Julie Pelcé, senior associate et ESG specialist au sein du cabinet CMS Luxembourg. (Photo: CMS Luxembourg)

Julie Pelcé, senior associate et ESG specialist au sein du cabinet CMS Luxembourg. (Photo: CMS Luxembourg)

Afin de renforcer sa crédibilité, le marché des fonds d’investissement durables doit veiller à garantir la plus grande transparence aux investisseurs. En éradiquant le greenwashing, ce secteur pourra d’autant plus contribuer à la transition vers un monde plus durable.

En forte croissance ces dernières années, les produits d’investissement durables sont aussi de plus en plus réglementés afin, notamment, de permettre aux investisseurs de bien orienter leur choix, et de s’assurer qu’ils ont, au travers de leurs placements, un réel impact sur l’environnement, les problématiques sociales ou la bonne gouvernance (ESG). Dans ce contexte, encore faut-il s’assurer que les promesses faites par les promoteurs des fonds correspondent à la réalité du terrain. En d’autres termes, qu’on ne se retrouve pas face à du greenwashing. «Cette thématique du greenwashing répond directement à une croissance des investissements durables et à une focalisation du secteur financier sur les sujets en relation avec l’ESG», confie Julie Pelcé, senior associate et ESG specialist au sein du cabinet CMS Luxembourg.  

Le greenwashing, ou écoblanchiment, correspond à des pratiques qui consistent à présenter un produit de consommation ou, dans le cas qui nous occupe, un produit financier comme étant plus durable que ce qu’il n’est réellement. «La première conséquence du greenwashing est évidemment la tromperie que cela implique et qui se fait au détriment du consommateur. Mais il s’agit également d’une pratique anticoncurrentielle et déloyale qui va jusqu’à impacter les autres entreprises du secteur financier, celles qui font un réel effort pour contribuer à la durabilité», analyse Julie Pelcé. De manière plus globale, le greenwashing a pour conséquence de réduire la confiance des consommateurs et des investisseurs. Il faut donc à tout prix éviter ces pratiques trompeuses. «Le secteur financier a véritablement son rôle à jouer dans la transition environnementale et sociétale en cours aujourd’hui. Il peut avoir un réel impact s’il fait preuve de la plus grande transparence, gage de sa fiabilité», souligne notre interlocutrice.

Des pratiques trompeuses avérées

Les pratiques de greenwashing sont actuellement bien présentes dans l’industrie des fonds d’investissement. «Selon un article de l’Autorité européenne des marchés financiers (Esma ou European Securities and Markets Authority), paru à la fin de l’année dernière, le secteur financier serait le deuxième secteur dans lequel on enregistre le plus d’allégations de greenwashing, juste après celui des énergies fossiles que sont le pétrole et le gaz», souligne Julie Pelcé. Alors que les acteurs européens sont en pleine réflexion sur la refonte de la réglementation SFDR, et que beaucoup réclament une clarification des normes liées à la finance durable, les récents rapports de l’Autorité européenne viennent souligner le manque de transparence du secteur financier en matière de durabilité.

«D’après les recherches menées par l’Autorité, les fonds se réclamant des Objectifs de développement durable (ODD) et laissant entendre qu’ils contribuent à l’amélioration de ces différents objectifs ne seraient en réalité pas plus performants que les autres en matière d’impact», analyse Novethic, acteur désireux de faire progresser les pratiques durables dans la finance et les entreprises. L’Esma a analysé la composition des portefeuilles de près de 200 «fonds ODD» opérant en Europe, c’est-à-dire des fonds affichant des allégations de contribution aux Objectifs de développement durable. Cette analyse révèle que la composition et la gestion de ces fonds sont similaires à celles des autres fonds d’investissement, et que le marketing des fonds autour des ODD est trompeur.

   

   

Des noms de fonds réglementés

Sur ce sujet, l’Esma a rendu public le 14 mai dernier son rapport final sur les critères à respecter par les acteurs financiers lorsqu’ils utilisent des termes liés à la durabilité dans la dénomination de leurs fonds. L’institution fixe un ensemble de lignes directrices dont l’objectif est de définir les circonstances dans lesquelles les noms de fonds utilisant des termes liés à l’ESG ou au développement durable sont injustes, peu clairs ou trompeurs. Les gestionnaires de fonds d’investissement vont devoir s’y conformer. «Cette nouvelle réglementation est appréciable. Elle doit permettre de s’assurer à l’avenir que les portefeuilles sont en adéquation avec les termes utilisés dans leur dénomination. Autre point à souligner, ce texte prend en compte le cas des fonds de transition, en veillant à ne pas mettre en place des règles trop limitatives qui pourraient freiner la croissance de ce type de fonds, qui ont un rôle important à jouer dans la transition», détaille Julie Pelcé.

Alors que le marché des fonds dits durables ne cesse d’augmenter, cela rappelle l’importance d’établir un cadre normatif plus clair, permettant de mieux s’y retrouver dans la jungle des terminologies du secteur. «Il n’existe aujourd’hui pas de cadre légal pour sanctionner le greenwashing en tant que tel sur les marchés financiers, soulève Julie Pelcé. Toutefois, les régulateurs, dans leur rôle de protection des consommateurs et des investisseurs, peuvent toute de même intervenir pour lutter contre le greenwashing. Les réglementations applicables sur l’interdiction des informations trompeuses et quelques autres textes sur l’obligation de transparence autour des critères de durabilité des produits financiers sont là pour les y aider.»

Prévenir plutôt que guérir

Pour éviter les dérives, il faut avant tout travailler sur la prévention des risques liés à l’écoblanchiment. «Tous les acteurs du marché devraient prendre ce problème à bras-le-corps. Il revient notamment aux pouvoirs publics de définir des normes plus strictes, d’édicter des consignes et les bonnes pratiques à mettre en œuvre. Il appartient également aux associations de consommateurs de sensibiliser et dénoncer les pratiques trompeuses dont ils ont connaissance, conseille la senior associate du cabinet CMS Luxembourg. Enfin, pour les sociétés de gestion, il est indispensable de s’assurer de mettre en place les bons outils pour veiller au respect de toutes les nouvelles exigences en matière de durabilité, de manière transparente et proportionnée.» 

Au-delà de la mise en place de ces outils, les entreprises concernées doivent aussi instaurer une gouvernance forte sur ces questions d’ESG, pour en faire de véritables atouts. «Lors de nos échanges avec nos clients, nous insistons beaucoup sur l’importance de former l’ensemble des équipes, au regard de toutes les exigences qui s’appliquent aux acteurs du marché dans la prise en compte de ces nouveaux risques de durabilité. En interne, il faut s’assurer que tous les processus sont adaptés à cette nouvelle dimension, et répondre aux attentes du marché et des régulateurs, notamment par la mise en place d’une gouvernance robuste. Il faut aussi que tous les intervenants, au niveau de l’entreprise, soient conscients des enjeux liés à la durabilité, et ce jusqu’au conseil d’administration. Pour terminer, il est recommandé qu’un membre de la direction se spécialise dans ces matières ou, à défaut, qu’un comité dédié soit créé pour adresser spécifiquement les questions d’investissement durable.»

   

   

Une communication proportionnée

Pour éviter le greenwashing, l’important est de garder à l’esprit que la communication doit être proportionnée. «Il faut dire ce que l’on fait et faire ce que l’on dit, résume Julie Pelcé. Il s’agit également d’éviter le ‘cherry picking’, qui revient à présenter des faits ou des données qui donnent une bonne image d’un produit en passant sous silence ce qui peut venir l’entacher. Une autre bonne pratique est de renforcer la confiance des investisseurs en faisant labelliser ses fonds par des organismes indépendants.»

L’un des défis prioritaires en matière d’intégration de la durabilité dans les produits financiers tient à la disponibilité des données et leur pertinence. «La réglementation, de plus en plus fournie, est là pour aider les acteurs à disposer des bonnes informations. Tous les niveaux de la chaîne de valeur commencent à être réglementés et doivent faire preuve de plus de transparence, ce qui devrait faciliter l’accès à des données fiables. Il faut toutefois accepter que cette transition vers un marché plus vert prenne du temps», ajoute Julie Pelcé. À ses débuts, la SFDR a notamment été vue par certains comme un outil de marketing. Ensuite, après un temps de réglage, avec l’appui des régulateurs qui ont publié leurs guidelines et attiré l’attention sur les pratiques à éviter, le marché a mieux compris ce qu’on attendait de lui. Il s’est adapté. Des fonds ont été déclassifiés, notamment en janvier 2023, parce qu’ils ne répondaient pas aux exigences en matière de durabilité. Mais le marché s’est régulé de lui-même, conscient qu’il ne sert à rien de prendre des risques.

Cet article a été rédigé pour le supplément  de l’édition de  parue le 19 juin. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam. 

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