«Beaucoup de gens sous-estiment les énormes efforts et coûts que la réduction de gaz à effet de serre va entraîner pour les entreprises et les citoyens.» (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne)

«Beaucoup de gens sous-estiment les énormes efforts et coûts que la réduction de gaz à effet de serre va entraîner pour les entreprises et les citoyens.» (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne)

E-conversation avec Luc Frieden, président de la Chambre de commerce et bientôt président des Eurochambres, sur les principaux défis des entreprises face à la transition verte.

De: < NATHALIE REUTER > à: <  > (31.08, 10h46)

Bonjour Monsieur Frieden, j’espère que vous allez bien. Comment se sont passées vos vacances d’été? Est-ce que vous avez pu décrocher un peu malgré le contexte du Covid-19? 

De: < LUC FRIEDEN > à: < NATHALIE REUTER > (31.08, 15h37)

Oui, merci, je suis plein d’énergie pour la rentrée. J’ai passé de très belles vacances à la montagne, en Suisse, où j’ai fait beaucoup de hiking. Et comme j’ai heureusement été vacciné deux fois avant l’été, cela m’a permis de passer des vacances presque normales.

De: < NATHALIE REUTER > à: < LUC FRIEDEN > (31.08, 16h21)

Nous vivons un moment historique: cette nuit, le dernier avion de transport militaire américain a quitté Kaboul. Que pensez-vous du retrait brutal des troupes améri­cai­nes d’Afghanistan et quelles sont les leçons que les Euro­péens doivent tirer de cette guerre qui a duré 20 ans? 

De: < LUC FRIEDEN > à: < NATHALIE REUTER > (01.09, 08h38)

Évidemment, j’ai ressenti une grande tristesse en voyant ces images et en pensant à tous les soldats morts ou ­blessés durant ces 20 années et aux libertés fondamentales en danger. J’étais en effet au gouvernement quand la décision a été prise par l’Otan d’intervenir en Afghanistan. C’était pour combattre le terrorisme après les attentats du 11 Septembre et donc assurer notre sécurité. Le retrait des Américains n’a pas été aussi brutal qu’on le dit. Il a été préparé sous Obama, décidé sous Trump et mis en œuvre sous Biden. Biden avait été envoyé à Kaboul dès le début de la présidence Obama et était revenu très ­critique sur la situation en Afghanistan après tant ­d’années. Et puis, les talibans ont contrôlé durant les dernières années une partie de l’Afghanistan sans qu’on en parle en Europe. Il y aurait beaucoup à dire sur cette guerre. Mais il est clair, pour moi, que vouloir construire un État de droit à l’occidentale ne peut être atteint par des moyens militaires.

De: < NATHALIE REUTER > à: < LUC FRIEDEN > (01.09, 10h49)

Cet été a également été marqué par des catastrophes naturelles. La Turquie et la Grèce ont été ravagées par de vastes incendies. Des inondations historiques en Allemagne, en Belgique et au Luxembourg. Quelle a été votre réaction par rapport à ces désastres? 

De: < LUC FRIEDEN > à: < NATHALIE REUTER > (01.09, 11h40)

C’est évidemment une situation dramatique pour les ­personnes concernées, avec des conséquences lourdes pour la société et l’économie. Il faut améliorer les ­systèmes d’alerte préalable de la population, mais aussi avoir un plan réaliste et ambitieux pour lutter contre le réchauffement climatique qui entraîne ces catastrophes.

De: < NATHALIE REUTER > à: < LUC FRIEDEN > (01.09, 15h02)

Justement, afin d’encourager un réalignement entre les affaires, l’environnement et la société, la Chambre de commerce vient de publier un mani­feste du développement durable, les Luxembourg Sustainable Business Principles, qui sont le fruit d’un processus participatif. Qui était demandeur de cette initiative?

Il n’y a pas une question plus urgente qu’une autre. Pour moi, le développement durable est une nouvelle dimension de l’économie sociale de marché que j’ai toujours défendue, en tant que ministre également.
Luc Frieden

Luc FriedenprésidentChambre de commerce

De: < LUC FRIEDEN > à: < NATHALIE REUTER > (01.09, 16h02)

Moi-même avec les membres élus de la Chambre de ­commerce. Quand j’ai été nommé président, j’ai dit que les grands chantiers, pour moi, étaient l’attractivité du Luxembourg en Europe ainsi que la transformation ­digitale et environnementale des entreprises. Et donc j’ai mis en place des groupes de travail sur ces sujets. Je souhaitais que l’initiative vienne des acteurs économiques eux-mêmes plutôt que de voir les entreprises uniquement suivre la législation.

De: < NATHALIE REUTER > à: < LUC FRIEDEN > (02.09, 11h01)

Ces 10 principes directeurs constituent une bous­sole pour guider les entreprises luxembourgeoises dans leur transition vers le développement durable. Quelles étaient les questions les plus urgentes que se posaient les entreprises? 

De: < LUC FRIEDEN > à: < NATHALIE REUTER > (02.09, 14h45)

Il n’y a pas une question plus urgente qu’une autre. Pour moi, le développement durable est une nouvelle dimension de l’économie sociale de marché que j’ai toujours défendue, en tant que ministre également. Nos nouveaux principes directeurs ont ceci de particulier qu’il faut les voir de façon interconnectée. Donc, il faut à la fois qu’une entreprise innove de manière responsable, évalue sa ­performance avec des indicateurs financiers et extra­financiers, respecte les droits de l’Homme et l’environnement, etc. Le développement durable et les critères ESG sont, pour les entreprises, un vaste chantier, qui dépasse les questions environnementales.

De: < NATHALIE REUTER > à: < LUC FRIEDEN > (03.09, 10h26)

Comment faire en sorte que croissance et profita­bilité riment avec durabilité? Beaucoup de petites et moyennes entreprises ont tendance à voir les questions de développement durable comme une contrainte plutôt que comme une opportunité. Comment changer la donne? 

De: < LUC FRIEDEN > à: < NATHALIE REUTER > (03.09, 11h29) Je pense que la plupart des entreprises luxembourgeoises agissent déjà de façon très responsable vis-à-vis de leurs employés, de la nature et de la société en général. L’ESG existait au Luxembourg bien avant que le terme ne soit connu. Mais, évidemment, certains changements, notamment environnementaux, sont plus difficiles à réaliser, car ils dépendent notamment de la technologie disponible et d’investissements à faire. C’est pour cela que je plaide pour que ces objectifs restent réalistes aussi en termes de timing.

De: < NATHALIE REUTER > à: < LUC FRIEDEN > (06.09, 09h59)

Qu’est-ce que vous entendez par objectifs réalistes? 

De: < LUC FRIEDEN > à: < NATHALIE REUTER > (06.09, 13h11) La technologie souhaitée doit d’abord exister, il faut tenir compte du coût souvent très élevé en termes d’investissement pour les entreprises et voir ce que fait la concurrence internationale. Prenons, par exemple, le secteur du transport de marchandises, où l’on ne peut pas passer du jour au lendemain du camion diesel à l’électrique. Donc cela prend du temps. Il faut parler aux entreprises, les ­encourager à innover.

Du point de vue des entreprises, il y a des progrès à faire dans la façon d’aborder ces sujets. Cela vaut pour les autori­sations accordées aux nouvelles entreprises et à celles qui veulent se développer.
Luc Frieden

Luc FriedenprésidentChambre de commerce

De: < NATHALIE REUTER > à: < LUC FRIEDEN > (07.09, 11h36) Selon le dernier rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), le changement climatique est sans précédent et plus rapide qu’on ne le craignait. Le gouvernement vient de détailler des plans de réduction des émissions pour cinq secteurs économiques (industrie et construction, transports, bâtiments résidentiels et tertiaires, agriculture et sylviculture, traitement des déchets et des eaux). Est-ce que vous pensez que l’objectif de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 55% d’ici 2030 soit vraiment atteignable au Luxembourg? 

De: < LUC FRIEDEN > à: < NATHALIE REUTER > (07.09, 12h44) C’est une réduction de 55% en 2030 par rapport à 2005. Je crois que cela sera difficile, mais possible. Beaucoup de gens sous-estiment les énormes efforts et coûts que cela va entraîner pour les entreprises et les citoyens. Les conséquences du changement, par exemple dans le ­secteur des transports – prix des voitures électriques, prix du pétrole et diminution des recettes fiscales, technologie disponible pour les camions et les avions –, seront de grands défis. Mais je note aussi que beaucoup d’entreprises, notamment industrielles, ont déjà investi ­substantiellement dans des technologies plus vertes.

De: < NATHALIE REUTER > à: < LUC FRIEDEN > (08.09, 11h13) Greenpeace et le mouvement écologique critiquent le manque de mesures plus structurantes.Ne faut-il pas être plus courageux?

De: < LUC FRIEDEN > à: < NATHALIE REUTER > (08.09, 12h31) Ce n’est pas une question de courage. Les entreprises partagent les objectifs de l’accord de Paris. La mise en œuvre des moyens doit toutefois être discutée secteur par secteur. L’État doit être à l’écoute des entreprises.

De: < NATHALIE REUTER > à: < LUC FRIEDEN > (09.09, 14h54)

Précisément, est-ce que l’État est suffisamment à l’écoute des entreprises? Quel est le bilan que vous tirez de la politique environnementale du gouvernement?

De: < LUC FRIEDEN > à: < NATHALIE REUTER > (09.09, 17h18)

Du point de vue des entreprises, il y a des progrès à faire dans la façon d’aborder ces sujets. Cela vaut pour les autori­sations accordées aux nouvelles entreprises et à celles qui veulent se développer. Et puis, plutôt que ­d’imposer et de pénaliser, il faut encourager les entreprises à investir dans des technologies propres. La ­fiscalité peut être un moteur fort pour accélérer et réussir la ­transformation digitale et environnementale.

De: < NATHALIE REUTER > à: < LUC FRIEDEN > (13.09, 16h10) Quels véhicules fiscaux préconisez-vous pour y arriver? 

De: < LUC FRIEDEN > à: < NATHALIE REUTER > (13.09, 17h03) Je plaide pour une super-déduction fiscale concernant les investissements que font les entreprises dans les ­technologies vertes et la digitalisation. Cela peut ­constituer un coup de pouce majeur pour accélérer la transformation écologique et digitale. 

De: < NATHALIE REUTER > à: < LUC FRIEDEN > (13.09, 17h06) À quelle hauteur? 

De: < LUC FRIEDEN > à: < NATHALIE REUTER > (13.09, 17h18) Il faudra discuter de cela, mais je pense à 130 ou 150% des investissements éligibles. Je m’oriente par rapport à ce qui existe en Suisse, pour les investissements destinés à la recherche, ou dans le récent budget du Royaume-Uni pour certains investissements.

De: < NATHALIE REUTER > à: < LUC FRIEDEN > (13.09, 17h36) Quand vous êtes revenu de Londres, où vous étiez vice-chairman de Deutsche Bank, vous disiez «vouloir jouer un rôle actif dans l’intérêt du pays». Est-ce que vous avez trouvé votre voie?

Je trouve que c’est très utile de ­comprendre à la fois le contexte juridico-politique et les besoins des entreprises.
Luc Frieden

Luc FriedenprésidentChambre de commerce

De: < LUC FRIEDEN > à: < NATHALIE REUTER > (14.09, 16h04) Oui, puisque ce qui me passionne depuis toujours, c’est de participer au développement de mon pays et de ­l’Europe. Et mes différentes fonctions, que ce soit à la Chambre de commerce, à la BIL, à la Bourse ou comme avocat chez Elvinger Hoss Prussen, me permettent de contribuer à cet objectif. En fait, je trouve que c’est très utile de ­comprendre à la fois le contexte juridico-politique et les besoins des entreprises.

De: < NATHALIE REUTER > à: < LUC FRIEDEN > (14.09, 17h09) Votre mandat à la présidence de la Chambre de commerce se terminera après 5 ans, en 2024. Est-ce que vous comptez retourner en politique? 

De: < LUC FRIEDEN > à: < NATHALIE REUTER > (14.09, 19h02)

Je ne participerai plus à des élections. Je suis heureux d’avoir été élu cinq fois au Parlement, et cela suffit. Par contre, la chose publique et l’intérêt général continuent de m’intéresser. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai accepté de présider la Chambre de commerce. Je continuerai à servir mon pays et l’Europe là où je peux être utile. 

De: < NATHALIE REUTER > à: < LUC FRIEDEN > (15.09, 16h43)

Dernière question: Le bilan de la dernière conférence des Nations unies sur le changement climatique, à Madrid, était bien maigre. Qu’attendez-vous de la COP26 qui se tiendra en novembre, à Glasgow? 

De: < LUC FRIEDEN > à: < NATHALIE REUTER > (16.09, 09h08)

C’est une conférence très importante. J’espère qu’on parlera surtout des moyens pour atteindre les objectifs ainsi que de la manière de soutenir les investissements et de veiller à ce que tous les grands acteurs – États-Unis, Chine, Europe – partagent les mêmes objectifs et le même calendrier.

Cet article a été rédigé pour le supplément «Green economy» de l’   parue le 28 octobre 2021.

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