Les taux qui augmentent rendent l’accès au crédit plus difficile et accélèrent l’impossibilité de mettre en rapport moyens financiers et prix des logements. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Les taux qui augmentent rendent l’accès au crédit plus difficile et accélèrent l’impossibilité de mettre en rapport moyens financiers et prix des logements. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

La nouvelle hausse des taux d’intérêt par la BCE, ce jeudi, qui n’est probablement pas la dernière cette année, va sérieusement compliquer la donne sur le marché immobilier luxembourgeois.

«Nos futures décisions feront en sorte que les taux d’intérêt directeurs de la BCE soient fixés à des niveaux suffisamment restrictifs, aussi longtemps que nécessaire, pour assurer un retour au plus tôt de l’inflation au niveau de notre objectif de 2 % à moyen terme.» En plein milieu de l’été, la présidente de la Banque centrale européenne, Christine Lagarde, ne laisse planer aucun doute: les taux continueront de monter aussi longtemps que l’inflation ne sera pas ramenée durablement – le mot qui compte – à 2%.

Si, le lendemain, la Banque centrale de Luxembourg a publié ses résultats annuels, elle n’a que très peu évoqué la question, se contentant de rappeler qu’elle surveillait de près la situation du marché du crédit dédié à l’immobilier via de plus en plus d’indicateurs. «Nos simulations suggèrent qu’en 2022 et 2023 le service de la dette a augmenté plus rapidement que le revenu et que la probabilité de défaut a aussi augmenté en moyenne», disait-elle en juin.

La BCE avait commencé à remonter ses taux directeurs en juillet 2022, mais il faudra attendre octobre 2022 pour voir les encours de crédits immobiliers au Luxembourg rompre avec 129 trimestres d’augmentation successive. Aujourd’hui, l’encours est resté stable à 41,46 milliards d’euros. Sur un an, les néo-emprunteurs ont vu leur taux fixe augmenter de 180 points à 3,85% tandis que les 40% d’emprunteurs qui ont préféré un taux variable ont dû encaisser une augmentation de 302 points de base jusqu’ici, de 1,36% à 4,38% (juin 2023).

Les ménages modestes «peu» propriétaires

Concrètement, pour 500.000 euros empruntés il y a un an sur 360 mois à 1,36%, les «variables» avaient une mensualité de 1.692 euros contre… 2.498 euros aujourd’hui, avec une spectaculaire augmentation du coût du crédit de 109.196 à 399.244 euros. Notons que ces chiffres sont purement théoriques parce qu’ils ne prennent pas en compte l’apport, le profil des emprunteurs, le type de bien ou même le panachage taux fixe-taux variable.

Mi-juin, la BCL avait nuancé le risque, . Gaston Giordana et Michael Ziegelmeyer y expliquent que «si la part des ménages financièrement vulnérables au Luxembourg a augmenté entre 2018 et 2021», «en examinant la situation financière des ménages selon le niveau des revenus, le risque de crédit se trouve concentré parmi les ménages plus modestes. Cependant, selon les données de l’enquête Household Finance and Consumption Survey, les 20 % des ménages aux revenus les plus modestes ne représentent que 9 % de la dette totale du secteur des ménages et 11 % du nombre de contrats hypothécaires au Luxembourg, ce qui limite l’éventuel impact sur la consommation privée et l'activité économique agrégée.» Les dynamiques actuelles pourraient bien modifier considérablement la situation, suggère encore les deux économistes.

L’augmentation des taux a un double impact: elle invite les banques à resserrer les conditions d’octroi de crédits immobiliers mais elle rend le marché luxembourgeois de plus en plus inaccessible aux acquéreurs. Reprenons un exemple purement théorique. S’il y a un an, à un taux variable de 1,36%, un emprunteur qui voulait dédier 2.000 euros par mois à son crédit immobilier sur 30 ans, pouvait espérer 590.000 euros, il n’obtiendra plus que 400.336 euros dans la même situation aujourd’hui avec un taux à 4,38%, ou 426.094 euros au taux fixe des 3,85%. Sauf que les prix du marché s’établissaient en moyenne à 910.819 euros pour un appartement en VEFA et 1,39 million d’euros pour une maison.

A 12.000 euros le mètre carré en fin d’année, chiffre tiré de la publication annuelle du Statec (2022), 400.336 euros ne permettent que de s’offrir 33 m2 pour 30 ans à payer son crédit, la pilule est dure à avaler.

L’héritage, un élément clé

Comment parvenir à devenir propriétaire? Par les transferts de richesse, autre phénomène étudié par la BCL, début juin. «Environ 30 % des ménages au Luxembourg ont reçu des transferts privés substantiels au cours de leur vie (80% d’héritages et 20% de dons). Parmi ces ménages, près de 90 % sont propriétaires de leur logement et 16 % le sont devenus suite au transfert de la propriété d’un logement en leur faveur. Entre ceux qui n'ont jamais bénéficié d'un transfert privé substantiel, seuls 60 % sont propriétaires. Pour l’ensemble des ménages propriétaires, seulement 6 % ont reçu leur logement actuel en don ou en héritage, ce qui peut refléter la croissance rapide de la population à travers l’immigration et/ou une préférence pour les nouveaux logements», disent les trois auteurs de l’étude.

«38 % des propriétaires ont acheté leur résidence actuelle dans les trois ans avant ou après le transfert le plus important. Pour les jeunes propriétaires, cette proportion atteint 67 %. Dans la moitié des cas, la valeur du transfert dépassait 50 % de la valeur d'achat du logement.»

«Au Luxembourg», dit encore l’étude, «parmi les ménages qui ont reçu des transferts, 14% ont reçu leur maison et 47 % ont reçu d'autres biens immobiliers (18 % ont reçu un terrain, 39 % ont reçu d'autres habitations). En se concentrant uniquement sur les propriétaires, 16 % de ceux qui ont reçu des transferts vivent dans la résidence dont ils ont hérité ou qu’ils ont reçue en cadeau.»

Moins de demande

Avec diplomatie, les trois auteurs avancent aussi qu’«à mesure que la société vieillit, ces parts peuvent changer à mesure que les individus vivent plus longtemps. Par exemple, la part des jeunes ménages qui ont reçu des transferts peuvent décliner à l'avenir, car ils peuvent n'hériter de leurs parents que plus tard dans la vie.»

«Il est très clair que dans un contexte d'incertitudes et face à l'enchérissement du loyer de l'argent, beaucoup de ménages reportent leurs projets d'investissement. Nous sommes donc dans un marché où il y a moins de demande», signale le vice-président du Retail Banking Cluster et Head of Department Retail & Professional Banking de la Spuerkeess, Claude Hirtzig, dans . «Chaque banquier veut faire crédit. Mais aucun banquier ne veut mettre son client dans une situation dans laquelle, il ne pourrait pas le rembourser», ajoute le président du Retail Banking Cluster de l'ABBL et CEO d'ING Luxembourg, Michael Burch. Les demandes de crédits ont ainsi baissé au premier trimestre 2023, ceci se matérialisant par une baisse de 38% en termes de volumes et de 26% en nombre de crédits par rapport au premier trimestre 2022».