Les émissions combinées des vingt plus grandes entreprises européennes du secteur de l’élevage sont équivalentes à 48% du charbon consommé dans l’UE ou supérieures aux émissions annuelles de plus de 53 millions de voitures. (Photo: Shutterstock)

Les émissions combinées des vingt plus grandes entreprises européennes du secteur de l’élevage sont équivalentes à 48% du charbon consommé dans l’UE ou supérieures aux émissions annuelles de plus de 53 millions de voitures. (Photo: Shutterstock)

Les entreprises européennes du secteur de la viande et des produits laitiers contribuent très fortement au réchauffement climatique, dénonce une étude publiée ce lundi 13 décembre. Ce qui ne devrait pas s’améliorer dans les prochaines années. Le Luxembourg, très spécialisé dans le secteur, n’est pas épargné.

Face à la crise climatique, sont souvent pointées du doigt les grandes entreprises du secteur des énergies fossiles, comme Total ou Shell. Mais, plus rarement, les entreprises du secteur de la viande et des produits laitiers, qui sont pourtant eux aussi de très importants émetteurs de gaz à effet de serre – et contribuent ainsi fortement au réchauffement climatique. C’est ce que rappelle l’étude «How’s Europe big meat and dairy are heating up the planet» publiée lundi 13 décembre par l’Institute for Agriculture and Trade Policy (IATP), une ONG basée à Minneapolis, mais aussi à Berlin.

En se penchant sur les émissions des vingt plus grandes entreprises européennes du secteur (Danone, Nestlé, Lactalis, ABP…), l’IATP a évalué qu’elles sont équivalentes aux deux tiers des émissions de Total, à plus de la moitié de celles de Chevron (55%) ou encore à 44% de celles de Shell et de BP. Autres comparaisons: leurs émissions combinées sont équivalentes à 48% du charbon consommé dans l’UE ou supérieures aux émissions annuelles de plus de 53 millions de voitures.

Hausse continue

Mais le problème est surtout la trajectoire que ces émissions connaissent: elles augmentent de manière continue à l’échelle mondiale et, surtout, rien ne garantit que cela va s’améliorer dans un avenir proche. «Sur les vingt entreprises que nous avons examinées en détail, seules trois se sont engagées à réduire leurs émissions globales imputables au bétail», constate l’IATP. Et «la plupart ne déclarent toujours pas leurs émissions de gaz à effet de serre». L’IATP déplore en outre un greenwashing généralisé: «Les géants de l’industrie de la viande et des produits laitiers emploient des discours et des stratégies qui noient dans un écran de fumée verte les répercussions de ce secteur sur le changement climatique.»

Une perspective d’autant plus sombre que la prise de conscience politique fait défaut: «Aucun gouvernement européen ne tient ces entreprises responsables des émissions de leur chaîne d’approvisionnement, alors même que les émissions de l’agriculture ont augmenté au cours de la dernière décennie», constate l’IATP. «Les gouvernements doivent exiger des géants de l’industrie de la viande et des produits laitiers qu’ils s’engagent à réduire leurs émissions absolues», estime l’ONG, qui assure que «se limiter à la réduction de la consommation de viande et de produits laitiers en Europe n’aura qu’un effet limité sur la diminution des émissions de carbone du bétail».

La PAC pour la période 2023-2027, qui vient d’être approuvée, en est un malheureux exemple, selon l’ONG, qui la considère «dévastatrice pour l’action en faveur du climat» et appelle à ce qu’elle soit «remaniée afin de réorienter le financement public».

Même constat au Luxembourg

Le constat est le même au Luxembourg. Greenpeace Luxembourg, le Mouvement écologique et Natur&Ëmwelt réclament eux aussi une «réorientation de la politique agricole luxembourgeoise». Les trois associations déplorent, dans un communiqué commun publié le 1er décembre, que la PAC ne fixe aucune contrainte aux États membres et laisse «une trop grande marge de manœuvre pour sa mise en œuvre».

Or, selon elles, «le ministère luxembourgeois de l’Agriculture ne s’est pas du tout saisi de cette marge de manœuvre dans le cadre du projet national», constatent-elles après la publication du plan stratégique national pour la mise en œuvre de la PAC, regrettant que «le changement de paradigme dont nous avons tant besoin à tous les niveaux n’y [soit] en effet pas du tout abordé, bien au contraire».

De fait, si aucune entreprise luxembourgeoise ne fait partie de celles analysées dans l’étude de l’IATP, le Luxembourg est un cas de figure de ce que celle-ci révèle. 76,3% de la valeur de la production agricole du pays est en effet issue du secteur de l’élevage (lait, bovins et plantes fourragères), note la Commission européenne dans une recommandation du 18 décembre 2020. Or, ces dernières années, les émissions de gaz à effet de serre du secteur de l’agriculture ont augmenté (de 700.000 tonnes d’équivalent CO2 en 2005 à 770.000 en 2020). La Commission européenne ne cache d’ailleurs pas qu’«il sera particulièrement difficile pour les producteurs laitiers luxembourgeois de contribuer à la transition vers des modes de production durables dans l’UE».

Faible exigence pour l’agriculture

La stratégie gouvernementale pour atteindre 55% de réduction des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 par rapport à 2005 prend d’ailleurs en considération ces difficultés. Alors qu’elle réclame une baisse de 64% pour le secteur du bâtiment ou de 57% pour celui du transport, le secteur de l’agriculture ne doit contribuer qu’à hauteur d’une diminution de 20% – la plus faible exigence.

Une différence de traitement qu’expliquait ainsi le ministre de l’Énergie, (déi Gréng), à Paperjam, lors de : «Nous pourrions réclamer une baisse de 50%, mais il faudrait alors tuer la moitié des vaches… Donc nous essayons d’avoir un compromis qui oblige le secteur à bouger, mais qui est en même temps réaliste par rapport à la matière première de l’agriculture qui est la nature et l’animal.»