«Luc Frieden est un homme politique. Moi, je suis un entrepreneur», explique le nouveau président de la Chambre du commerce.  (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

«Luc Frieden est un homme politique. Moi, je suis un entrepreneur», explique le nouveau président de la Chambre du commerce.  (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Après près de 29 ans de présence au sein de la Chambre de commerce, dont 19 en tant que vice-président, Fernand Ernster en a été élu président le 2 février dernier. En remplacement de Luc Frieden. Et il a réservé sa première longue interview à Paperjam.

Quand on regarde la durée des mandats de vos prédécesseurs, on remarque que cette place de président de la Chambre de commerce, on l’occupe généralement longtemps. À presque 63 ans, êtes-vous là en «intérim» jusqu’à la fin du mandat en avril 2024 ou bien à plus long terme?

– «Je vous avoue que je n’ai eu l’occasion de me poser cette question qu’au moment où j’ai eu un doute sur la continuité du mandat de . C’est-à-dire très récemment, lorsque , . Je me suis alors dit que ce parti devait avoir un autre plan et j’ai pensé à Luc Frieden… Je vais assurer la continuité de ce mandat, avec l’envie de mener à terme un certain nombre de choses mises en place par Luc Frieden. Quant à la question d’effectuer un autre mandat, je ne l’exclus pas pour le moment. Même si je me dois de préciser que mon intention première était d’arrêter après 30 ans de présence à la Chambre de commerce. Or, je vais doucement sur mes 29 années…

Étiez-vous candidat pour ce poste de président ou vous a-t-on sollicité?

«À partir du moment où , plusieurs personnes ont commencé à y faire allusion, me souhaitant bon courage. Ils sentaient qu’on allait me demander de prendre la suite. Luc Frieden, lui, voulait me proposer comme président. Il a effectué un petit tour, afin de voir si d’autres membres étaient intéressés par le poste et si ma candidature correspondait à ce que ces derniers recherchaient. Et il s’est avéré que j’étais seul en lice. Néanmoins, j’ai demandé à ce que le vote se fasse à bulletin secret, afin que chacun puisse s’exprimer librement. Et, au final, j’ai été élu à l’unanimité.

Quels sont vos objectifs?

«Comme je le disais, tout d’abord de continuer le bon travail mis en place. Ensuite, il faudra que je détecte les prochains chantiers. Il est encore un peu tôt pour évoquer ces derniers. J’ai besoin de tâter le terrain, de rassembler mes forces vives, et de me faire une idée plus précise d’une fonction dont je découvre seulement la mission. Et je vous avoue que celle-ci dépasse largement celle de vice-président que j’ai occupée durant 19 ans… Cependant, il me semble d’ores et déjà important de travailler sur la perception que les gens peuvent avoir de la Chambre de commerce et de son utilité à tout l’écosystème.

À partir du moment où la rumeur entourant le retour au CSV de Luc Frieden a pris de l’ampleur, plusieurs personnes ont commencé à me souhaiter bon courage.
Fernand Ernster

Fernand Ernsternouveau président de la Chambre de commercedirecteur et propriétaire d’Ernster-L’esprit livre

Elle est aujourd’hui souvent perçue comme un lobby, ce qui l’éloigne de sa fonction première. C’est de cela que vous parlez?

«En effet. C’est peut-être mal compris, mais le lobby se fait au niveau des fédérations sectorielles – la Fedil, l’ABBL, Aca, la CLC, l’Horeca, etc. – et non de la Chambre de commerce. Je considère donc qu’il y a un réel enjeu à ce que chacun respecte son rôle et à ce que ceux-ci soient clairement expliqués.

Le souci ne vient-il pas du fait qu’on retrouve souvent les mêmes personnes dans les différentes institutions?

«C’est effectivement un souci. D’ailleurs, je tiens à dire que je vais démissionner de la vice-présidence de la Confédération luxembourgeoise du commerce (CLC). Je considère que le président de la Chambre de commerce doit être neutre. Par contre, je vais certainement nommer un vice-président pour représenter le secteur du commerce dont je suis issu. Et solliciter l’ABBL pour qu’elle en fasse de même pour le secteur financier. Afin qu’on retrouve une vice-présidence comprenant quatre membres, Alain Rix (horeca) et (industrie) restant en place.


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Quel héritage laisse Luc Frieden, après pratiquement quatre ans de présidence?

«Débarquant en provenance d’un autre monde, avec un background différent, il est parti d’une feuille blanche. Ce qui est souvent une bonne chose. Il a pris le temps de s’intéresser à ce que nous faisions, tout en sentant assez vite ce qu’il fallait mettre en place pour l’avenir. Je peux ainsi évoquer le groupe de travail sur la durabilité, qui a mené à la création de la House of sustainability. Mais aussi celui très important sur la transformation digitale. Il a également travaillé sur ce qui reste un de nos plus grands défis: l’attractivité des talents. Enfin, Luc Frieden s’est aussi fortement engagé à l’international, notamment , l’association européenne des chambres de commerce. Une position qui offre une belle visibilité, ce qui me faisait penser qu’il ne nous quitterait pas…

La Chambre de commerce est censée être neutre politiquement. Mais l’est-elle vraiment quand son président peut s’en aller du jour au lendemain pour mener une campagne électorale?

«C’est une bonne question. Je pense qu’une réponse claire a été donnée avec le lendemain de l’annonce par le CSV de sa nomination comme tête de liste. Il était important d’agir ainsi. De mon côté, je vous avoue qu’au cours des années, les sollicitations politiques n’ont pas manqué. Je les ai toujours refusées parce que je pense que lorsqu’on représente une partie de notre économie, on se doit de garder une certaine neutralité. Mais aussi de rester crédible auprès de tous les acteurs. Il ne faut pas être plus proche d’un bord que des autres.

«Si je devais briguer un autre mandat, je le ferais entourer de la relève, de ceux qui auraient envie d’assurer la continuité», explique celui qui espère un rajeunissement des effectives en avril 2024.  (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

«Si je devais briguer un autre mandat, je le ferais entourer de la relève, de ceux qui auraient envie d’assurer la continuité», explique celui qui espère un rajeunissement des effectives en avril 2024.  (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

La décision de Luc Frieden vous a déçu?

«Non. Elle m’a juste confirmé une chose: quel que soit le parcours des gens, ils gardent toujours au plus profond d’eux ce qu’ils sont vraiment. Luc Frieden était un homme politique et reste un homme politique. Moi, je suis un entrepreneur.

Vous provenez du secteur du commerce, après un président issu du secteur financier et des décennies où ce poste était occupé par l’industrie. Qu’est-ce que cela va changer?

«Il me semble que cela change beaucoup de choses dans la perception des gens. C’est du moins ce qui ressort des nombreux messages qui m’ont été adressés. On semble ravi de retrouver à la tête de cette institution un homme qui représente des petites et moyennes entreprises.

Je ne suis pas une personne qui se cache. Mais quand je me retourne, j’aime voir qu’il y a des gens derrière moi.
Fernand Ernster

Fernand Ernsternouveau président de la Chambre de commercedirecteur et propriétaire d’Ernster-L’esprit livre

Ce poste est longtemps revenu à celui qui était à la tête du plus gros employeur du pays. Luc Frieden représentait, lui, un secteur financier dont on rappelle souvent qu’il fait vivre le Luxembourg. Ne risquez-vous pas de souffrir d’un manque de légitimité?

«Je ne pense pas. Ce n’est pas pour rien si j’ai insisté afin que le vote pour la présidence se fasse à bulletin secret. J’avais la légitimité d’être le plus ancien vice-président, mais j’avais besoin de sentir que tous les membres élus – on y retrouve des représentants d’ArcelorMittal, de Goodyear, d’Enovos, des grandes banques, etc. –, tous les secteurs, me soutenaient. Je ne suis pas une personne qui se cache. Mais quand je me retourne, j’aime voir qu’il y a des gens derrière moi.

2023 est une année électorale. Quels sont les sujets que la Chambre de commerce compte mettre en avant?

«Lors d’une conférence de presse programmée ce jeudi 9 février, nous présenterons nos 30 priorités. Mais il me semble surtout important d’avancer prudemment en vue de ce scrutin. Parce que ces élections vont avoir un enjeu particulier. Elles risquent d’engendrer énormément de changements. Je vous avoue que les défis ne m’ont jamais semblé aussi importants et nombreux…

Nous sommes une place financière internationale, qui a réussi à créer de la valeur localement grâce à des capitaux extérieurs. Mais notre équilibre est fragile.
Fernand Ernster

Fernand Ernsternouveau président de la Chambre de commercedirecteur et propriétaire d’Ernster-L’esprit livre

À quoi pensez-vous?

«Le modèle luxembourgeois est une construction particulière qui ne s’appuie pas que sur une économie locale. Nous sommes une place financière internationale, qui a réussi à créer de la valeur localement grâce à des capitaux extérieurs. Mais notre équilibre est fragile. Et je me demande si le contexte international que nous connaissons ne conduira pas à une certaine érosion… Parvenir à maintenir le niveau de vie auquel on s’est habitué s’annonce donc, à mes yeux, comme un fameux challenge. Le sujet de la création de valeur va être central. Or, celle-ci provient essentiellement des entreprises. Et à ce niveau-là, la Chambre de commerce, qui représente la plupart de celles-ci, devra être entendue.

Vous évoquiez la possibilité de solliciter un deuxième mandat. Or, lorsque vous parlez de votre succession au sein de votre entreprise, Ernster-L’esprit livre, vous insistez souvent sur le fait de ne pas vouloir faire l’année de trop. Un nouveau mandat de cinq ans vous mènerait à l’âge de 69 ans…

«J’ai toujours pensé que l’âge, c’était dans la tête (il sourit, ndlr). La limite, au niveau de la Chambre de commerce, est fixée à 72 ans et j’ai toujours trouvé celle-ci un peu élevée… J’espère un rajeunissement des effectifs lors des prochaines élections, en avril 2024. Je ne réfléchirai à cet autre mandat que si je constate que mon engagement est utile, qu’il y a une large adhésion derrière moi et qu’au niveau personnel, mon énergie perdure. Mais si je devais briguer un autre mandat, je le ferais entourer de la relève, de ceux qui auraient envie d’assurer la continuité. C’est ce que j’avais d’ailleurs déjà fait à la CLC (où a pris sa succession à la présidence, ndlr).»