Non, l’innovation n’est pas un long fleuve tranquille. Et il peut s’écouler du temps entre une découverte disruptive et son adoption par le marché. Inventé en 1947, le transistor n’a commencé à être déployé à grande échelle qu’une dizaine d’années plus tard, une fois que le marché était prêt à l’accueillir. Plus loin dans le temps, le caoutchouc vulcanisé, découvert par Charles Goodyear en 1839, n’a trouvé son application commerciale qu’après de nombreux ajustements et expérimentations. Avoir à disposition une technologie révolutionnaire, c’est bien. Savoir quel usage en faire, c’est toujours mieux.
La situation que nous connaissons avec l’intelligence artificielle est, à bien des égards, similaire. Ce n’est pas, en soi, une matière nouvelle, puisque ses fondements remontent aux années 50, avec près de 340.000 inventions brevetées et plus de 1,6 million d’articles scientifiques publiés depuis. Mais plus de la moitié de toutes ces inventions ont été publiées ces dix dernières années, témoignant d’une accélération spectaculaire.
Cette démocratisation de l’IA résulte de la convergence de plusieurs facteurs: la puissance de calcul exponentielle des processeurs, la disponibilité massive de données d’entraînement et l’accessibilité croissante des algorithmes et frameworks d’IA. Ainsi, des modèles d’IA générative ultraperformants – comme les GPT, Generative Pre-trained Transformers – sont désormais à portée de clic, ouvrant la voie à une myriade d’applications innovantes dans tous les secteurs. Une fois encore, cette innovation de rupture émerge grâce à la rencontre entre une technologie mature et un écosystème prêt à l’accueillir.
Une nouvelle vague d’opportunités
Remontons encore plus loin dans le temps… Lorsque la voiture est apparue pour la première fois, beaucoup craignaient qu’elle n’anéantisse les emplois liés aux chevaux et aux charrettes. Ce fut le cas, au détriment des forgerons, des palefreniers ou des charrons. Mais en même temps, de nouveaux métiers ont émergé, et massivement: mécaniciens, vendeurs de voitures, d’équipements ou d’infrastructures routières, lieux de stationnement… Parallèlement, les trains ont remplacé le travail éreintant des conducteurs de charriots, mais ont créé un secteur ferroviaire florissant. Le monde s’est adapté et a prospéré.
Cela ne veut pas dire que la transition a été facile. Au début du XIXe siècle, les luddites, ces artisans ouvriers qualifiés des industries textiles en Angleterre, inventaient le «sabotage», en jetant leurs sabots dans les machines pour les casser. La résistance au changement est une tradition intemporelle, mais elle néglige souvent la vue d’ensemble.
Tout comme la mécanisation a finalement amélioré les niveaux de vie, l’IA promet assurément une nouvelle vague d’opportunités. Bien sûr, elle va profondément transformer de nombreux métiers, sans pour autant les faire disparaître. L’exemple traducteurs professionnels est révélateur: même si les modèles de traduction neuronale atteignent des niveaux de performance inédits, ils ne remplaceront pas pour autant les traducteurs humains. La nature de leur travail, en revanche, va devoir évoluer, en transférant la valeur ajoutée vers la postédition, l’adaptation culturelle et la gestion de projets de traduction: autant de tâches difficilement automatisables.
Une mutation des métiers intellectuels
La récente annonce de l’acquisition par le groupe PwC de 100.000 licences de ChatGPT Entreprise est une autre illustration de cette mutation des métiers intellectuels. L’idée n’est évidemment pas de remplacer les consultants, mais d’augmenter leur productivité en automatisant la génération de premiers jets de livrables (présentations, rapports, modèles financiers) et en facilitant la veille stratégique et l’analyse de données non structurées. Lesdits consultants pourront ainsi se focaliser sur des tâches à plus haute valeur ajoutée comme la créativité, le jugement critique et l’interaction client.
Les applications de l’IA pour transformer et améliorer les tâches des collaborateurs se multiplient. Le secteur des ressources humaines, par exemple, n’en manque pas: automatisation de tâches répétitives et chronophages dans le processus de recrutement (le tri des CVs, la planification des entretiens…); personnalisation de programmes de formation pour les employés, en identifiant les compétences à développer et en proposant des parcours de formation adaptés; mise en œuvre d’assistants virtuels permettant de gérer des demandes des collaborateurs et fournir des réponses rapides à leurs questions RH; automatisation de la rédaction de documents RH (offres d’emploi, comptes rendus d’entretien, communications internes…); optimisation des processus internes en analysant les données de l’entreprise pour faire des prévisions utiles, développer la diversité, et stimuler la productivité; utilisation de chatbots pour répondre aux questions fréquentes des clients, libérant ainsi les agents du service dédié pour qu’ils puissent se concentrer sur des problèmes plus complexes et offrir un service plus personnalisé.
Une locomotive des temps modernes
Derrière ces exemples – la liste est loin d’être exhaustive – se profile un nouveau paradigme: les tâches routinières et la saisie de données pourraient devenir des reliques du passé, en même temps que l’IA va créer ou développer de nouveaux métiers: des éthiciens de l’intelligence artificielle, des formateurs de robots, des consultants en protection des données… La répétitivité va céder la place au créatif, au stratégique, et à tout ce qui est profondément humain. Tout comme les voitures et les trains, l’IA se profile comme une locomotive des temps modernes, un outil destiné à faciliter la vie de tout un chacun, entreprises tout comme particuliers.
Tout l’enjeu réside désormais dans la façon dont sera gérée est exploitée l’information dont se nourrissent tous les systèmes d’IA pour se développer et s’améliorer. De la même manière que les voitures ont transformé un trajet d’une journée en quelques heures heure de route, l’IA permettra aux humains de traiter des océans de données et de les transformer en informations utiles. Nous passerons de la recherche d’informations à leur compréhension profonde et leur exploitation. L’humain agira comme un chef d’orchestre de ces flux d’informations.
Il reste bien sûr toujours des risques d’abus et de dommages involontaires. C’est pourquoi il est indispensable de s’appuyer sur des codes de conduite avec des règles et des sanctions en cas de non-conformité, de la même manière qu’il faut un permis pour conduire une voiture. Chez Luxinnovation, nous considérons l’intelligence artificielle non pas comme un destructeur, mais comme, mais comme un transformateur d’emplois (voir le concept de destruction créatrice de Schumpeter) et nous accompagnons les entreprises dans cette transformation, en faisant en sorte que l’IA élargisse leurs paysages intellectuels et technologiques, tout comme les voitures et les trains ont élargi nos horizons spatiaux.
La clé reste de mettre en œuvre cette technologie raisonnablement, en veillant à ce qu’elle serve avant tout de véhicule vers un avenir plus brillant et plus efficace. Attachez vos ceintures, car le voyage ne fait que commencer…
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