Quelles sont vos activités en matière de valorisation immobilière?
– «Nous sommes une équipe de trois personnes chez INOWAI en charge des évaluations immobilières. Nous traitons entre 150 et 175 dossiers par an et évaluons l’équivalent d’entre 4 et 5 milliards d’euros de valeur. Nos évaluations portent à 70% sur de l’immobilier de bureaux et à 25% sur des projets résidentiels.
Qui sont vos clients?
«Nous réalisons des évaluations pour des fonds qui ont des besoins de valorisation pour leurs bilans trimestriels, semestriels ou de fin d’année. Nous travaillons également énormément pour des banques qui nous sollicitent lorsqu’elles accordent un financement à des promoteurs. Nous avons aussi des clients qui souhaitent établir un partage dans le cadre d’héritages. Nous leur permettons de mettre une valeur sur leur portefeuille pour qu’ils puissent répartir les biens entre les héritiers.
Quelle est l’importance de la valorisation pour les portefeuilles de fonds immobiliers?
«Tout d’abord, il faut rappeler que les fonds calculent une valeur d’actifs nets sur base de laquelle les investisseurs peuvent souscrire ou vendre leurs parts. Pour calculer l’actif net du fonds, il faut donc qu’il y ait une valeur à un moment donné qui indique combien vaut un bien en portefeuille. Ensuite, il ne faut pas non plus oublier que les fonds se financent en partie sur l’acquisition de biens immobiliers. Les contrats de financement contiennent des règles qui veillent à maintenir le loan to value, un ratio du montant du prêt par rapport à la valeur du bien. Dans l’hypothèse où un bien se déprécie trop dans le temps, cela pourrait donc induire une violation du contrat de financement puisque la valeur du bien ne serait alors plus celle qui a été convenue dans le contrat. Par conséquent, la banque serait en droit d’imposer une réinjection de fonds propres ou la vente du bien.
Lors de vos évaluations, établissez-vous la valeur d’un bien sur la base d’un prix ou d’une fourchette?
«Nous donnons toujours un prix. En revanche, nous avons la possibilité d’inclure des sensibilités dans nos rapports. Par exemple, avec les hausses des taux d’intérêt, nous pouvons insérer une sensibilité et indiquer que si les taux d’intérêt montent à nouveau de 25 ou 50 points de base, cela pourrait avoir une certaine incidence sur la valeur du bien évalué. Une règle générale veut que si les taux d’intérêt montent de 1%, les valeurs immobilières baissent de 5%. Le financement devient alors plus cher.
Quels autres facteurs d’incertitude prenez-vous en compte?
«Dans les projets de développement, nous évaluons la valeur des terrains. Au cours de notre évaluation, la plus grande incertitude concerne les coûts de construction, qui ont fortement augmenté. Ce qui nous amène donc à inclure parfois des sensibilités liées aux coûts de construction. Un autre facteur d’incertitude que nous pouvons aussi prendre en compte est le prix de vente. Pour l’instant, les ventes en l’état futur d’achèvement tournent autour de zéro au Luxembourg. Nous ne sommes pas encore en mesure de déterminer si cela aura un impact sur les prix de vente ou non.
L’état du marché constitue-t-il une incertitude particulière?
«En Europe, en général, l’immobilier résidentiel fait face à quelques problèmes en raison des coûts des matériaux et des taux d’intérêt. Au Luxembourg, il y a une proposition de loi sur la table du ministre du Logement, (déi Gréng), qui veut limiter le rendement sur un appartement du Bund. Le problème est malheureusement que cette loi vise à plafonner les rendements à 3,5% du capital investi alors que le financement coûte actuellement plus de 4%. En toute logique, personne ne se lance dans l’acquisition d’un bien s’il sait qu’in fine, il gagnera moins que ce que cela lui coûte.
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En outre, pas mal de promoteurs ont acheté des terrains il y a 12 mois ou plus dans l’idée de les revendre rapidement. Cela n’a finalement pas été possible, d’abord à cause de la crise en Ukraine qui est apparue et qui a été suivie des hausses consécutives des taux d’intérêt et finalement de la proposition de loi sur les rendements. Par conséquent, les banques vont exiger à nouveau des évaluations pour s’assurer que les terrains qu’elles ont financés il y a plus d’un an ont toujours la même valeur.
À quelle fréquence doivent être faites les évaluations?
«Dans le cas des fonds, la fréquence des évaluations est inscrite dans leurs prospectus. Cela peut être sur une base trimestrielle, semestrielle ou annuelle. Pour leur part, les assurances le font annuellement pour leurs bilans. En ce qui les concerne, les banques effectuent des évaluations à l’occasion de financements à long terme avec une mise à jour tous les trois ans, en général. Les conditions économiques et de marché peuvent aussi amener ces acteurs à réitérer leurs demandes d’évaluation.
L’évaluation immobilière n’est pas une science exacte.
Quels sont les critères essentiels pour une valorisation immobilière?
«Nous avons construit notre modèle de valorisation sur la base du niveau de rendement et du taux d’actualisation sur les cash flows. Ce n’est pas une science exacte. L’immobilier est une classe d’actifs comme une autre. Nous comparons toujours les actifs par rapport à la classe de risques d’investissement à zéro risque. Pour ce faire, à zéro risque, nous prenons souvent l’obligation à 10 ans de l’Allemagne, le Bund 10-YR. Historiquement, vous avez toujours des primes de risque qui s’ajoutent au rendement initial, qui tourne actuellement autour de 2,3%. S’agit-il d’un immeuble neuf ou ancien? Se trouve-t-il en plein centre-ville ou en périphérie? Les locataires sont-ils du secteur public ou privé? En fonction des réponses, vous allez, à chaque fois, prendre une prime de risque ou non. C’est comme cela que se construit le taux d’actualisation des cash flows.
Les incertitudes liées à la non-occupation de certains bureaux en raison du télétravail ajoutent-elles des primes de risque?
«Il existe deux écoles sur cette question. Les uns disent qu’il n’y aura aucun effet négatif sur les bureaux. Les employés télétravaillent un ou deux jours, mais les bureaux existants vont être transformés en vue de disposer d’espaces conviviaux qui favorisent les rencontres. Les autres s’attendent à ce qu’il faille entre 10% et 25% de bureaux en moins. Personnellement, je ne pense pas qu’il soit déjà possible d’identifier une tendance. C’est encore trop tôt pour voir d’éventuels impacts.
L’immobilier n’échappe pas à la tendance de la finance durable. Les critères ESG sont-ils intégrés dans vos modèles de valorisation?
«Oui, dans le sens où nous savons très bien que certains grands fonds immobiliers n’achèteront plus d’immeubles qui n’ont pas de certification. Nous voyons même que certains fonds vendent de vieux bâtiments qu’ils ont en portefeuille. Par exemple, en décembre dernier, l’un de nos clients nous a rapporté son intention de vendre de vieux bâtiments, car, après analyse de son portefeuille, il a conclu que c’était la seule façon pour lui d’atteindre ses objectifs carbone d’ici 2030. Les fonds préfèrent continuer à investir par l’acquisition de bâtiments neufs disposant de certifications.
Sur les marchés, il est souvent question de stranded assets, des actifs qui ont subi des dépréciations imprévues ou prématurées. Pourrait-on voir un jour des «immeubles échoués»?
«C’est possible, mais il faut savoir que le stock de bureaux est assez récent au Luxembourg. Près de 50% des bureaux ont moins de 20 ans. En plus d’être assez neuf, le stock est détenu en majorité par des investisseurs institutionnels qui veillent à maintenir leurs bâtiments à un bon niveau ESG. À cela s’ajoute que les locataires institutionnels vont également devoir effectuer des reportings ESG sur la façon dont ils sont logés. Finalement, au Luxembourg, dès qu’il y a un bien immobilier à rénover, entre cinq et sept développeurs tournent autour pour l’acheter et le rénover. L’impact des stranded assets immobiliers sera donc très limité dans le pays.»
Cet article a été rédigé pour le supplément de l’édition de parue le 28 février 2023. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam.
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