L’accès aux avoirs dormants dans les banques et chez les assureurs reste un dossier en souffrance, officiellement pour cause de pandémie. (Photo: Shutterstock)

L’accès aux avoirs dormants dans les banques et chez les assureurs reste un dossier en souffrance, officiellement pour cause de pandémie. (Photo: Shutterstock)

Le projet de loi 7348 relatif aux comptes inactifs, aux coffres-forts inactifs et aux contrats d’assurance est en déshérence. Retour sur une gestation difficile.

Alors , on ne peut que s’étonner que la question du sort des avoirs dormants – quelle que soit leur provenance – dans les livres des professionnels du secteur financier ne soit toujours pas réglée.  censé solutionner la question est à l’arrêt depuis juin 2019. Officiellement pour cause de pandémie, selon le ministère des Finances et la Chambre des députés.

Une excuse recevable, évidemment. Mais est-ce bien la seule raison?

Ce projet de loi a eu une genèse compliquée sur fond d’affrontement entre, d’un côté, les banques qui voulaient se débarrasser des avoirs dormants en invoquant des «raisons opérationnelles» et, de l’autre, le destinataire naturel de ce type d’avoirs: la Caisse de consignation, qui relève de la Direction du Trésor, qui n’en voulait pas.

Mauvaise réputation

Dans cette  histoire, les avoirs dormants payent cash leur mauvaise réputation. Fleurent-ils tous bon la fraude? Non. Selon les banques, les causes de leur origine sont souvent des plus ordinaires.

Le cas le plus fréquent est celui de grands-parents ouvrant des comptes ou souscrivant des assurances-vie pour leurs petits enfants en omettant de prévenir les parents ou les ayants droit. Il n’en reste pas moins vrai, ces comptes suscitent de la défiance. En matière de lutte contre le blanchiment et la fraude fiscale, on enseigne d’ailleurs que le fait de voir un compte dormant redevenir actif ne présage rien de bon. Et si les banques invoquent des raisons opérationnelles pour tenter de s’en débarrasser, la perspective de pouvoir refiler une «patate chaude» n’est jamais bien loin.

Le problème, c’est que la Caisse de consignation n’a jamais été très enthousiaste à l’idée de recevoir ces comptes potentiellement empoisonnés. C’est pourquoi elle s’est toujours montrée très sélective dans l’acceptation de ces fonds. Allant même en cela contre les dispositions et l’esprit de la loi de 1999 qui fixe ses attributions.

Concrètement, elle refuse tous les avoirs dont l’origine est antérieure à 1993, date des premières réglementations en matière de lutte contre le blanchiment. Malgré le fait que les banquiers font valoir qu’il n’y a pas si longtemps, les règles de traçabilité de la clientèle n’étaient pas les mêmes qu’aujourd’hui et que, pour des comptes dormants très vieux, la documentation est souvent incomplète – ou alors, elle n’existe plus. Même intransigeance pour les avoirs postérieurs à 1993. Les banques doivent prouver avoir mené toutes les démarches nécessaires pour s’assurer de la légitimité de ces comptes.

Ce qui n’est souvent pas suffisant pour la Caisse de consignation. Par exemple, à la moindre déclaration de soupçon formulée par un établissement financier auprès du Parquet, le processus de consignation s’arrête. Même si le Parquet n’a donné aucune suite à un signalement en estimant qu’il n’y a eu aucune infraction.

Schizophrénie administrative

Le problème, c’est que la loi de 1999 sur la Caisse de consignation rend celle-ci obligatoire pour les professionnels du secteur financier. Une obligation assortie de lourdes sanctions pénales et administratives. Le projet de loi 7348 devait clarifier la situation et faire sauter ce goulet d’étranglement.

Sauf qu’il a été rédigé par le ministère des Finances. Qui, via la Direction du Trésor, exerce la tutelle sur la Caisse des consignations. Le texte a consacré le droit à la Caisse de refuser sans appel les fonds qu’elle-même juge douteux. Sans pour autant faire disparaître l’obligation de consignation. Dans son avis du 12 décembre 2018, la Chambre de commerce plaidait pour qu’une fois qu’il est établi que les avoirs ne sont pas restituables, la Consignation soit de droit et que tout refus doive être motivé, et que des recours soient possibles. Le Conseil d’État, dans son avis du 21 mai 2019, critique également la possibilité donnée à la Caisse de consignation de refuser des consignations. Pour lui, «il ne saurait être question de faire dans tous les cas de l’acceptation écrite et préalable par la Caisse de consignation, une condition à la réception des biens à consigner». Bref, face à l’opposition du Conseil d’État, le ministère devait revoir sa copie. Ce qu’il n’a toujours pas fait.

À l’époque, les services de  (DP) insistaient sur le fait qu’une Place moderne et transparente ne pouvait se permettre de ne pas avoir un tel dispositif et insistait sur la volonté d’améliorer la situation des ayants droit en rendant plus accessibles ces actifs. Mais en coulisse, le sujet virait à l’affrontement entre Pierre Gramegna et la directrice du Trésor d’alors, Isabelle Goubin, qui ne pouvait accepter que l’État puisse même passivement devenir complice d’une opération de blanchiment. Un joli cas de schizophrénie administrative.

En l’absence de tout cadre juridique la seule référence en matière de conduite à suivre reste la circulaire 15/631 de la CSSF, qui indiquait aux banques, et plus largement à tous les professionnels du secteur financier, la marche à suivre face à des avoirs dormants. L’idée du régulateur était d’uniformiser les pratiques en matière de définition, de prévention et de traitement des comptes dormants. En attendant une loi qualifiée d’«opportune pour l’image de la Place».

Une opportunité qui n’a pas disparu. L’existence d’une réglementation sur les avoirs dormants est l’un des points que prend en compte le Groupe d’action financière (Gafi) lors de ses visites périodiques pour évaluer les législations anti-blanchiment. Et la prochaine, déjà postposée deux fois pour cause de pandémie, vient d’être reportée sine die. L’occasion de boucler enfin le dossier? Le ministère des Finances indique que «les amendements en réponse à l’avis du Conseil d’État sont en cours d’élaboration» et justifie le retard pris par «la crise sanitaire [qui] nous a obligés à redéfinir nos priorités».

Affaire à suivre.