Expérience –La benjamine de la Chambre des députés ne découvre pas la politique. Elle milite depuis l’âge de 16 ans. (Photo: Jan Hanrion/Maison Moderne)

Expérience –La benjamine de la Chambre des députés ne découvre pas la politique. Elle milite depuis l’âge de 16 ans. (Photo: Jan Hanrion/Maison Moderne)

Ils vous ont peut-être échappé pendant l’année. Retrouvez tous les jours de l’été un grand entretien paru dans le magazine Paperjam. Aujourd’hui, une interview de Djuna Bernard, député Déi Gréng.

À 26 ans, Djuna Bernard est la plus jeune députée du Luxembourg. Ce qui ne l’empêche pas d’avoir des convictions solides et une détermination forte. Elle incarne cette nouvelle génération d’élus «verts» qui sont plus que des écologistes. Et qui ne manquent pas d’ambition.

Cet article est paru dans l’édition d’avril 2019 de .

Êtes-vous la voix de la jeunesse à la Chambre?

. – «J’ai en tout cas été vue comme cela lors de mon arrivée parmi les élus, comme la représentante de la jeunesse du pays.

Vous êtes jeune, mais ce n’est pas la seule raison à cela?

«J’ai été et je reste très engagée dans le scoutisme, au sein de la Fédération nationale des éclaireurs et éclaireuses (Fnel), dont j’ai été commissaire internationale. À 16 ans, je suis devenue membre des Jonk Gréng. Puis il y a eu la Fondation Elisabeth, où j’ai été responsable du secteur Jeunesse, j’ai coordonné les responsables des Maisons de jeunes, leurs projets, les formations.

J’ai été vice-­présidente, puis présidente, de la Conférence générale de la jeunesse du Luxembourg, l’organe le plus important qui représente les jeunes du pays, la fédération qui regroupe tous les organismes de jeunesse. Avec d’autres, j’ai aussi fondé le Parlement des jeunes. C’est cet ensemble d’expériences qui fait que mes collègues députés me voient sans doute comme la représentante des jeunes.

Quels sont les dossiers que vous voulez porter et concrétiser prioritairement?

«Je suis présidente de la commission de la culture, à la demande de la ministre . Notre fil rouge, c’est le plan de développement culturel. Je suis fort attachée aux lieux de rencontre pour les artistes, là où ils peuvent travailler, mais aussi se rencontrer, échanger.

Pour les jeunes, c’est très important. Mais cela l’est aussi pour leur donner une visibilité. Je suis occupée à multiplier les contacts, je vais à des vernissages pour bien comprendre les attentes et les besoins... Je veux pousser ce projet et je souhaite que ces lieux deviennent une réalité.

Plus je rencontre des gens, mieux je connais les problématiques.

Djuna BernardDéputée Déi Gréng

Vous avez aussi travaillé pour la Croix-Rouge. Le domaine social ne doit pas vous laisser insensible?

«Il y a en effet encore beaucoup de choses à faire dans le domaine des structures d’accueil des enfants, notamment. On doit aussi augmenter le niveau de qualité des maisons relais. Ce sont des dossiers que je suivais dans le cadre professionnel, quand je n’étais pas encore élue. Et puis, il y a évidemment tous les projets d’aide aux organisations de jeunesse.

Que faire encore pour les organisations de jeunesse?

«L’État est très actif, très présent dans l’encadrement de l’enfance et de la jeunesse. C’est son rôle, et c’est très bien. Mais il ne faut pas oublier non plus toutes les organisations de la société civile mises en place pour répondre à des besoins. Il faudra un cadre afin de les soutenir plus, notamment au niveau du bénévolat. On n’a toujours pas, par exemple, de modèle d’assurance pour tous les bénévoles.

Certaines organisations les assurent à leur compte, mais d’autres, plus petites, n’ont pas les moyens pour le faire. Là, il y a quelque chose à faire. Je vais donc travailler pour instaurer un cadre législatif qui assure et soutienne mieux l’engagement bénévole.

  (Photo: Jan Hanrion/Maison Moderne)

  (Photo: Jan Hanrion/Maison Moderne)

Après quelques mois à la Chambre, quel premier bilan tirez-vous? Avez-vous été surprise par le volume de travail?

«J’ai fait le choix de me consacrer exclusivement à mon mandat. Certains députés en ont d’autres à côté, ou une activité professionnelle. En moyenne, j’ai fait le compte, je travaille au minimum 35 heures par semaine uniquement pour mes commissions. Il y a six ou sept réunions, mais aussi toute la préparation, qui demande de l’investissement.

Étant jeune, il me faut plus de temps pour ‘entrer’ dans les dossiers que certains collègues plus expérimentés. Il y a aussi les réunions en soirée, les rencontres... Mais cela fait partie du job. Et plus je rencontre des gens, mieux je connais les problématiques. Avant, j’avais mon métier et je faisais énormément de bénévolat, donc j’ai toujours beaucoup travaillé.

Il faut mener son action politique tout en se rappelant que le monde peut être très dur avec les politiciens.

Djuna BernardDéputée Déi Gréng

Le monde politique ne vous faisait pas peur?

«Vous savez, si ma maman était très fière que je prête serment, je sais aussi qu’elle a peur que je sois blessée, que je fasse des expériences négatives. Et, je suis honnête, moi aussi j’ai bien entendu peur d’être blessée, de faire des fautes, je crains les conséquences si je dis quelque chose à un mauvais moment, de manière malhabile... Le risque est que cette peur devienne bloquante. Il faut donc mener son action politique tout en se rappelant que le monde peut être très dur avec les politiciens.

Le travail parlementaire est dense, mais a aussi son rythme propre. Les choses vont-elles toujours assez vite aux yeux d’une députée de 26 ans?

«J’expliquais récemment à un ami qu’il y a des procédures à suivre, que cela peut être en effet frustrant... Mais si on suit ces procédures, on a un résultat qui a plus d’impact et qui a une influence plus forte sur le long terme. Donc, prendre le temps d’entendre des avis, de bien faire les choses, c’est une bonne chose. Car c’est une grande responsabilité que celle des députés qui décident de choses qui touchent la population de tout un pays.

Le monde politique, son fonctionnement, sa structure, tout cela n’était pas inconnu pour vous?

«En effet, je connaissais déjà un peu tout cela. Ma maman m’a élevée seule. Elle est très engagée et militante. Alors, quand on a une petite fille et que l’on milite, on prend sa petite fille avec. Dès mon plus jeune âge, j’étais donc présente lors de réunions politiques.

Par la suite, je suis devenue membre du comité des Jonk Gréng, et cela m’a permis de me rendre compte des problématiques réelles autour de l’environnement, du nucléaire... au-delà de mon éducation, qui était déjà très verte. Malgré tout cela, je n’étais plus vraiment active en politique au cours des cinq dernières années.

Si vous demandez à une jeune élue de 26 ans si elle n’a pas l’ambition de devenir un jour la première femme Premier ministre de son pays et qu’elle dit non, il y a un problème.

Djuna BernardDéputée Déi Gréng

Pourquoi?

«Si on travaille dans le secteur social, comme cela a été mon cas à la Croix-Rouge et à la Fondation Elisabeth, je trouve que ce n’est pas très évident d’avoir en même temps un mandat politique. Cela peut être source de conflits. J’ai dès lors fait le choix de d’abord me concentrer sur ma vie professionnelle, en me disant que je pourrais faire mon retour en politique dans 10 ou 15 ans.

Vous n’aviez donc pas de plan de carrière «politique»?

«Non, et certainement pas quand j’avais 16 ou 17 ans.

Et maintenant?

«Je suis députée et je me consacre à fond à ce mandat. Mais si vous demandez à une jeune élue de 26 ans si elle n’a pas l’ambition de devenir un jour la première femme Premier ministre de son pays et qu’elle dit non, il y a un problème.

Et cela vous intéresse?

«Si je peux l’être, oui, pourquoi pas... Ce serait en tout cas un signal.

La politique au Luxembourg est-elle en pénurie de femmes?

«C’est évident. Mais il faut aussi des modèles afin que les autres se disent que c’est possible, qu’on peut arriver à apporter un regard plus féminin en politique.

Je déteste l’image de l’homme politique qui est dur, qui fait de la politique politicienne, un peu comme un robot. C’est l’ancien monde.

Djuna BernardDéputée Déi Gréng

Et qui a été votre modèle? Sam Tanson?

«Oui. et Sam sont les deux personnes qui ont eu le plus d’influence sur moi, depuis que j’ai 16 ans. Quand je suis entrée aux Jonk Gréng, c’était Sam la présidente du parti.

Elle représente votre modèle de femme politique du 21e siècle?

Elle est femme, politicienne, mère, et démontre que cela ne se contredit pas. Qu’au contraire, c’est même une plus-value, car l’analyse que l’on porte sur les choses peut être enrichie par les autres aspects de sa vie. Je déteste l’image de l’homme politique qui est dur, qui fait de la politique politicienne, un peu comme un robot. C’est l’ancien monde.

  (Photo: Jan Hanrion/Maison Moderne)

  (Photo: Jan Hanrion/Maison Moderne)

Quel regard portez-vous sur l’évolution de Déi Gréng, que vous connaissez de l’intérieur depuis longtemps ?

«Le parti a beaucoup évolué depuis 10 ans. Notam­ment car nous sommes entrés au gouvernement et donc dans une politique que je qualifie de 'réalité'. C’est évidemment très différent de l’activisme d’il y a 20 ans. Mais je vois aussi qu’on est un parti qui donne beaucoup de poids aux jeunes, mais aussi aux femmes.

Les jeunes sont nombreux sur nos listes. Cela s’est vu lors des législatives, et cela se verra lors des élections européennes. Les jeunes sont importants car ils influent sur l’orientation du parti, mais sont aussi des relais locaux des pré­occupations des autres jeunes. On voit une ­mobilisation énorme, tellement de gens qui s’engagent pour le climat... Un bon exemple est les Fridays for Future.

Qu’est-ce que cela signifie?

«Que le discours des Verts a percolé dans la réalité de la société civile. Finalement, notre société dit maintenant ce que les Verts disaient déjà il y a 20 ans.»

Retrouvez la deuxième partie de cette interview .