La menace gronde autour de la place financière de Luxembourg depuis plusieurs années. Certains auguraient sa disparition ou la voyaient en tout cas s’affaiblir sous le coup des réformes successives, sans que ces présages deviennent réalité.
En 2014, la fin du secret bancaire aurait dû, selon des analystes, la mettre à mal. Idem quelques années plus tard avec les premières mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (Beps).
Les présages ont été les mêmes après visant à imposer au minimum les entreprises à un taux effectif de 15%, pour laquelle une étape supplémentaire a été franchie samedi dans le cadre du G7 réuni à Londres. Si l’accord est effectivement historique, il ne faut pourtant pas s’attendre à une révolution. C’est en tout l’avis de , managing partner de la société luxembourgeoise de conseil en fiscalité Atoz.
«Le système Beps a déjà éliminé une grande partie des anomalies du système fiscal international. Aujourd’hui, on est en train d’affiner de manière encore plus juste le système d’imposition des sociétés, mais aussi de plus en plus à la marge, car le gros du travail a été fait en amont. Donc je crains que cette réforme fiscale ne va pas générer forcément plus de rentrées fiscales pour les pays», explique le fiscaliste.
Pas de manne fiscale pour le Luxembourg
Certaines projections tendent pourtant à démontrer que du moins. Une idée que réfute Keith O’Donnell. «Dire que la recette fiscale va être monstrueuse est une approche naïve qui est basée sur une analyse très simpliste consistant à prendre les bénéfices et le taux d’imposition pour donner une recette supplémentaire pour le pays. Je ne pense pas que le Luxembourg va se trouver là une nouvelle manne financière. Tout simplement parce que, très souvent, les bénéfices qui arrivent au Luxembourg ont déjà été taxés et ne seront pas taxés une deuxième fois», explique le fiscaliste.
Cette réforme fiscale ne devrait pas non plus impacter négativement l’attractivité du pays.
D’un autre côté, cette réforme fiscale ne devrait pas non plus impacter négativement l’attractivité du pays. «Je ne pense pas non plus que des sociétés vont quitter le Luxembourg, cela voudrait dire qu’elles sont simplement ici en raison d’un taux fiscal effectif. Et inversement, je ne pense pas que si des pays comme Chypre, Malte, l’Irlande deviennent moins attractifs, cela pourrait faire migrer les sociétés vers le Luxembourg. Si les sociétés sont implantées dans les pays, ce n’est pas uniquement pour des raisons fiscales. La question intéressante pour le Luxembourg, mais elle se posera dans 5 à 10 ans, sera la suivante: est-ce que le Luxembourg cherchera un jour à aligner son taux effectif au taux mondial de 15%? Il y aurait une logique à cela, mais là encore, je ne pense pas que ce soit à l’ordre du jour», estime Keith O’Donnell.
Au niveau international, il ne s’enflamme pas non plus quant aux estimations des nouvelles recettes fiscales pour les pays tiers, qui pourront imposer les sociétés internationales, et notamment les Gafa. «Il faut comprendre le contexte général. Les recettes qui viennent de l’imposition des bénéfices des sociétés en Europe tournent entre 7 à 8% de la masse totale des impôts. Donc, même si cette nouvelle réforme arrive à doper les recettes fiscales sur la centaine de sociétés qui entre dans les critères de la réforme internationale, on arrivera à 7,5% ou 8,5% de la masse totale des impôts. Je ne suis pas certain que cela fasse une différence fondamentale», analyse le managing partner d’Atoz.
Par contre, cette réforme risque d’alourdir la complexité fiscale et administrative. «C’est l’inquiétude qui émane pour le moment de nos clients qui se demandent comment se préparer concrètement à cette nouvelle réforme. Mais en aucun cas il y a un désir de quitter le Luxembourg à cause de cela. Le Luxembourg restera attractif non pas en raison de sa fiscalité, mais de son écosystème. Ici, les entreprises trouvent toutes ce dont elles ont besoin, en plus d’un cadre réglementaire tourné vers l’extérieur et l’international. C’est toute la spécificité du Luxembourg, qui fait du pays une place unique en Europe. Dans d’autres pays, la réglementation est surtout faite avec une orientation nationale. Le pays affiche aussi une bonne santé économique par rapport au reste de l’Europe et connaît un environnement politique stable», indique encore Keith O’Donnell. Ce dernier pointe tout de même comme inconvénients le problème du logement et la complexité administrative, qui peuvent être des freins pour les nouveaux arrivants et les entreprises.
Les impôts joueront un rôle moins important à l’avenir dans les décisions d’investissement. Le Luxembourg a tant d’autres avantages.
Un point de vue partagé par (DP), ministre des Finances, qui a souligné chez nos confrères de RTL que cet accord «n’était pas une surprise pour le Luxembourg». Le ministre a également ajouté que «ceux qui vivent encore dans un monde imaginaire et pensent que le Luxembourg est un paradis fiscal se trompent. Ils n’ont pas voulu voir ou n’ont pas compris les changements qui ont été décidés au cours des sept dernières années. Nous ne nous considérons pas du tout comme des perdants ici. Ces dernières années, le Luxembourg a déployé des efforts considérables pour rendre le paysage fiscal plus équitable et faire en sorte que les personnes qui gagnent beaucoup d’argent soient imposées équitablement. Au Luxembourg, nous avons un taux d’imposition nominal de 17% sur les bénéfices. Si l’on ajoute ensuite la taxe commerciale communale, l’imposition des entreprises au Luxembourg est de 25%. Nous sommes donc bien au-dessus des 15%, ce qui n’aura pas d’effet dramatique.»
Enfin, tout comme Keith O’Donnell, le ministre a mis en avant les atouts du pays pour expliquer son attractivité auprès des entreprises étrangères. «Les impôts joueront un rôle moins important à l’avenir dans les décisions d’investissement. Le Luxembourg a tant d’autres avantages, qu’il s’agisse de son triple A, de sa productivité, de nos langues ou de nombreux autres avantages bien connus qui joueront un rôle encore plus important lorsqu’il s’agira de faire quelque chose au Luxembourg.»
Le Congrès américain, une étape difficile à passer
Reste à savoir quand la déclaration d’intention d’une imposition mondiale se concrétisera. Keith O’Donnell doute que cela se fasse à très grande vitesse. Si le G7 a trouvé un accord, il doit désormais être approuvé par l’OCDE, le Congrès américain et l’Union européenne. Or, la seule étape américaine est déjà très incertaine quant à son issue. «J’ai tout récemment discuté avec un expert américain du sujet. Il y a beaucoup de doute sur le passage de la réforme au Congrès américain. Il faut savoir que pour passer une telle loi, il faut une majorité des deux tiers au Sénat. Et pour le moment, il ne semble pas très coopératif. L’administration américaine actuelle a une majorité très mince et il ne faut pas juste convaincre un ou deux membres de l’opposition pour voter en faveur de cette loi, mais une dizaine au minimum. Il y a une possibilité de se passer du vote du Congrès, mais politiquement c’est très risqué», souligne Keith O’Donnell.
«Les experts américains se posent surtout la question de ce qui va se passer en Europe si le vote échoue au Congrès américain. Plusieurs pays européens se sont déjà positionnés sur une taxe digitale locale qui n’est pas en adéquation avec le système fiscal américain, débouchant alors sur une nouvelle guerre commerciale entre l’Europe et les États-Unis», ajoute Keith O’Donnell.