Ce mercredi à 18h (heure du Luxembourg), . Un événement qui n’échappera évidemment pas à qui, en tant que Premier ministre du Luxembourg, puis président de la Commission européenne, a côtoyé et travaillé avec plusieurs résidents du bureau ovale. «Deux républicains – Bush et Trump – et deux démocrates – Clinton et Obama –, et seul ce dernier était plus jeune que moi quand il est entré en fonction», se souvient-il. En rappelant «que j’ai été le premier… Premier ministre luxembourgeois à effectuer une visite officielle à la Maison-Blanche, en août 1995. Certains de mes prédécesseurs y avaient été avant, évidemment, mais souvent dans le cadre de la présidence tournante de l’Union européenne.»
Joe Biden n’est pas un inconnu pour lui, loin de là. «Nous nous sommes beaucoup fréquentés quand il était le vice-président de Barack Obama. Il me consultait souvent sur les questions européennes, nous nous sommes vus lors des sommets internationaux… C’est un homme extrêmement bien», décrit Jean-Claude Juncker.
En 2016, le Luxembourgeois l’avait encouragé à se présenter à la présidence. «Nous en avions parlé et je lui avais dit en effet qu’il devait être candidat à la présidence. Il était le bras droit d’Obama, c’était le moment… Avec beaucoup de franchise, il m’avait alors confié ne pas en avoir la force, être fatigué. Il avait perdu un de ses fils en 2015, d’un cancer, et cette épreuve l’avait fortement marqué. Il avait déjà perdu sa première épouse et une de ses filles dans un accident des années plus tôt. Une campagne présidentielle, c’était trop à ce moment pour lui.» Finalement, l’heure de Joe Biden sonnera quatre ans plus tard. «Je suis heureux pour lui», confie Jean-Claude Juncker. Avant d’évoquer ses souvenirs des autres présidents.
Donald Trump
«J’ai eu de bonnes relations avec lui, comme avec tous les présidents américains d’ailleurs», commente Jean-Claude Juncker. «Il a d’ailleurs toujours dit qu’il m’aimait bien, sans doute car j’ai toujours été franc et ouvert avec lui. Je ne me cachais pas derrière les autres, mais je lui disais ce que la Commission voulait. Il a réalisé à ce moment que l’Europe existait, car elle s’exprimait d’une seule voix, à travers le président de la Commission. Tandis que les États membres agissaient parfois de manière individualiste et nombriliste, il les regardait se disputer et exploitait les contradictions qui jaillissaient entre eux. Alors que moi, je m’exprimais, de par ma fonction et par nécessité, toujours de la même façon. Je lui disais souvent: «Donald, je sais que les Hongrois, les Allemands ou les Italiens te disent des choses: ce n’est pas vrai, écoute-moi.» Je ne le faisais pas parce que j’étais Juncker, mais car j’étais le président de la Commission, et il en a pris conscience, petit à petit.»
Comme avec Bill Clinton, Jean-Claude Juncker a su aussi faire vibrer la corde sentimentale de l’homme d’affaires devenu président de son pays. «Je lui ai offert, lors de notre première rencontre, une photo de la tombe du général Patton au cimetière de Hamm. On m’avait informé qu’il en était un grand admirateur. J’avais mis en dédicace: «Dear Donald, don’t forget our common history.» (Cher Donald, n’oublie pas notre histoire commune, ndlr). Lui m’a remis le traité d’amitié entre nos deux pays signé en 1962, je crois. Cela nous a vraiment rapprochés.»
Jean-Claude Juncker ose croire que Donald Trump, comme d’autres présidents américains avant lui, se serait davantage intéressé à l’Europe au cours d’un second mandat. «On ne le saura jamais. Mais à la fin de son premier mandat, il était en tout cas parvenu à une meilleure compréhension de la chose européenne», estime-t-il. Même s’il est vrai que, lors de ses premiers mois en tant que président, «il a bien vilipendé l’Europe, vue comme une invention contre les USA, avec une Allemagne pas fiable, des Français décrits comme des invertébrés».
Et que des étincelles ont été provoquées par les débats au sujet . «Il a imposé des sanctions à l’Europe, et j’ai imposé des sanctions aux USA, pour les emmerder. Et cela a d’ailleurs plutôt bien fonctionné, car les élus locaux aux USA n’ont pas du tout aimé la riposte européenne prise par rapport à une décision fédérale américaine.» Finalement, «j’ai pu mettre en 2018 une fin à cette drôle de guerre qui existait entre nous en matière commerciale avec la menace de taxation des importations de voitures européennes».
Donald Trump est et restera un homme paradoxal. «Lors de nos conférences de presse communes, il était élogieux à mon égard: «I love Jean-Claude.» (J’aime Jean-Claude, ndlr). «It’s a tough guy.» (C’est un dur, ndlr)… Jusqu’à dire qu’il aurait voulu que je négocie pour les USA et pas pour l’Europe, car les résultats seraient meilleurs. Puis il me quitte en m’insultant en public et en me disant: «Hey, rude killer.» (Salut, vulgaire assassin, ndlr). C’était donc une relation à deux niveaux.»
Pas question en tout cas de jeter l’opprobre sur lui et de commenter . «J’ai toujours eu pour habitude de respecter mes interlocuteurs. Mais aussi, tout en sachant que ceux avec qui je discutais n’étaient pas des modèles de démocratie, je me suis toujours interdit de faire référence à leurs problèmes domestiques et aux difficultés rencontrées en politique intérieure. En n’ignorant rien du menu détail de ce qui agitait ces pays, dont les USA ou les pays européens…»
Barack Obama
Comme beaucoup d’autres, Jean-Claude Juncker a vu arriver là un président différent. «Il était plus jeune que moi, ce qui était un élément novateur dans ma vie internationale. Je l’ai beaucoup apprécié. J’étais très enthousiaste quand il a été élu. Né à Hawaï d’un père kenyan et d’une mère aux origines irlandaises, il avait vécu en Indonésie… Il avait donc passé une grande partie de sa vie à l’étranger, alors que les autres présidents, notamment Bush ou Trump, ne connaissaient pas le monde, car ils n’avaient pas voyagé. Or, il faut voyager pour comprendre, aller sur place pour saisir les grands et petits moments des nations.»
Sa spontanéité «et sa réflexion en faisaient quelqu’un de plus ‘international’ que les autres».
Mais il ne sera que très peu Européen durant son premier mandat, beaucoup plus lors du second.
Jean-Claude Juncker a beaucoup négocié avec lui en 2014 et 2015, «et je peux dire qu’il était très dur, notamment sur les affaires commerciales. C’est lui qui a imposé aux États membres européens de l’Otan d’atteindre un taux de 2% au niveau des dépenses de défense. Avec Obama, tout le monde était d’accord.»
Mais tout le monde s’y opposera quand Trump exigera la même chose, «ce qui est une façon peu crédible d’agir sur la scène internationale», assène Jean-Claude Juncker aux décideurs européens.
George W. Bush
«C’est celui que j’ai vu le plus souvent, et avec lequel j’avais des entretiens très sérieux, très professionnels. Mais il y avait aussi entre nous une sympathie, qui a fait qu’il m’a interrogé à de nombreuses reprises sur les questions européennes», se souvient-il.
Comme Bill Clinton, «j’ai cependant constaté que, lors de leur premier mandat, ils se désintéressaient largement de l’Europe. Mais que ce n’était plus le cas au cours de leur second mandat, sans doute après avoir goûté à l’influence de l’Europe à travers le monde.» C’est donc au cours du second mandat de Bush «que les contacts se sont multipliés». Une bonne entente, donc, mais aussi des dossiers qui fâchent: «Je me suis opposé à lui quant à sa volonté de faire entrer l’Ukraine et la Géorgie dans l’Otan, mais aussi quant à la guerre en Irak.»
La période Bush fut en effet aussi celle de la seconde guerre du Golfe, et de la résistance de différents pays européens. «Nous en avons parlé et je me souviens que le ‘non’ français ne l’avait pas étonné. Mais il avait été fort marqué par le refus allemand, qu’il voyait comme un allié naturel sur de grands dossiers mondiaux.»
Le contentieux durera, mais Jean-Claude Juncker sera un peu à la base d’un nouveau départ et d’une réconciliation. «J’avais invité Bush à Bruxelles en 2005 pour un sommet Europe-USA, alors que l’Europe avait failli éclater à cause de la guerre en Irak et des tensions entre les États. Jacques Chirac et Gerhard Schröder étaient opposés à sa venue. Mais il est venu et, à partir de là, on a lentement rétabli le tissu relationnel historique entre les deux côtés de l’Atlantique, même si les différends sont restés lourds.»
Bill Clinton
«C’est sans doute celui avec qui j’ai eu les meilleures relations personnelles, ce fut un grand président. C’est aussi, il est vrai, le premier président américain avec qui j’ai eu des relations professionnelles. Ce furent aussi des relations harmonieuses, car nos liens étaient singuliers, très forts.»
Avec des fondations bâties au Luxembourg. Bill Clinton fut en effet gouverneur de l’Arkansas, entre 1983 et 1992, «et il avait visité Luxembourg à ce titre. Il voulait en effet implanter une tréfilerie de l’Arbed dans son État, à Pine Bluff. Il n’avait été reçu par aucun homme politique luxembourgeois, personne ne voulant sans doute sacrifier un peu de son temps de loisirs pour un petit gouverneur.»
Invité à Washington par Clinton pour une première rencontre, Jean-Claude Juncker informe alors le président que son voyage commencera non pas par la Maison-Blanche, mais par une visite de l’usine qui avait vu le jour dans l’Arkansas. «Cela a beaucoup plu à Bill Clinton, car les Américains sont, comment dire, de grands sentimentaux.» Il n’en fallait pas plus pour sceller une relation forte et durable.
Les deux hommes se verront ensuite souvent, et «nous aurons de nombreux échanges, notamment lors du conflit en Bosnie et au Kosovo».