48 communes ont désigné au moins un organe dédié à l’égalité entre les femmes et les hommes. Une quinzaine d’autres communes (dont Luxembourg-Ville et Esch-sur-Alzette) ont été plus loin en se dotant d’un service ad hoc. Que vous inspire cette photographie de l’implication des pouvoirs locaux?
«Il est extrêmement important que les pouvoirs locaux s’investissent dans le processus de l’égalité entre les hommes et les femmes. Or, le nombre de commissions consultatives par commune est en forte régression, faute d’un nombre suffisant de membres. La thématique de l’égalité entre les hommes et les femmes ne bénéficie plus de l’attention nécessaire, car elle s’intègre dans d’autres commissions ayant plusieurs vocations: famille, 3° `âge, etc… Le CNFL procédera à une actualisation de ces données après les élections de 2023.
Le CNFL demande l’institution obligatoire de commissions à l’égalité dans les communes comptant plus de 1.000 habitants, d’un service dans les grandes communes et l’élaboration d’un mode de financement de la politique d’égalité tenant compte de la responsabilité de l’État et des communes.
J’ajouterais que 27 communes ont signé la Charte européenne pour l’égalité entre les femmes et les hommes. Et le ministère compétent au Luxembourg a conclu des conventions avec les communes de Steinfort, de Clervaux et de Mertert: elles s’engagent à analyser la situation sur leur territoire et à s’occuper activement de l’égalité des sexes dans un projet pilote avec le ministère.
Vous visez «égalité complète». Qu’est-ce à dire?
«Peu importe le genre, l’origine, l’âge de la personne, ce qui compte ce sont ses compétences. Ce qui compte, c’est son projet de vie. En tant que société, nous n’avons pas le droit de limiter les aspirations de quelqu’un.
Je suis de la génération de mai 68, je me souviens que je devais disposer de l’autorisation et de la signature de mon mari pour ouvrir un compte bancaire ou travailler quand je suis arrivée en 1971 au Luxembourg. Le chemin parcouru depuis lors est déjà considérable, mais il faut poursuivre les efforts pour arriver à l’égalité complète, c’est-à-dire dans tous les domaines: public, professionnel et privé.
Il suffit d’une crise économique pour faire reculer les droits des femmes.
Comment combattre le sexisme?
«Je citerais Nelson Mandela «L’éducation est l’arme la plus puissante pour changer le monde et atteindre l’égalité». Or, il suffit par exemple d’une crise économique pour faire reculer les droits des femmes qui occupent encore souvent les postes de travail les plus précaires et les moins bien payés, sont mises sous pression pour laisser les postes de travail aux hommes. Pendant le confinement, le partage des tâches domestiques a-t-il été équitable? La réponse n’est certainement pas positive partout. D’une façon générale, je remarque toutefois que la situation évolue favorablement chez les nouvelles générations, due notamment aux nouveaux programmes de formation et d’éducation mis en place depuis quelques années et sans cesse améliorés.
Il y a quelques jours aux USA, l’arrêt Roe V. Wade de 1973 qui consacrait le droit à l’avortement a été révoqué par la Cour suprême! C’est une régression flagrante du droit des femmes à disposer de leurs corps. Cela doit nous rappeler que les droits des femmes acquis de longue lutte peuvent être remis en question lors de crise politique, religieuse ou économique. Dès lors, ce droit des femmes à disposer de leur corps devrait être inscrit dans la Constitution.
En entreprise, les quotas demeurent un moyen de tendre vers l’égalité dans la représentation des femmes dans les organes de direction des entreprises. Ceci vaut aussi en politique sur les listes électorales notamment. Cette méthode des quotas vous semble-t-elle valable?
Je suis opposée au principe du quota, car, comme je le disais, c’est la reconnaissance des compétences qui doit permettre aux femmes d’accéder aux fonctions qu’elles méritent. Néanmoins, les quotas demeurent, pour l’instant, un mal transitoire nécessaire, car ils permettent d’ouvrir la voie à des femmes qui peuvent occuper certains postes pour la première fois et prouver ainsi leurs compétences. D’un autre côté, il faut bien reconnaître qu’il faut encore «aller chercher» les femmes qui ne se manifestent pas encore autant que les hommes pour occuper certains postes, souvent en raison d’impératifs familiaux à gérer en plus de leur travail ou par manque de confiance dans leurs compétences, par excès de modestie quant à leurs capacités…
Nous devons trouver des réponses à la quête de sens que recherchent notamment les plus jeunes dans leur travail.
La question du temps de travail revient dans le débat public depuis plusieurs semaines et le ministre du Travail, Georges Engel (LSAP) va commander une étude sur le sujet. Doit-on aussi envisager cette question sous l’angle l’égalité des chances?
«J’ai participé à la création de la Fédération des femmes cheffes d’entreprise et c’est un sujet qui nous a en effet occupées, avec comme pistes de réflexion le modèle suédois ou des Pays-Bas qui ont réduit le temps de travail. Une meilleure conciliation de la vie professionnelle avec la vie privée passe à priori par une réduction du temps de travail, mais quid des déséquilibres du marché du travail…
La réflexion doit être portée sur une organisation de la société qui puisse permettre à chacun de progresser au mieux dans sa vie professionnelle tout en s’épanouissant dans sa maternité ou sa paternité, d’autant plus que les jeunes générations sont très attentives à leur vie privée. Nous devons aussi trouver des réponses à l’organisation de la vie au sens large et à la quête de sens que recherchent notamment les plus jeunes dans leur travail professionnel.
La semaine de quatre jours est une bonne idée?
«J’ai expérimenté le temps aménagé et partiel de mes collaborateurs dans mes précédentes entreprises, en adaptant l’organisation interne autant que faire se pouvait en fonction de leurs responsabilités familiales et des impératifs de l’entreprise. Ce qui n’a jamais posé de problème, même s’il faut bien admettre que cela nécessitait de jongler avec plusieurs paramètres. Cette complexe question du temps de travail devrait avant tout être abordée et négociée au sein de chaque entreprise.
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Malgré la prise de conscience générée par le mouvement #MeToo à l’international, ce phénomène semble être invisible au Luxembourg. Le pays est-il vraiment préservé?
«La société luxembourgeoise est attachée à la culture du consensus et de discrétion, ce qui est positif à bien des égards, mais certainement pas pour ce sujet. Le pays est-il vraiment préservé par ce phénomène? Je ne pense pas… Peut-être faudra-t-il encore un peu de temps pour que la parole se libère… Cela passera par une sensibilisation des jeunes filles et des femmes, qui doivent surtout éviter d’être en situation mentale de blocage ou d’infériorité face à des comportements inappropriés. Elles doivent intégrer qu’elles ne sont ni les responsables ni les coupables des comportements odieux à leur égard, mais les victimes.
Avez-vous remarqué un «effet covid» sur la violence domestique?
«Le confinement prolongé en un même lieu de personnes qui sont généralement séparées a, chez certains, entraîné des conflits parfois violents voire des séparations qui se sont également mal déroulées. Nous n’avons pas de chiffres objectifs, complets et fiables, mais le phénomène se vérifie à travers différents témoignages. J’ajoute que les inégalités sociales se sont particulièrement révélées durant cette période pour celles et ceux qui ont dû composer à la fois avec une vie de famille confinée et le télétravail dans un logement qui n’était pas adapté pour combiner toutes ces activités d’une façon harmonieuse.
Encore trop peu de filles orientées vers les domaines scientifiques, techniques, mathématiques, technologiques…
Quels sont les chantiers que vous souhaitez mener en tant que présidente?
«Je m’inscris dans la continuité des actions entamées par mes prédécesseures, avec un accent sur l’éradication de la violence envers les femmes et les filles, une volonté symbolisée chaque année en décembre par «l’Orange Week» organisée à l’occasion de la Journée internationale de l’élimination de la violence à l’égard des filles et des femmes, manifestation à l’organisation de laquelle le CNFL participe largement.
Dans ce souci permanent de l’accroissement indispensable de la visibilité des femmes dans la société, nous continuerons de porter à la connaissance du public les biographies de femmes remarquables, dans quelque domaine que ce soit, qui nous ont précédées et qui se retrouvent partiellement dans l’initiative «Femmes Pionnières du Luxembourg» que nous soutenons.
J’aimerais aussi sensibiliser les femmes et les filles aux secteurs qu’elles délaissent encore trop souvent comme la digitalisation, les nouvelles technologies, les sciences de l’ingénieur, etc. Nous retrouvons encore trop peu de filles orientées vers les domaines scientifiques, techniques, mathématiques, technologiques… C’est un combat de longue haleine.
Comment justement à encourager les femmes sur le plan professionnel?
«Comme évoqué, l’organisation du travail est à revoir afin de mieux équilibrer la vie professionnelle et la vie privée. C’est également valable pour les hommes. Nous voudrions encourager les femmes à «oser». Les diplômées sont majoritaires par rapport aux diplômés, et même mieux diplômées, mais elles restent minoritaires dans les sphères dirigeantes. La question de l’orientation scolaire reste un des éléments déterminants. La culture dominante au Luxembourg raisonne encore trop en emplois féminins et en emplois masculins. Il importe de dynamiter cette inertie au plus vite.
Puisqu’elles sont un droit, les aides au logement devraient être versées automatiquement en fonction de la situation de la personne.
Une autre problématique qui concerne les femmes en détresse ou les mères célibataires aux faibles revenus est la difficulté de trouver un logement. Que faudrait-il faire pour solutionner durablement cette problématique?
«Certaines familles monoparentales, dont surtout les mères célibataires à faible revenu subissent de plein fouet le manque de logements sociaux locatifs au Luxembourg, elles ne sont pas toujours en mesure de rassurer les futurs bailleurs quant à leur capacité de pouvoir payer le paiement d’un loyer durant toute la durée d’un bail, malgré les aides auxquelles elles peuvent prétendre. Il y a un travail de fond à poursuivre pour décortiquer les préjugés.
En outre, le premier devoir de l’État est de veiller à ce que les 17% de ses citoyens en situation de pauvreté disposent d’un logement social décent. Or, le logement social existe à peine au Luxembourg (2% à 3%). On ne peut que constater les échecs des gouvernements successifs si l’on observe ce qui se fait à l’étranger (20% à 40% de logement social). L’introduction de la notion de droit au logement décent lors de la révision récente de la constitution est une très bonne chose, encore faut-il que ce soit un droit réellement opposable.
Faut-il mettre en place des aides spécifiques pour les femmes concernées?
«Un nombre certain d’aides pour la population, y compris les femmes, existent déjà, mais il ne faut pas sous-estimer le frein que constituent l’amour-propre et de la gêne, que l’on soit une femme ou un homme. Puisqu’elles sont un droit, elles devraient être versées automatiquement en fonction de la situation de la personne (qui est connue par ailleurs de l’administration) et éviter ainsi l’humiliation des démarches administratives. Cela existe chez certains de nos voisins.
Allez-vous mettre l’accent sur certaines problématiques en perspective des élections de 2023?
«Nous allons mener campagne sur l’égalité de la représentation des femmes en politique et inviter les partis à se positionner sur la question et les moyens qu’ils comptent éventuellement intégrer dans leur programme pour y parvenir. Nous avons établi un questionnaire que nous allons soumettre aux partis et à leurs comités autonomes ou sous-organisations afin d’entamer un débat avec eux. À nouveau, l’objectif est de dire aux femmes «osez» vous lancez en politique. Aux partis de supporter et d’encourager ce mouvement.
Quelle est votre définition du féminisme?
«C’est tout simplement la défense de l’égalité des droits des femmes avec ceux des hommes dans toutes les situations de la vie et leur traduction correcte, c'est-à-dire entière, dans la réalité.»
Cette interview a été rédigée pour l’édition magazine de parue le 13 juillet 2022. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam.
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