Dans les stores depuis 2011, Plague a subitement disparu de l’App Store chinois fin février. En plein coronavirus, ce petit manuel de l’infection planétaire a été pris au premier degré. (Photo: Shutterstock)

Dans les stores depuis 2011, Plague a subitement disparu de l’App Store chinois fin février. En plein coronavirus, ce petit manuel de l’infection planétaire a été pris au premier degré. (Photo: Shutterstock)

Le premier décès lié au coronavirus en Chine, datant du 12 janvier, a eu un curieux effet viral au Luxembourg: il a dopé le téléchargement d’un vieux jeu pour smartphone dans lequel il s’agit… de créer un virus et d’infester la planète. Un jeu interdit en Chine depuis fin février.

«L’épidémie de coronavirus en Chine est profondément préoccupante.» Pour célébrer son succès, James Vaughan sort les rames. Le 23 janvier, alors que son jeu est l’application la plus téléchargée de l’App Store en Chine, le créateur de Ndemic Creations montre, dans un communiqué, qu’il a déjà compris ce qui va lui arriver.

«Plague Inc. existe depuis huit ans maintenant, et chaque fois qu’il y a une épidémie de maladie, nous constatons une augmentation du nombre de joueurs, alors que les gens cherchent à en savoir plus sur la propagation des maladies et à comprendre la complexité des épidémies virales. Nous avons spécifiquement conçu le jeu pour qu’il soit réaliste et informatif, sans pour autant ‘sensationnaliser’ les problèmes graves du monde réel. Cela a été reconnu par le CDC et d’autres organisations médicales de premier plan à travers le monde», explique le jeune chef d’entreprise, rapidement crucifié par les autorités chinoises à 33 ans…

«Nous venons d’être informés que Plague Inc. ‘inclut du contenu illégal en Chine tel que déterminé par la Cyberspace Administration of China’ et qu’il a été supprimé de l’App Store de Chine. Cette situation est complètement hors de notre contrôle»,  un mois plus tard.

Premier mort et premier podium au Luxembourg

Interdit en Chine, le jeu caracole en tête des applications dans de nombreux pays au fur et à mesure que les journalistes enchaînent les articles sur les premières personnes infectées, les premières quarantaines, les premiers morts et les premières décisions politiques. Dans l’ordre.

Le 12 janvier, alors que l’annonce d’un premier décès est confirmée en Chine, l’application entre à la troisième place sur le podium de l’App Store luxembourgeois. Une semaine plus tard, le 20 janvier, le jeu s’installe durablement sur le podium à partir du moment où l’Organisation mondiale de la santé annonce que le virus se répand d’un humain à l’autre.

Qu’est-ce que ce jeu a de si spécial? Franchement? Rien, un graphisme proche du néant, des actions qui se résument à crever des bulles de trois couleurs et une UX limitée pour ceux qui auraient des doigts boudinés…

Une bactérie. Une mappemonde. Le joueur doit choisir où diffuser sa bactérie. Au fur et à mesure qu’elle se répand, la bactérie peut évoluer dans sa «transmission», ses «symptômes» et ses «capacités». Le joueur voit une carte du monde et devine des avions qui vont de l’un à l’autre. Des messages s’affichent au fur et à mesure, et une barre d’information, en haut de l’écran, ressemble à un fil de news d’un journal classique.

Le graphisme n’est pas le plus évolué. Mais le jeu consiste à diffuser une bactérie et à infecter pays après pays, en luttant contre ceux qui cherchent un remède. (Photo: Paperjam)

Le graphisme n’est pas le plus évolué. Mais le jeu consiste à diffuser une bactérie et à infecter pays après pays, en luttant contre ceux qui cherchent un remède. (Photo: Paperjam)

Le pack «épidémie» à 13,99 euros

La contamination gagne du terrain. La bactérie se renforce. Les chercheurs cherchent. Les politiques sont renversés, faute d’action assez radicale. La bactérie meurt, ou la planète meurt. Le joueur peut débloquer d’autres niveaux (virus, fongus, parasite, prion, nanovirus, ou même bio-arme) en les achetant, de 1,09 euro pour le premier à 3,49 euros un pack, ou 13,99 euros pour le pack «épidémie».

Les experts voudront très vite essayer les «épidémies spéciales», comme le ver neurax, qui se loge dans le cerveau, le virus necroa et ses fortes capacités de régénération, la grippe simiesque et ses modifications génétiques (mais sur les singes, assurent ses créateurs) ou l’épidémie des ténèbres.

Une dernière option permet même d’écrire son propre scénario, une quarantaine sont partagés, et de jouer avec les scénarios de la communauté. Le plus tendance est le «Fausses informations», où il s’agit de «créer votre propre fausse information à l’aide de tous les outils modernes et les astuces psychologiques à votre disposition». «Réussirez-vous à tromper le monde entier?», se demandent ses auteurs, en renvoyant vers les organisations britannique Full Fact et américaine PolitiFact, spécialisées dans le fact checking.

Il a d’ailleurs commencé comme ça, James Vaughan. Par écrire des scénarios. Le consultant en stratégie chez Accenture s’ennuie et décide de se lancer un challenge pour occuper soirées et week-ends. Le jeune Britannique découvre «Pandemic 2», le brouillon de ce qui sera son jeu à lui. Warner Bros réunit Matt Damon, Gwyneth Paltrow et Jude Law dans son «Contagion».

Le futur CEO à succès d’un jeu téléchargé 120 millions de fois, dont 300.000 depuis début janvier pour un chiffre d’affaires d’un million d’euros sur la même période, passe son temps sur internet à lire des études sur la propagation des virus.

En mars 2013, il est invité par les centres pour le contrôle et la prévention des maladies, qui forment la principale agence de santé publique aux États-Unis, pour expliquer comment ces virus se diffusent et pourquoi il pense que son jeu a des vertus éducatives. La gloire à 26 ans.

De quoi essayer de passer à autre chose. Le 15 octobre, Ndemic Creations a lancé avec succès son deuxième jeu, «Rebel: escalation». Ou comment empêcher une révolution de renverser un gouvernement à peine établi.

Directement au sommet des classements de téléchargements, le jeu est aussi devenu viral. Tant que les auteurs du scénario n’imaginent que maintenir au pouvoir ceux qui s’y trouvent, le jeu ne devrait être supprimé d’aucun App Store.