce n’est pas mon impression. On voit plutôt que les cabinets continuent à recruter, qu’ils organisent des événements dans les universités… Je pense qu’ils ont encore tous du travail.

L’Université du Luxembourg forme des juristes depuis quelques années. Quel est l’impact sur le marché?

«L’impact est très positif. Ces juristes arrivent avec un bagage très adapté au marché luxembourgeois. Pour le Barreau, il s’agit d’un vivier de recrutement supplémentaire.

Historiquement, les avocats n’avaient pas le droit de faire de la publicité. Comment cette question est-elle réglée aujourd’hui?

«Cette restriction n’existe plus: les avocats ont leur site Internet, publient des annonces de recrutement… Pour autant, c’est vrai, la publicité est encadrée. Notre règlement d’ordre intérieur stipule que la publicité personnelle est autorisée dans le respect des règles déontologiques, et qu’elle doit se limiter à des éléments objectifs susceptibles d’être appréciés et vérifiés. Par exemple, la publicité ne peut pas donner d’informations sur la clientèle de l’avocat, les affaires qu’il a traitées ou les conditions financières de son intervention.

L’intelligence artificielle prend une place toujours plus grande dans notre profession.
Pit Reckinger

Pit ReckingerbâtonnierOrdre des avocats

Le Barreau et l’Union internationale des avocats ont organisé tout récemment une conférence sur l’intelligence artificielle à Luxembourg. Qu’est-ce qui en est ressorti?

«Cette conférence témoigne du grand intérêt que nous portons à cette question. Ce que j’en ai retenu, c’est que l’intelligence artificielle doit rester un outil dont l’homme conserve la maîtrise. On ne doit pas fermer la porte à l’IA, mais il faut l’intégrer comme un outil.

Le monde des décisions de justice est extrêmement fragmenté. L’IA peut-elle améliorer la situation?

L’IA est certainement à même de servir le travail des avocats et magistrats dans ce domaine. Par contre, dans ce domaine comme dans tous les autres où l’IA est mise à profit, il faut que l’utilisation soit réglementée pour éviter d’éventuelles dérives. Et finalement tout résultat produit par l’IA mérite d’être contrôlé.

Quel usage les cabinets d’affaires font-ils de l’IA à l’heure actuelle?

«Un grand cabinet de la Place a fait une à l’utilisation en son sein du chatbot Harvey. Il y a d’autres exemples, comme des audits juridiques où la machine lit les contrats à la place de l’avocat. L’IA prend une place toujours plus grande dans notre profession, c’est évident. Quant à savoir si elle a un impact sur l’organisation des cabinets ou la population d’avocats au Luxembourg, c’est trop tôt pour le dire.»

À l’occasion de la Journée européenne des avocats, mercredi 25 octobre 2023 de 8h à 19h, le Barreau de Luxembourg propose des conseils juridiques gratuits à la Cité judiciaire. Infos et renseignements: