Pour Flavia Micilotta, on peut aussi bien investir dans un commerce local que dans le financement des nouvelles technologies durables. (Photo: Matic Zorman/archives)

Pour Flavia Micilotta, on peut aussi bien investir dans un commerce local que dans le financement des nouvelles technologies durables. (Photo: Matic Zorman/archives)

De nombreuses personnalités agissent au sein de la place financière sur les problématiques ayant trait à la finance durable. Cette semaine, Flavia Micilotta, partner et sustainability leader chez Deloitte Luxembourg, nous raconte pourquoi elle s’est toujours investie dans la finance durable.

Quel a été le déclic qui vous a poussée à travailler dans le domaine de la finance durable?

Flavia Micilotta. – «J’ai démarré ma carrière au magazine Euromoney. C’était une bonne opportunité pour interagir directement avec des gestionnaires d’investissement et d’autres acteurs financiers. C’était également une période très intéressante, car après les événements du 11 septembre, le monde était encore en état de choc. Peu de temps après mon entrée en fonction, un autre événement a également fortement impacté la communauté financière, mais de manière différente cette fois: la chute d’Enron. Cela a marqué ma vie et ma carrière de manière significative.

Ce scandale a montré à la communauté financière et aux entreprises cotées que la réputation et la responsabilité entrepreneuriale ont un impact direct sur les résultats financiers. Cette affaire a permis aussi de définir clairement l’importance de la responsabilité entrepreneuriale. Je voulais faire partie de la solution qui aiderait à améliorer un système dont on pensait qu’il était à la pointe et qui disposait d’un mécanisme régulateur assez performant; cette crise a clairement démontré le contraire. La main invisible de Smith ne rémunère pas les actionnaires et la société de la même manière. Il y a des choix à faire et les entreprises doivent être tenues responsables pour ces choix, et démontrer comment elles intègrent la responsabilité entrepreneuriale au sein de leur business model.

À cette période, Kofi Annan, secrétaire général de l’ONU, était en train d’instaurer le UN Global Compact, une initiative des Nations unies qui avait pour objectif d’aider les entreprises à responsabiliser leurs activités. J’ai trouvé cela particulièrement inspirant, et j’ai donc décidé de reprendre mes études pour me concentrer sur la recherche de solutions viables afin de pouvoir jouer un rôle déterminant dans ce domaine.  

Quelles sont vos convictions en matière de finance durable?

«La responsabilité d’entreprise et la transparence ont été les forces motrices qui m’ont menée vers le développement durable. Ce que j’ai le plus apprécié a été la prise de conscience soudaine de l’importance pour les entreprises d’être capables d’expliquer à un large public leur fonctionnement et les défis auxquels elles font face. Une telle approche inclusive ouvre de nouvelles possibilités pour les entreprises: se développer et se rapprocher d’une communauté de clients qui auront l’opportunité d’accroître leur confiance et leur compréhension de l’entreprise et du monde des affaires. C’est clairement une solution gagnante pour toutes les parties prenantes. La finance est sans équivoque un élément crucial à cet égard. On est plus enclin à investir dans ce que l’on comprend et ce en quoi on a confiance.

À ce sujet, je pense que la communauté financière n’a pas fait tout ce qu’elle pouvait pour assurer que la confiance de ses clients grandisse aussi rapidement que ses produits ou ses technologies. Plusieurs crises financières ont clairement prouvé cela et la révolution de la finance durable que nous connaissons actuellement assurera que les acteurs financiers changeront leur manière de travailler. En intégrant réellement le développement durable dans ses produits et dans ses méthodes de travail, la communauté financière a l’opportunité d’accroître son poids, de gagner des parts de marché, et d’assurer la confiance de ses clients.

De plus, elle a l’opportunité de devenir la force motrice dont le monde des affaires a besoin pour devenir plus stable et plus prospère. La communauté financière est un formidable catalyseur pour une économie plus durable dans la mesure où les acteurs financiers peuvent sélectionner les meilleurs acteurs dans les différents secteurs de l’économie, et jouer ainsi un rôle essentiel dans la construction d’une nouvelle économie. 


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Quel est votre thème de «combat» favori?

«J’ai démarré ma carrière dans le développement durable chez Deloitte en tant que stagiaire en 2003 au sein du bureau de Florence, après mon master en management environnemental à l’université Sant’Anna de Pise. Mes recherches s’étaient orientées vers le reporting extra-financier car, déjà à l’époque, j’avais reconnu l’impact que l’outil du reporting allait avoir sur le monde des affaires et la finance dans le futur.

Donner un nouveau sens au reporting et l’élargir vers des thèmes qui ne faisaient pas initialement partie de son périmètre a représenté pour moi une nouvelle manière de conclure des affaires, ainsi que l’intégration d’une nouvelle approche des risques, plus inclusive et prospective. Une contrainte exigeante pour certains acteurs et, en même temps, une opportunité pour d’autres de démontrer comment le développement durable perçu comme une opportunité peut réellement améliorer leur façon de travailler. Aujourd’hui, nous faisons face à beaucoup plus d’évolution du point de vue du reporting.

La Commission européenne a fait de grandes avancées à ce sujet, et nous n’en sommes encore qu’au début des nouveaux développements qui suivront la révision de la directive sur le reporting extra-financier (NFRD), qui évoluera vers un standard européen pour les entreprises. Je n’imagine pas un meilleur moment pour que cela arrive, alors que la data a bousculé autant le développement durable que la finance. Aujourd’hui, il y a une chance réelle de pouvoir disposer de données de meilleure qualité, et de créer une ‘plate-forme’ de reporting qui reliera les deux dimensions, créant ainsi de nouvelles opportunités pour devenir des investisseurs responsables.

Le meilleur moyen d’avoir un impact est d’investir dans quelque chose qui nous est familier, que nous connaissons bien ou qui nous permet de faire une différence dans un domaine qui nous est cher.

Flavia Micilottasustainability leaderDeloitte Luxembourg

Une personnalité qui vous inspire au quotidien?

«Martin Luther King. Une vie dédiée à une cause, déterminée à faire la différence et à briser le statu quo. L’égalité des droits entre les citoyens est quelque chose de si basique et primordial, et pourtant, malheureusement, de 1968 jusqu’à aujourd’hui, nous avons suffisamment de preuves que c’est loin d’être le cas. De nombreuses vies ont été perdues pour maintenir des droits qui paraissent ‘normaux’ pour tous, mais sont réservés seulement à certains.

Je fais la comparaison ici avec le développement durable. C’est quelque chose de tellement juste que cela paraît acquis, et pourtant ce n’est pas le cas. Pour cette raison, l’industrie et les régulateurs en particulier essaient de changer les choses et de faire adopter le développement durable par le monde des affaires et le secteur financier, et de les faire communiquer via ce nouveau ‘language’. J’ai commencé ma carrière avec une vision, celle qu’un jour cela serait la façon normale dont les choses seraient faites et peut-être que cela arrivera bientôt.

J’ai été très malade l’an dernier et ma vie était en danger. Soudain, tout a été remis en question et j’ai dû mettre ma vie sur pause pendant un certain temps. Cette situation a changé ma perspective dans le sens où elle a accru ma détermination à réussir à jouer un rôle dans la réalisation de ce changement, et de le faire tant que j’en suis encore capable. Si je le pouvais, je voudrais me dire à moi-même: ‘J’avais un rêve et le rêve est maintenant accompli.’

Un investissement «durable» à recommander?

«L’une de mes convictions est le fait qu’avoir un impact est le facteur qui fait toute la différence quel que soit le domaine, et d’autant plus dans l’investissement. Une des catégories de l’investissement responsable qui a gagné en traction ces dernières années, et ce de manière exponentielle, est justement l’investissement d’impact ou ‘impact investing’. Cela s’explique clairement par le fait que cela parle à plus ou moins tous les types d’investisseurs. Il combine les rendements financiers avec la possibilité d’aborder une cause environnementale ou sociale, et la capacité de tracer la manière dont cela est fait, avec une vue sur le suivi des améliorations tout en mesurant le niveau d’impact atteint.

Cela peut être fait à une large échelle institutionnelle ou à une très petite échelle pour n’importe quel client retail. Le meilleur moyen d’avoir un impact est d’investir dans quelque chose qui nous est familier, que nous connaissons bien ou qui nous permet de faire une différence dans un domaine qui nous est cher. Cela peut aller du soutien à un commerce local dans notre communauté, à un investissement dans des fonds durables ou des obligations finançant le développement de nouvelles technologies durables.  Ainsi, cela peut convenir à tous les budgets et à tous les niveaux de compréhension du cycle d’investissement.

Après tout, investir signifie soutenir, c’est jouer un rôle actif dans la croissance de quelque chose qui porte des valeurs selon nous, et il n’y a rien de plus proche de notre destin et de notre rôle de citoyens sur cette planète.»