La société Annen, spécialisée dans les façades et fenêtres complexes en bois, fait construire une halle de production pour ses propres besoins. Que cette dernière soit construite en bois n’a rien de très étonnant au vu de l’activité de l’occupant. Mais ce qui est plus surprenant, c’est qu’elle met en œuvre des arches grandes de plus de 50 mètres d’une seule portée et sans liant chimique ou mécanique. Une prouesse technique qui est rendue possible grâce à une invention conjointe d’Annen et de l’ingénieur Yves Weinand.
C’est à la Moselle, à Manternach, qu’Alois Annen a choisi de développer, au début des années 2000, son entreprise artisanale sur le territoire du Grand-Duché. Au fil des années, cette entreprise d’origine allemande a su gagner la confiance des architectes et des ingénieurs. C’est Annen qu’on appelle pour les chantiers complexes, tels que la construction des Thermes à Strassen ou, plus récemment, pour Helix, le nouveau siège de Post.
Lorsque le projet de construction d’une halle de production a germé, la construction en bois tombait sous le sens. «Alois Annen est venu nous voir avec comme référence un projet de l’ingénieur uruguayen Eladio Dieste, qui développe de très grandes et complexes arches à double courbure», explique Axel Christmann, partner et CEO de Valentiny hvp architects, en charge de la partie architecturale de la halle. «Sauf que ces arches sont réalisées en brique, un élément modulaire qui s’assemble, alors que les arches en bois se travaillent avec des poutres, qui sont une seule grande pièce.»
Un obstacle qui ne freine pas pour autant Alois Annen: «Nous aimons les défis et avons donc choisi pour notre propre usine une structure porteuse unique. Avec ce projet, nous voulons montrer les possibilités variées et uniques de notre métier et enthousiasmer les gens. On commence toujours là où les autres abandonnent.»
Une association fructueuse
Pour concevoir cette structure, il s’associe à l’architecte et ingénieur civil Yves Weinand, spécialiste de la construction bois et directeur du Laboratoire des constructions en bois Ibois de l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL). Ensemble, ils développent une «brique» en bois d’un nouveau genre: un module composé de six faces qui s’assemble par emboîtage. L’atout de cette «brique» est qu’elle peut être ajustée pour répondre aux besoins d’une architecture paramétrique. «Dans le cadre de notre collaboration, nous nous sommes surtout concentrés sur la mise en œuvre pratique, avec la commande automatique de la machine par transmission de données paramétriques, ainsi que sur divers essais en laboratoire en termes de déformation et de résistance», explique Alois Annen.
Cette invention a reçu le Prix de l’innovation dans l’artisanat de la Chambre des métiers en 2017, mais n’avait pas encore été mise en œuvre. C’est désormais le cas. L’enveloppe de construction, à la fois structurelle, spatiale et thermique, consiste en une série de 23 voûtes en panneaux de hêtre, dont les portées s’étendent entre 22 et 53 mètres et sont d’une hauteur constante de 13 mètres.
Une construction en plusieurs étapes
D’un point de vue architectural, une harmonie du bâtiment avec l’environnement naturel est recherchée. «Il n’était pas question de construire un grand bloc industriel qui ne correspondrait en aucun point au profil de la vallée», explique Axel Christmann. «C’est pour cela que nous avons développé cette forme articulée avec des sheds pour une entrée de lumière naturelle généreuse.»
La construction du bâtiment se fait en plusieurs phases. Les éléments en bois sont préfabriqués par Annen, transportés et assemblés sur le chantier. Les arches sont montées sur leur flanc, puis relevées à l’aide de grues. Actuellement, une première partie est déjà en activité. Il s’agit de la section qui accueille les espaces de bureau, un parking couvert, une partie production et les salles de service, telles que les sanitaires, la cantine, la cuisine et le restaurant. La présence de ce dernier s’explique ainsi: «J’ai terminé ma formation de menuisier au monastère, où il y avait un déjeuner chaud tous les jours», se remémore Alois Annen.
«Depuis lors, j’ai voulu poursuivre ce rituel dans ma propre entreprise, car un déjeuner sain fait partie d’une alimentation équilibrée, et je considère cela comme un investissement durable pour mes employés. Après avoir planifié la cuisine pour la cantine de la maison, il est rapidement devenu clair qu’il serait dommage d’utiliser cette cuisine très bien équipée seulement pour les quelque 150 employés de notre entreprise. De cette situation est né en 2022 le restaurant Kachatelier, géré par Harald Rüssel et moi-même.»
Le reste de la construction se poursuit progressivement. La plus grande salle aura des dimensions impressionnantes: 40m sur 50m, sans aucune colonne, avec une hauteur sous plafond de 13 m (hauteur constante sous toutes les arches). Pour cela, une arche de 53m sera construite. Au total, plus de 35.000 pièces uniques et ne pouvant aller qu’à un emplacement spécifique sont assemblées pour obtenir les arches.
«Cette conjugaison entre la technologie et l’artisanat, c’est l’avenir», assure Alois Annen. «Les détails de l’architecture et de l’ingénierie sont souvent trop théoriques. Le point de vue de l’artisan sur une mise en œuvre pratiquement simple me semble tout aussi essentiel, sinon plus essentiel.»
Un transport facilité
Cette méthode présente aussi un autre atout indéniable: la facilité du transport. «Auparavant, pour construire de grandes portées en bois, nous devions forcément passer par la mise en œuvre de grandes poutres préfabriquées», explique Alex Christmann. «Or, le transport nous limitait à 35 m de longueur. Avec ce système d’assemblage, cette question est totalement obsolète. Nous pouvons monter des arcs de plus de 50m avec des éléments transportés en camionnette. Et nous ne sommes plus dépendants d’une usine se trouvant en Autriche ou en Suisse, là où se trouve actuellement le savoir-faire, mais pouvons fabriquer les modules directement chez Annen. On économise en transport et en matière première, car les caissettes utilisent aussi beaucoup moins de bois que des poutres. C’est donc aussi beaucoup mieux pour l’environnement.»
«Notre curiosité pour la nouveauté et le défi que cela représentait nous ont poussés à oser ce projet», assure Alois Annen. «Le passé nous a montré que des projets de construction complexes avec de grands défis ont propulsé notre propre force d’innovation et ont influencé positivement notre succès sur le marché. Grâce à des projets innovants comme l’usine de Manternach, nous voulons montrer que notre artisanat n’a pas de limites.»
Fiche technique
Maître d’ouvrage: Annen
Architectes: Yves Weinand, Valentiny hvp architects
Ingénieur structure bois: Bureau d’études Weinand
Ingénieur structure béton: AuCarré
Entreprise Bois: Annen
Transfert technologique: Laboratoire des constructions en bois Ibois, EPFL
Surface: 5.800m2
Livraison: 2025
Cet article a été rédigé pour du mois de décembre.
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