Parmi les nombreux dossiers ouverts, la question de la fiscalité des télétravailleurs frontaliers se pose. (Photo: Nader Ghavami/Maison Moderne)

Parmi les nombreux dossiers ouverts, la question de la fiscalité des télétravailleurs frontaliers se pose. (Photo: Nader Ghavami/Maison Moderne)

Chaque mercredi de ce mois d’août, la Fondation Idea propose une réflexion un peu provocatrice sur un thème lié à l’économie au sens large. Pour ce deuxième exercice, Vincent Hein se penche sur les relations bilatérales avec les régions limitrophes, où vivent les travailleurs frontaliers.

Au mois de juillet, deux rendez-vous importants pour les relations bilatérales avec la Belgique et la France ont été reportés: la réunion commune des gouvernements belge et luxembourgeois, dite , et la conférence intergouvernementale franco-luxembourgeoise (CIG). Ces réunions, qui permettent de faire le point sur les sujets d’actualité et les projets communs avec les États voisins, ne sont pas exclusivement consacrées aux questions transfrontalières, mais les attentes en la matière sont en général très grandes pour les acteurs concernés.


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Les thèmes à débattre ne manquent pas: mobilité, formation, télétravail, fiscalité, santé, sécurité, environnement... Les négociations sur la fiscalité appliquée aux frontaliers pendant les jours de télétravail figureront probablement à l’ordre du jour. L’idée parfois avancée dans le débat public luxembourgeois qui consisterait à demander aux États voisins de revoir les seuils d’exonération à la hausse sans compensation une fois la pandémie terminée n’est pas réaliste, dans la mesure où ces derniers ont fait preuve d’une forme de solidarité fiscale pendant cette période exceptionnelle (solidarité qui a, sans nul doute, été chiffrée par les services compétents depuis).

Une manière intelligente de renvoyer l’ascenseur aux pays voisins serait de reverser une partie de la fiscalité prélevée sur les télétravailleurs frontaliers dans des fonds de coopération bilatéraux.
Vincent Hein

Vincent HeinéconomisteFondation Idea

Pour autant, de nouveaux compromis «gagnant-gagnant» ne sont pas impossibles, ils permettraient même d’éviter que d’éventuelles contreparties ne soient vécues comme des concessions. Une manière intelligente (en plus d’être élégante, mais ce n’est pas le sujet) de renvoyer l’ascenseur aux pays voisins serait de reverser une partie de la fiscalité prélevée sur les télétravailleurs frontaliers dans des fonds de coopération bilatéraux qui seraient aussi alimentés par les autorités voisines. Avec ces fonds, il serait possible de lancer des appels à projets pour financer des infrastructures de mobilité, des projets de formation communs, des équipements sociaux, culturels, environnementaux…

Ces projets pourraient indifféremment être développés du côté luxembourgeois ou étranger, l’important étant qu’ils aient une plus-value transfrontalière, c’est-à-dire qu’ils contribuent à renforcer la fluidité, la cohérence, l’attractivité et la durabilité du territoire transfrontalier pris dans son ensemble. Le «territoire économique et social» du Luxembourg dépasse d’une certaine manière ses frontières nationales, mais il est plus restreint que celui de la Grande Région, ce qui a pour conséquence qu’il n’existe toujours pas d’outils «politiques» adaptés: de tels fonds (un avec chaque pays voisin) seraient une excellente amorce.

Si certains phénomènes continuaient de s’amplifier au rythme actuel, cela pourrait représenter un réel risque pour l’économie luxembourgeoise.
Vincent Hein

Vincent HeinéconomisteFondation Idea

Car il y a urgence à agir. Si certains phénomènes continuaient de s’amplifier au rythme actuel (distorsions sur le marché du logement, pénuries de personnel, congestion des infrastructures, etc.), cela pourrait représenter un réel risque pour l’économie luxembourgeoise. Une nouvelle phase doit donc s’ouvrir en matière de coopération transfrontalière. Il faudra notamment aller bien au-delà de la logique de «saupoudrage» (financement au compte-gouttes de projets – uniquement concernant la mobilité) et de celle de «compensation» (transferts financiers aux communes voisines sans visibilité sur leur objet et sans évaluation) pour entrer progressivement dans une logique de vision et de construction communes, comme cela se pratique déjà depuis des années dans le Grand Genève (certes sans fonds de codéveloppement, mais avec des outils de gouvernance et de financement bien plus avancés que ceux en place ici). Définir ensemble une vision, une stratégie d’aménagement du territoire avec des priorités partagées, mettre des moyens en commun pour y parvenir ainsi qu’un mécanisme de sélection de projets… cela n’est pas vraiment une idée «out of the box»!

Certes, il faudra du temps, du courage politique et un effort d’organisation, mais il faut bien se rendre à l’évidence que, dans ce domaine, le Luxembourg, en tant qu’État, a davantage d’intérêts communs avec les régions voisines qu’avec les États centraux auxquels celles-ci appartiennent.