La finance inclusive et vous, c’est une longue histoire ou une première rencontre?
– «C’est plutôt une longue histoire puisque j’ai commencé à travailler dans le secteur de la microfinance en janvier 2000 comme gestionnaire de projets chez SOS FAIM au Luxembourg. C’est une ONG qui soutient les institutions de microfinance et les organisations paysannes en Afrique. Cela fait 22 ans que je travaille dans le secteur.
Vous êtes assez vite passée de la finance classique à la finance inclusive. Pourquoi ce choix de quitter le secteur des fonds?
«Jeune diplômée en 1995, j’ai d’abord travaillé dans le secteur de la finance classique (dont JP Morgan FAM et la Banque de New York). C’est un voyage au Bénin et au Ghana en 1998 avec une amie journaliste qui a tout bouleversé. Je l’ai accompagnée et de retour au Luxembourg, je n’avais qu’une idée en tête: quitter le monde de la finance classique pour contribuer à la coopération au développement en Afrique et utiliser la finance inclusive comme levier économique. J’ai été séduite par la chaleur humaine des gens et je suis revenue avec une envie d’aider.
Et ensuite?
«Après cette expérience, j’ai commencé le bénévolat à (Action solidarité tiers-monde) au Luxembourg tout en cherchant un emploi dans le secteur. C’est là que j’ai débuté avec SOS Faim. Puis j’ai passé un Master en Microfinance en Italie et ensuite, j’ai été engagée chez , comme chargée de mission en microfinance. Je suis partie sur le terrain sur un gros projet de finance inclusive en Afrique de l’Ouest en 2008, avec le partenariat de la Banque centrale de la zone UEMOA (Union économique monétaire ouest-africaine), les ministères des Finances, les associations et 240 instituts de microfinance dans huit pays. C’était déjà un réseau, d’une certaine manière. J’ai ensuite travaillé pour , puis pour le Groupe de la banque mondiale (International Finance Corporation) comme Country officer au Sénégal, sur de gros montants pendant plus de six ans. À partir de 2007, les Institutions de microfinance ont été renommées par une loi “Systèmes financiers décentralisés”. On est passés de la microfinance à la finance inclusive.
Quelle différence faites-vous entre les deux notions?
«Pour moi, la microfinance, c’est permettre aux gens d’accéder aux microcrédits, à l’épargne, l’assurance, les transferts d’argent… La finance inclusive, c’est juste étendre la portée de ces services au plus de personnes possibles non bancarisées. Les femmes, les jeunes, les créateurs d’entreprises… La finance inclusive vise les objectifs de développement durable des Nations unies. Zéro faim, croissance économique, partenariats, digitalisation. La digital money a d’ailleurs beaucoup progressé, dans cet objectif, pendant la pandémie. Il n’y a donc pas non plus de différence entre finance inclusive et finance durable.
Je me sens aussi à l’aise avec un banquier luxembourgeois qu’avec un paysan au fond de la brousse au Burkina Faso.
Peut-on se permettre la finance durable lorsqu’on n’a déjà peu accès à la finance classique?
«Je pense que l’aspect durabilité est important, quel que soit le niveau de financement. Il y a beaucoup de fonds d’impact ici au Luxembourg qui visent l’Afrique et dans lesquels on retrouve les critères ESG. Notre rôle de networking est de les sensibiliser à ces questions. Certains de nos membres, comme (Alliance pour l’inclusion financière) ou (Social performance task force), sont justement chargés de faire le point sur la réglementation en cours. Ils proposent aussi des formations et de l’accompagnement de terrain sur les aspects d’éducation financière et ESG.
Quel est le tout premier projet de microfinance sur lequel vous avez travaillé?
«Avec SOS Faim, j’ai couvert des projets de microfinance dans six pays d’Afrique: Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Congo-Brazzaville, Congo Kivu et l’Éthiopie, qui est devenu mon pays coup de cœur. On travaillait au tigré, pour appuyer les organisations paysannes à la frontière avec l’Érythrée via des organismes de microcrédit et de microépargne. À l’époque, les gens voulaient sécuriser leur argent. Les projets que l’on finançait étaient communautaires et impliquaient des villages entiers, notamment la construction des greniers à blé pour stocker les récoltes et vendre en commun. C’était de la microfinance pure, sur fond de tensions politiques. Les agents de crédit avaient des kalachnikovs pour aller dans les villages. C’est dans les pays en conflit où il y a le plus d’engagements de la part des organismes de microfinance.
Sur le plan professionnel et personnel, que pensez-vous apporter d’inédit à Infine?
«Par mon parcours, j’ai une vision à plusieurs échelles: micro, méso et macrofinancière des projets. J’ai la connaissance des secteurs privés, publics et organisations internationales, depuis ici, mais aussi sur le terrain. Nous avons aussi formé beaucoup de formateurs. Une de mes forces, c'est ma capacité à mettre en relation les gens. Je me sens aussi à l’aise avec un banquier luxembourgeois qu’avec un paysan au fond de la brousse au Burkina Faso.
Quelle est votre feuille de route stratégique, avec les membres d’in fine?
«Elle sera plus précise dans quelques mois, puisque je viens d’arriver et que je prends encore mes marques auprès de chacun. Pour moi ce qui compte, c'est l’approche participative et la valeur ajoutée. Le réseau comprend des fonds d’investissement, l’association des banques, des assureurs, les Big 4, la BEI… d’un côté. Le secteur de la coopération et du développement avec ADA, Care, SOS Faim, LuxDev est aussi représenté. C’est un foisonnement d’acteurs qui sont tous liés par la finance inclusive et maintenant, je dirais même, par la finance durable. Nous visons tous le même objectif: permettre aux gens d’avoir accès à des moyens financiers sur des projets durables. On constate qu’il peut y avoir des doublons, des besoins de rationalisation, de lisibilité et de mieux définir l’apport de chacun dans l’écosystème. L’autre question est: comment un fonds d’impact peut-il travailler aujourd’hui avec une ONG? Ce que font déjà (Luxembourg microfinance development fund) et ADA par exemple. L’un de mes objectifs est aussi d’agrandir le réseau à hauteur d’environ cinq nouveaux membres par an.
Le gouvernement a fait le choix de la finance inclusive (…) néanmoins, il faut encore renforcer une meilleure prise de conscience de la Place financière globale.
Ce que vous avez proposé lors de votre dernière assemblée générale?
«C’était la semaine dernière. J’ai enfin rencontré une majorité de membres et j’ai dit que je souhaitais relancer notre enquête annuelle pour connaître leurs attentes et pouvoir définir la valeur ajoutée d’Infine au sein de cette constellation. Au retour de l’enquête, j’aimerais organiser des ateliers pour cadrer quatre activités essentielles et préparer des groupes de travail. À la rentrée, on aura sans doute plus d’informations sur le nouveau règlement de taxonomie européenne et les critères ESG, dont on oublie souvent le S.
Les critères d’inclusion financière se sont élargis ces dernières années, passant des populations défavorisées des pays pauvres aux pays dits «matures» notamment ici en Europe. Comment les membres du réseau Infine se sont-ils adaptés à cette nouvelle donne?
«Oui, effectivement et cela a été rappelé lors des la semaine dernière, notamment avec les effets migratoires qu’impliquent la guerre et le réchauffement climatique. Le Fonds européen d’investissement investit uniquement dans des projets en Europe. En 2020, 11,9% des personnes actives au Luxembourg vivaient et ce chiffre est en constante augmentation. Ici, au Luxembourg, on a la chance d’avoir depuis cinq ans, une société de microfinance qui aide les porteurs de projets qui n’ont pas accès au système bancaire classique.
L’un des membres du réseau est-il présent sur des besoins de microfinance en Ukraine?
«À ma connaissance, non… C’est un sujet que l’on pourrait aborder effectivement.
La Place financière du Luxembourg est-elle, selon vous, suffisamment inclusive?
«Je dirais que oui, au risque d’étonner. Le Luxembourg est un centre d’excellence et pionnier en matière de fonds d’investissement. Il est le 5e centre financier européen, parmi les cinq premiers centres de finance durable au monde et 3e au sein de l’UE. C’est le plus grand centre d’investissement en microfinance avec 1/3 des fonds basés au Luxembourg. Le gouvernement a fait le choix de la finance inclusive, les ministères ont impulsé un élan coopératif. Néanmoins, il faut encore renforcer une meilleure prise de conscience de la Place financière globale.
Comment allez-vous vous répartir les rôles, avec Catherine Van Ouytsel ?
«J’ai été recrutée comme directrice pour développer le réseau et Catherine s’occupe en grande partie d, dont le prochain sujet sera l’inclusion financière au service des femmes et aura lieu le 17 novembre. Pour elle, les choses ne changent pas. Bien sûr, puisque nous ne sommes que deux, nous devons être très polyvalentes.»