Magistrats du siège et du ministère public ne se voient pas garantir la même indépendance dans le chapitre présenté par la commission des institutions. (Photo: Nader Ghavami / Archives Maison Moderne)

Magistrats du siège et du ministère public ne se voient pas garantir la même indépendance dans le chapitre présenté par la commission des institutions. (Photo: Nader Ghavami / Archives Maison Moderne)

Après les vives critiques du Greco comme du Conseil d’État, la commission des institutions et de la révision institutionnelle va probablement réintégrer la consécration de l’indépendance du ministère public dans le nouveau texte fondamental.

C’est une volée de bois vert qu’a reçue la proposition de loi visant à modifier le chapitre de la Constitution dédié au pouvoir judiciaire – déjà pressentie comme la plus sensible. Les juridictions et les Parquets de Luxembourg et de Diekirch avaient déjà  dans leurs avis fournis à la commission parlementaire, sans oublier la lettre ouverte trempée .

Ce mois de novembre a donné le coup de grâce au texte rédigé par le député  (CSV) et adopté à l’unanimité par la commission. Le Groupe d’États contre la corruption (Greco), organe chargé de suivre le respect des normes de lutte contre la corruption par les États membres du Conseil de l’Europe, a porté une première estocade le 6 novembre avec son rapport de conformité intérimaire du 4e cycle d’évaluation visant la prévention de la corruption des parlementaires, des juges et des procureurs.

Déplorant le retard pris dans la mise en place du Conseil national de la justice, futur organe responsable de la carrière des magistrats et des aspects déontologiques et disciplinaires de la magistrature, le Greco s’indigne surtout du changement de direction pris par rapport à l’indépendance des Parquets.

Le Greco regrette profondément l’abandon du consensus au stade de la proposition de révision du chapitre de la Constitution sur la justice déposée à la Chambre des députés.

Greco

«Concernant l’indépendance du ministère public, le Greco regrette profondément l’abandon du consensus au stade de la proposition de révision du chapitre de la Constitution sur la justice déposée à la Chambre des députés. Il appelle les autorités luxembourgeoises à revoir leur position sur cette question afin de consacrer dans les textes constitutionnels et législatifs l’indépendance du Parquet.»

Un «abandon du consensus» intervenu, pour rappel, à l’été 2019 lorsque le CSV, principal parti d’opposition, a remis en cause la révision de la Constitution en un seul bloc. Un nouveau compromis a été trouvé à l’automne 2019 et prévoit de saucissonner le nouveau texte fondamental à raison d’une proposition de loi par grand chapitre. La Chambre doit donc adopter chaque proposition de loi une par une au lieu de se prononcer sur le texte global.

Au niveau de l’indépendance du ministère public, le consensus visant à l’inscrire noir sur blanc dans la Constitution s’est aussi effondré. La proposition rédigée par Léon Gloden «consacre l’indépendance du siège et la mission du Conseil national de la justice qui veille à l’indépendance de la justice», souligne le député. «C’est un progrès énorme par rapport à la Constitution actuelle», qui ne mentionne pas l’indépendance de la justice.

Une indépendance du siège (juges) garantie, mais pas celle des procureurs d’État? L’avocat s’appuie sur la différence de mission entre les magistrats du siège (juges) et ceux dits debout (procureurs) pour expliquer que seule l’indépendance des premiers soit gravée dans le texte fondamental. «Le Parquet a pour mission de requérir l’application de la loi, ne tranche pas au fond, ne rend pas de jugement ou d’arrêt. Il est l’adversaire de l’avocat du prévenu.»

Le Conseil d’État met en garde le législateur

M. Gloden indique également que des membres du Parquet aident le ministère de la Justice à rédiger des projets de loi en matière pénale tandis que d’autres figurent parmi les membres du Conseil d’État amenés à les examiner, une situation à proscrire dans un État de droit (et qui avait valu au Luxembourg le fameux arrêt Procola de la Cour de justice de l’UE).

Une argumentation que ne soutient pas le Conseil d’État qui consacre pas moins de 13 pages sur 22 sur l’article 87 dédié à l’indépendance de la justice. Le Conseil d’État, dans son avis livré mardi, n’émet pas d’opposition formelle, mais considère que, au vu de la cohérence du dispositif constitutionnel, de la nécessité d’impartialité du ministère public, de l’évolution dans les autres États européens, de la prise en compte des positions du Conseil de l’Europe, du rapport du Greco, de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme et de la Cour de justice de l’UE, «la consécration constitutionnelle de l’indépendance du ministère public a pu être considérée, à juste titre, comme la reconnaissance, dans la norme luxembourgeoise la plus importante, d’une pratique qui s’inscrit, de surcroît, dans une évolution du droit européen en la matière, qu’il s’agisse du Conseil de l’Europe ou de l’Union européenne. L’abandon de cette initiative risque d’être lu comme une mise en cause de la position du ministère public dans l’ordre constitutionnel luxembourgeois, n’excluant pas une pratique d’instruction individuelle, voire une modification législative permettant des instructions à portée générale.»

Les traces de la crise institutionnelle de l’été 2019

En sous-main jouent peut-être aussi des tensions entre le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire, cristallisées autour de l’affaire dite du «casier bis». Les députés ont particulièrement mal accueilli les enjoignant à cesser de multiplier les questions parlementaires. M. Gloden réfute le lien de cause à effet, mais ne manque pas de remarquer que «si cela arrivait dans un autre pays, le ministère de la Justice ou le procureur général d’État devrait démissionner».

La ministre de la Justice (Déi Gréng), qui avait à la suite de ces frictions, s’exprime également en faveur d’un retour à l’intention initiale. «Le gouvernement luxembourgeois fait tout son possible pour garantir l’État de droit. Le refus d’inscrire l’indépendance du ministère public dans la Constitution risque de revenir à faire marche arrière. Il en va de la crédibilité de nos institutions. En premier lieu de celle du Parquet, dont l’indépendance par rapport à la politique est le garant de l’égalité des citoyens devant la justice. De plus, dans le projet de l’instauration d’un Conseil national de la Justice, les magistrats de la justice debout (Parquet) et assise (juges), doivent disposer du même statut d’indépendance pour que le projet, réclamé depuis longtemps, puisse être mis en place.»

Las, la levée de boucliers amène le CSV à revoir ses positions – sachant que les autres députés de la commission s’étaient alignés afin de sauver le travail en commun sur la révision constitutionnelle. «On pourrait se rediriger vers la proposition initiale de Paul-Henri Meyers s’appuyant sur le modèle belge qui garantit l’indépendance du Parquet pour les poursuites individuelles et maintient le pouvoir de directives criminelles du ministère de la Justice sur le Parquet», concède M. Gloden. «Je pourrais vivre avec ce compromis», sous réserve que son parti aussi.

Nous trouverons des formulations qui ne mettent pas en doute la volonté très ferme de respecter l’indépendance de la justice tout en reconnaissant la situation un peu spéciale du Parquet dans sa relation avec le gouvernement.

Mars Di Bartolomeodéputé, président de la commission des institutions et de la révision constitutionnelle

«Personne au sein de la commission des institutions ne met en doute ou ne voudrait mettre en doute l’indépendance de la justice comme institution», assure , président de la commission des institutions et de la révision constitutionnelle. «Nous avons trouvé ces derniers mois des solutions viables dans tous les domaines ayant donné matière à discussion. Nous trouverons des formulations qui ne mettent pas en doute la volonté très ferme de respecter l’indépendance de la justice tout en reconnaissant la situation un peu spéciale du Parquet dans sa relation avec le gouvernement.»

Les prochaines séances, assez rapprochées, de la commission seront l’occasion de corriger le tir tandis que la proposition de loi sur le chapitre des institutions vient d’être déposée par M. Di Bartolomeo.