À l’instar des frontaliers belges, «invités» à justifier chaque déplacement vers le Luxembourg, les frontaliers français pourraient prochainement se voir mis sous pression dans le cadre des nouvelles règles. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne/Archives)

À l’instar des frontaliers belges, «invités» à justifier chaque déplacement vers le Luxembourg, les frontaliers français pourraient prochainement se voir mis sous pression dans le cadre des nouvelles règles. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne/Archives)

La France ne fera plus d’efforts concernant le télétravail sans une convention entre les deux pays, à l’image de celles signées avec la Suisse. Et si les entreprises luxembourgeoises ne collaborent pas avec Paris, les frontaliers français pourraient avoir à rendre des comptes… comme les frontaliers belges.

(Cet article a été modifié dans la partie qui aborde le coût de l’accord pour l’État français, de 48 millions pour les jours de télétravail et non par jour de télétravail, différence qui apparaît à la lecture de l’étude du MOT basée sur 40.000 frontaliers français qui télétravailleraient les 34 jours autorisés).

Dans le cadre bucolique du château de Volkrange, mi-avril, les sourires sont de mise. La secrétaire d’État française chargée de l’Europe, Laurence Boone, et la ministre luxembourgeoise de la Grande Région,  (DP), ont invité les journalistes à assister .

Les échos qu’ils ont partagés avec leurs lecteurs, il y a un mois, méritaient visiblement une petite séance d’approfondissement des relations entre les deux pays, puisque, document surligné en main, l’ambassadrice de France au Luxembourg invitait mercredi 17 mai à un déjeuner et une discussion informelle dont on retiendra deux choses.

D’abord, la France a fait assez d’efforts vers le Luxembourg sur les jours de télétravail. Il ne semble plus question d’aller au-delà des 34 jours – – sans que le Luxembourg n’accepte une convention bilatérale comme celle qu’elle possède avec la Suisse. À quelle hauteur financière ou dans quels termes? L’ambassadrice n’a pas souhaité être plus précise.

44 millions perdus pour les jours de télétravail

ne donne qu’un chiffre: 44 millions d’euros par an pour les jours de télétravail qu’elle accorde au Luxembourg sont «perdus» pour les finances françaises, soit 48 millions d’impôts sur le revenu non perçus en France par jour de télétravail supplémentaire moins 4 millions d’euros dépensés par les frontaliers en France quand ils sont en télétravail.

Le chiffre ne tombe pas de nulle part, fait savoir son équipe, mais des conclusions du rapport de la Mission opérationnelle transfrontalière (MOT), daté de mai 2022, qui prenait déjà en compte le passage à 34 jours par an de «franchise fiscale».

Le chiffre emprunte les données de l’association Au-delà des frontières (ADF), présidée par l’ex-maire de Metz, Dominique Gros, selon lesquelles «en 2020, les frontaliers français avaient versé environ 800 millions d’euros d’impôts sur le revenu au Luxembourg, soit environ 35 euros par frontalier par jour travaillé». L’hypothèse de cette étude se basait sur 40.000 frontaliers français qui peuvent avoir recours à ces jours de télétravail. Soit 40.000×35×34 ou 47,6 millions d’euros.

De son côté, dans la communication officielle, le gouvernement luxembourgeois retient que, «depuis la dernière session de la CIG, des avancées ont pu être enregistrées s’agissant du télétravail, avec le relèvement du seuil de tolérance fiscale de 29 à 34 jours, par . Alors que le développement du télétravail se poursuit, les deux parties s’engagent à continuer les discussions, d’ici fin 2024, pour parvenir à une solution pérenne à compter du 1er janvier 2025 en concluant, le cas échéant, un nouvel avenant. En outre, la France a décidé de simplifier les procédures administratives pour les entreprises luxembourgeoises employant des salariés télétravailleurs domiciliés en France. En effet, la loi de finances pour 2023 met en place , prélevés directement sur le compte bancaire des travailleurs, en lieu et place de l’application d’une retenue à la source par l’employeur.»

Plus de prélèvement à gérer pour les entreprises

C’est le deuxième point abordé sur ce sujet lors du déjeuner. Les entreprises luxembourgeoises n’ont plus à prélever une partie de l’impôt sur le revenu que leurs salariés pourraient être amenés à verser en France pour avoir dépassé la limite du nombre de jours de télétravail. Elles doivent «seulement» se créer un compte spécial auprès de l’administration fiscale française pour déclarer le nombre de jours de télétravail de leurs frontaliers français, une fois par an en fin d’année.

Le fisc verra directement s’il existe une différence entre la déclaration du salarié et celle de l’employeur. L’entreprise luxembourgeoise est-elle légalement tenue de le faire? L’ambassadrice ne tranche pas clairement et certains chefs d’entreprises luxembourgeois, à l’instar du CEO d’Hospilux, , assurent que non. L’Union des entreprises luxembourgeoises (UEL), elle, ne dit pas que c’est légalement obligatoire, mais «invite» les entreprises luxembourgeoises à collaborer avec l’administration fiscale française. .

Ce n’est pas vraiment obligatoire, mais l’entreprise luxembourgeoise a intérêt à y réfléchir. Que se passera-t-il dans le cas contraire? C’est assez prévisible: ce sera au salarié de justifier qu’il a bien travaillé au Luxembourg sous peine de devoir s’acquitter d’impôts sur les revenus luxembourgeois en France.

Des pistes pour se justifier

Le 26 août dernier, l’administration luxembourgeoise des contributions rappelait déjà que c’est au contribuable de prouver sa bonne foi.

Il «peut notamment présenter les documents suivants:

– le contrat de travail ou une attestation de l’employeur mentionnant les fonctions exercées et l’endroit où elles sont exercées;

– les feuilles nominatives de pointage des heures de travail;

– les documents de transport nominatifs (billets, tickets d’avion, etc.);

– les factures nominatives en rapport avec des frais de séjour (hôtel, location de voiture);

– les listes de présence émargées à des réunions ou des formations (extrait de procès-verbal);

– les documents relatifs à des achats de matériel, aux frais de restauration ou de cantine dans l’État d’activité (factures de cartes de crédit, tickets de caisse);

– les ordres de mission nominatifs;

– ainsi que tout autre document pertinent.»

Arrivée des «acomptes contemporains»

La France pourrait-elle devenir aussi pointilleuse que la Belgique? Difficile de le savoir, mais de nouvelles règles sont entrées en vigueur depuis le 1er janvier. Dans le cadre du passage à l’impôt à la source, la France a invité les frontaliers à se pencher spécifiquement sur la question du télétravail et à se créer un compte d’acompte contemporain.

Au lieu que l’administration fiscale française ne s’aperçoive, fin décembre de chaque année, que le frontalier a, par exemple, travaillé 50 jours depuis la France et donc taxe ses revenus sur le travail en une seule fois en septembre suivant (2024 pour la première fois), elle l’invite, s’il est au courant dans l’année, à créer ce compte pour que la charge de l’impôt soit plus facile à supporter parce que les acomptes, qui peuvent atteindre au maximum 50% de la rémunération mensuelle, seront payés le 15 de chaque mois par un prélèvement automatique.

Ce n’est qu’en 2024 que l’on saura comment les choses ont changé pour les frontaliers français. Mieux, comment elles ont commencé à changer. Le savoir leur permettra de documenter leur présence au Luxembourg du mieux possible pour éviter les surprises…