Fredrik Skoglund, chief investment officer, Banque internationale à Luxembourg.  (Photo: Bil)

Fredrik Skoglund, chief investment officer, Banque internationale à Luxembourg.  (Photo: Bil)

La pandémie de Covid-19 a provoqué une inflation désordonnée, que les autorités monétaires peinent à ramener sous leur contrôle. Depuis le début du redémarrage de l’économie, l’inflation s’inscrit obstinément au-dessus des objectifs des banques centrales, établis aux alentours de 2% pour les États-Unis, la zone euro et le Royaume-Uni. En grignotant le pouvoir d’achat, l’inflation galopante menace de saboter la reprise à laquelle nous assistons.

S’il est vrai que les banques centrales ont peu de moyens pour endiguer l’inflation du côté de l’offre (avivée par les tensions géopolitiques qui risquent de créer des pénuries de matières premières), les responsables politiques et l’opinion publique attendent néanmoins des politiques monétaires qu’elles se tournent vers la demande, pour ramener l’inflation sous contrôle sans pour autant faire dérailler la croissance. Les banques centrales ont bien conscience du risque posé par l’inflation. Toutefois, leurs approches divergent.

Banque d’Angleterre ferme, position à confirmer

La Banque d’Angleterre a réagi prestement et ramené ses taux d’intérêt à leur niveau d’avant la pandémie, à 0,75%. Un quatrième resserrement est par ailleurs prévu au mois de mai, mais sa position pourrait encore évoluer. Il y a quelques semaines, seule l’inflation des prix la préoccupait. Lors de sa réunion la semaine dernière, la Banque d’Angleterre a signalé que la «déflation par la croissance» retenait aussi son attention. Ces phénomènes résultant tous les deux de la hausse des prix des matières premières, les banques centrales doivent choisir lequel combattre en priorité.

Fed sévère

Outre-Atlantique, après avoir jugé que l’inflation «passagère» se dissiperait d’elle-même, la Fed a dû se montrer plus sévère en voyant que son laissez-faire devenait trop risqué, l’inflation commençant à s’installer durablement. La banque centrale a ensuite privé les marchés des bienfaits de son programme de ‘quantitative easing’ (ses achats de bons du Trésor et de MBS sont aujourd’hui terminés), avant de décider de relever ses taux d’intérêt pour la première fois depuis 2018 lors de sa réunion du mois de mars. La Fed a alors remonté ses taux de 0,25%, à 0,50%, et annoncé six autres interventions programmées lors de ses prochaines réunions de l’année. Lundi, Jerome Powell est allé plus loin, en affirmant que les taux seraient relevés de 50pb en mai si nécessaire. Ses propos ne sont pas passés inaperçus: sur les marchés monétaires, les intervenants estiment à présent que le taux des Fed Funds s’établira autour de 3% en septembre 2023, contre une prévision de 2,1% début mars. La prochaine intervention visant à empêcher l’inflation de flamber consistera probablement à commencer à réduire le bilan de 9.000 milliards USD de la banque centrale.

BCE prudente

La Banque centrale européenne traite l’inflation avec la plus grande prudence, et a déclaré, lors de sa réunion de mars, que rien ne pressait pour relever le taux historiquement faible de rémunération des dépôts, tout en poursuivant le retrait progressif de ses mesures de relance exceptionnelles. De l’aveu de la BCE, les relèvements de taux, lorsqu’ils auront lieu, seront «progressifs». Alors que la zone euro a plutôt bien résisté à la vague Omicron et repart à plein régime, avec un chômage au plus bas (6,8%), son économie est en revanche davantage exposée à la guerre en Ukraine. Par conséquent, Christine Lagarde elle-même a prévenu que l’action de la BCE serait «désynchronisée» de celle de la Fed dans un avenir proche. Selon toute vraisemblance, les tensions géopolitiques devraient retarder les plans de normalisation de politique monétaire de la BCE, plutôt que les faire échouer.

Vers une normalisation des politiques monétaires

Pour les investisseurs, le message est clair: qu’elles le fassent maintenant ou dans quelques mois, les banques centrales retirent pour de bon leurs mesures de soutien. Reste à savoir si elles peuvent le faire sans provoquer la colère des marchés ni l’atterrissage forcé des économies. Aux États-Unis, si pour l’instant les actions résistent au durcissement de ton de la Fed, celui-ci continue de donner lieu à un aplatissement de la courbe des taux américaine et à une hausse du dollar, tendances qui risquent de se poursuivre au cours des prochains mois.

La différence de rythme dans la normalisation des politiques monétaires est donc à surveiller par les investisseurs. Par exemple, les divergences croissantes entre une Fed de plus en plus sévère et la BCE, plus prudente, accentuent l’écart entre les rendements souverains américains et allemands, et se feront également ressentir au niveau des performances des styles et des secteurs. Aussi, nous avons récemment décidé de ramener notre exposition aux valeurs financières européennes à un niveau neutre, tout en renforçant la surpondération du secteur aux États-Unis. Lorsque les taux commenceront à monter, les sociétés financières, et plus particulièrement les banques, bénéficieront d’un réel soulagement après des années de rendements inexistants qui mettaient à rude épreuve leur modèle d’exploitation. En Europe, en revanche, le secteur risque d’être freiné à court terme par le resserrement monétaire plus modéré de la BCE, sans parler de l’exposition accrue des banques régionales au marché russe. Cela dit, l’attitude de la banque centrale pourrait aussi profiter à d’autres secteurs typiquement florissants dans un contexte d’inflation en hausse, à l’instar de l’énergie et des matériaux.