Bruno Colmant, head of macro research chez Degroof Petercam Bruxelles et professeur auxiliaire à la Luxembourg School of Finance. (Photo: Degroof Petercam/Archives)

Bruno Colmant, head of macro research chez Degroof Petercam Bruxelles et professeur auxiliaire à la Luxembourg School of Finance. (Photo: Degroof Petercam/Archives)

L’injection de monnaie dans l’économie pour relancer la consommation a des effets pervers. Dans sa chronique de cette semaine, Bruno Colmant, head of macro research chez Degroof Petercam Bruxelles, revient sur l’idée d’un économiste du 19e siècle: une monnaie qui perd automatiquement de sa valeur.

L’histoire monétaire est un trésor de théories, courants de pensée et imaginations extraordinaires. Ceci ramène à l’inventeur de la monnaie fondante imaginée par Jean Silvio Gesell (1862-1930), qui avait imaginé avoir découvert un ordre «naturel» de la monnaie tel que rédigé dans son ouvrage, publié en auto-édition en 1916 sous le titre «Die natürliche Wirtschaftsordnung durch Freiland und Freigeld» (l’ordre économique naturel fondé sur l’affranchissement du sol et de la monnaie).

Par un hasard géographique, l’homme est né allemand en Belgique, à Saint-Vith, en 1862. À cette époque, la ville ressortit à l’empire allemand. Les cantons seront rédimés à la Belgique à la fin de la Première Guerre mondiale au titre de dommages de guerre.

Jean Silvio Gesell est un économiste exalté et autodidacte. Cosmopolite, il court le monde. On le rencontre en Suisse, Espagne et en Argentine, où il fait fortune. Mais inspiré de Proudhon (1809-1865), l’homme est engagé politiquement: il prend part aux mouvements révolutionnaires allemands spartakistes (animés par la révolutionnaire Rosa Luxemburg [1871-1919]) qui suivent la Première Guerre mondiale.

Que faire lorsque plus rien ne marche pour relancer l’économie et qu’il faut inciter les particuliers à consommer?

Bruno Colmanthead of macro researchDegroof Petercam Bruxelles

Que faire lorsque plus rien ne marche pour relancer l’économie et qu’il faut inciter les particuliers à consommer? Il faudrait une injection de monnaie qui aurait une durée de vie limitée. Sa théorie postule que la thésaurisation est néfaste pour l’économie. La seule manière d’injecter de la monnaie dans l’économie est de forcer sa dépréciation naturelle, à intervalles fixes. L’idée est originale: au lieu de subir l’inflation, c’est la monnaie qui va imposer sa propre perte de pouvoir d’achat, et donc son rythme de circulation. Jean Silvio Gesell arriva à la conviction que la monnaie doit «rouiller», en perdant périodiquement de sa valeur.

En d’autres termes, la monnaie a une date de péremption. La perte de valeur régulière et prévisible de la monnaie favorise son injection dans l’économie et la consommation, puisque thésauriser de la monnaie qui perd de sa valeur appauvrit l’épargnant (c’est incidemment le cas avec des taux d’intérêt réels négatifs).

Selon Jean Silvio Gesell, la perte de valeur régulière et prévisible de la monnaie favoriserait son injection dans l’économie, puisque les agents économiques s’opposeraient à une dépréciation de leur pouvoir d’achat par des achats d’actifs et des remboursements de dettes. Il en résulterait une circulation monétaire constante permettant aux pouvoirs publics d’en doser la quantité afin d’assurer la stabilité des prix. Il n’y aurait ni inflation, ni déflation inattendue.

Jean Silvio Gesell préconisait une dépréciation d’un millième par semaine, ce qui correspond à 5,2% par an. La dépréciation aurait été organisée sous forme de tamponnage (ou d’estampillage) sur les billets, afin de diminuer leur valeur nominale. Une autre technique aurait consisté à tirer au sort et à annuler une espèce particulière de billets parmi l’ensemble des types qui circulent: les billets annulés doivent alors être échangés contre de nouveaux billets d’une valeur inférieure de 5,2% aux précédents.

L’idée de Jean Silvio Gesell revient, au fond, à imposer un intérêt négatif sur les encaisses thésaurisées.

Bruno Colmanthead of macro researchDegroof Petercam Bruxelles

L’idée de Jean Silvio Gesell revient, au fond, à imposer un intérêt négatif sur les encaisses thésaurisées. L’oisiveté monétaire est pénalisée par la monnaie fondante, comme John Maynard Keynes préconise l’euthanasie des rentiers afin de s’extraire de la trappe à liquidités.

L’idée de Jean Silvio Gesell doit être replacée dans le contexte du monétarisme métallique des deux siècles précédents. L’économiste postulait que, si la détention de la monnaie coûtait au moins autant que la détention des biens, l’équilibre serait rétabli et le système économique pourrait fonctionner sans heurts et sans pénalisation.

L’idée de Jean Silvio Gesell supposait aussi que la monnaie est l’unique vecteur de paiement et de thésaurisation. Elle exclut, par exemple, que d’autres biens (bijoux, or, etc.) puissent servir de monnaies d’échange et d’épargne. L’économiste est donc resté absent des livres d’économie. La théorie de Jean Silvio Gesell est, bien sûr, fragile et purement théorique: elle ne fonctionne qu’en économie fermée, dans ce que Keynes appelait une économie de Robinson Crusoé.

En effet, si le cours de change de la monnaie fondante avec une autre devise fluctuait différemment que la perte de valeur imposée par les autorités, le système se serait effondré. Mais l’idée reste originale.