Juguler l’inflation s’effectuera probablement au détriment de la croissance. Avec un taux de l’inflation au sein de la zone euro qui commence à frôler dangereusement les 10%, soit cinq fois supérieur à l’horizon cible de 2%, un resserrement monétaire drastique ne peut être qu’envisagé par la Banque centrale européenne (BCE). Si l’objectif est de limiter la casse, pareille politique monétaire aura pour conséquence directe de freiner encore davantage les flux économiques et pèsera sur le chômage. Un pari des plus risqués au moment où l’Union européenne s’attend à l’arrêt de la livraison du gaz russe d’ici l’hiver prochain.
Entre atténuer la hausse des prix ou protéger le marché du travail, la BCE se trouve acculée et face à un arbitrage des plus difficiles. Cela nécessite en effet de classer les problèmes économiques par ordre de priorité. En plus d’être binaire, la facture sera d’autant plus brutale qu’elle doit être rapide. Alors qu’une approche graduelle était encore une option il y a six mois, la situation actuelle a changé. Une normalisation plus rapide que prévue accentue le risque d’erreurs de calibrage.
Les réputés «faucons» au sein du conseil des gouverneurs de la BCE prônent, pour leur part, un resserrement monétaire plus agressif, inspiré par la Fed. Outre-Atlantique, avec un taux de l’inflation à 9,1%, la Réserve fédérale américaine (Fed) a déjà prévu une troisième hausse de ses taux directeurs en juillet. De la sorte, les banquiers centraux américains auront relevé les taux d’intérêt de 1,75 point de pourcentage en une seule année. Rien qu’au cours des trois derniers mois, la Fed les a relevés de 1,5 point de pourcentage. Avec une telle politique, la Fed se montre désormais bien plus agressive qu’elle ne l’était à la sortie de la crise de 2007-2009.
Des bénéfices à long terme
Tous les regards se tournent maintenant vers la prochaine réunion de politique monétaire de la BCE, le 21 juillet prochain. L’institution de Francfort a déjà annoncé, en juin, qu’elle augmenterait ses taux directeurs de 25 points de base, soit sa première hausse depuis 2011. Une deuxième hausse devrait s’opérer à la prochaine réunion de septembre. Mais certains analystes s’attendent à ce qu’elle les relève déjà de 50 points ce mois-ci, sous la pression des «faucons» qui militaient déjà pour une hausse de 25 points face aux «colombes» lors de la réunion de juin.
Du côté américain, des analystes s’inquiètent pourtant qu’une politique aussi agressive de la Fed ne réduise les liquidités disponibles, accélérant du coup le ralentissement de l’économie déjà amorcé. A contrario de la zone euro, l’économie des États-Unis se montre toutefois plus résiliente aux chocs. D’une part, l’inflation américaine est poussée à 30% par l’énergie, contre plus de 50% en Europe. Et ce, sans compter que l’économie américaine est nettement moins dépendante des approvisionnements énergétiques étrangers. D’autre part, l’inflation de la zone euro découle en partie d’un choc de l’offre, en raison des retards de livraison et des pénuries, alors que l’inflation américaine résulte d’un choc de la demande.
Le constat que le recul de la croissance pourrait être le remède à l’inflation croissante et persistante fait donc froid dans le dos. Les marchés financiers voient venir cette option depuis plusieurs semaines, mais les opérateurs économiques et les consommateurs, en première ligne, devront s’y préparer rapidement. Une politique de normalisation brutale ne peut viser en effet que des bénéfices à long terme.
Si l’optimisme et l’audace des «faucons» de la BCE pourraient payer, il faut par contre garder à l’esprit que juguler l’inflation par la politique monétaire n’en résout pas pour autant les causes. Éliminer les goulots d’étranglement dans les chaînes d’approvisionnement et réduire l’instabilité aussi bien de la production que de la distribution d’énergie ne rentrent pas dans le champ de compétence de la BCE, mais relèvent plutôt de la géopolitique.