L'impact de la politique sur les marchés (Photo: Capital Group)

L'impact de la politique sur les marchés (Photo: Capital Group)

La politique et les marchés sont liés par des interactions permanentes. Le rôle de l’économiste politique consiste à distinguer les controverses et les incertitudes, et à créer un cadre pour les décrypter. Talha Khan est l’un des trois économistes politiques de Capital Group. Il couvre en particulier l’Europe et le Moyen-Orient, ainsi que certaines questions géopolitiques plus larges.

Quelle est votre fonction?

Les économistes politiques appartiennent à la division Capital Strategy Research (CSR), qui regroupe également des économistes macroéconomiques et des spécialistes en comptabilité. Nos fonctions sont autonomes et nous couvrons chacun différentes régions, mais notre mode de pensée est collectif, à l’image d'un think tank combinant les expertises selon les besoins pour aborder des thèmes précis. Je travaille surtout en réaction immédiate à des événements internationaux, mais un quart de mon temps est dédié à des questions thématiques à plus long terme, comme l'évolution de la situation au Moyen-Orient, l’avenir de l’Union européenne (UE), l’impact futur du changement climatique sur l’agenda de politique économique, etc. Dans chacune de ces questions, j’essaie d’appréhender les points de vue des principales parties prenantes, de rencontrer les responsables politiques et de développer des relations qui nous soient mutuellement bénéfiques. En tant qu’investisseurs de long terme, nos intérêts sont les mêmes que ceux des responsables politiques. Nous apportons un capital de long terme, nous menons à bien des analyses approfondies, nous prodiguons des conseils, le tout, bien sûr, sous le sceau de la confidentialité.

Comment le rôle d’économiste politique chez Capital Group a-t-il évolué dans le temps? En quoi est-il important?

Longtemps, la politique n’a pas été au centre des préoccupations. Mais tout a changé avec la crise financière mondiale: pour les marchés, il est devenu impossible de faire abstraction de la politique. La fonction d’économiste politique est née du contexte d’incertitude qui entourait la crise de la zone euro en 2011-2012. Beaucoup de questions se posaient (au sujet de l’économie politique de l’union monétaire européenne), et malgré la diversité des points de vue, ceux-ci manquaient souvent de fondements factuels. Capital Group a estimé qu’il serait utile d’investir dans une fonction qui produise une analyse objective, impartiale et cadrée, afin de servir de socle aux débats en interne et de mener une réflexion plus éclairée sur l’avenir de la zone euro, ou d’autres questions susceptibles de voir le jour par la suite.

Depuis 2012, entre l’invasion et l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014, la crise migratoire de 2015 en Europe, le vote couperet du Brexit et l’élection de Donald Trump en 2016, nous n’avons pas manqué d’événements porteurs de sens pour les marchés ni de sujets d'étude – cela démontre que l’incertitude et la volatilité font partie du quotidien. Nous commençons à réaliser beaucoup plus d’analyses de scénarios, et nous développons des cadres pour comprendre des questions éminemment complexes, sans solution linéaire, afin d’apprécier leurs multiples dimensions. Nous imaginons différentes issues possibles pour l’avenir, et leurs conséquences potentielles sur les marchés. Ma dernière analyse était celle des scénarios dans un monde d’après la pandémie: les principaux axes d’incertitude qui pourraient guider l’avenir des sociétés en matière d’économie politique et leurs répercussions, que nous ramenons aux conséquences en termes macroéconomiques et d’investissement.

Comment vos vues influencent-elles la gestion de portefeuille de Capital Group?

Capital Group donne la priorité à la recherche fondamentale de type «bottom-up» sur les titres individuels et la complète par une perspective «top-down». La division CSR à laquelle j’appartiens est une unité de recherche stratégique interne, qui fonctionne de manière indépendante. Nous fournissons une perspective macroéconomique, qui donne aux gérants un aperçu sur l’environnement dans lequel évoluent les entreprises de leur portefeuille. Nos travaux de recherche, mis en commun, sont mis à disposition de cinq groupes d’investissement de Capital Group, couvrant les obligations, les actions et les solutions mixtes. Nous nous réunissons avec les gérants de portefeuille et nous sommes vraiment intégrés à l’équipe. Nous avons nos opinions, mais nous ne gérons pas les portefeuilles. Par conséquent, nous ne sommes pas liés par des vues spécifiques liées à des portefeuilles: c’est là un grand avantage qui favorise l’indépendance de pensée et offre un espace pour faire part d’opinions qui peuvent éventuellement être contraires à celles qui dictent le positionnement des portefeuilles à ce moment précis.

Il n’y a pas d’opinion «maison»: nos différents points de vue individuels constituent une mosaïque de résultats de recherche, qui sont recueillis sous la forme d’un «melting pot» d’idées. Il s’agit de suivre le processus, en réunissant des opinions diverses afin d’éviter la mentalité de «troupeau» et l’accumulation des risques dans nos portefeuilles. Le système en place chez Capital repose sur l’intervention de nombreux conseillers et gérants par fonds, chacun exprimant des convictions propres par le biais de ses positions de portefeuille. La transposition de la recherche macroéconomique dans les fonds se fait par osmose. Nous participons à des conférences téléphoniques internes où nous livrons nos points de vue ou réagissons aux événements macroéconomiques susceptibles d’avoir un impact sur les prix des actifs.

Quelles sont vos perspectives pour 2021?

2021 est une année de transition pour l’UE qui se rétablit du passage du COVID-19, probablement la plus grave crise que la région ait jamais connue. Il se peut que la reprise de l’économie et des systèmes de santé soit retardée par des erreurs dans la gestion des campagnes de vaccination, mais la combinaison du Fonds de relance européen, de mesures budgétaires expansionnistes au niveau des pays et du filet de sauvegarde de la politique monétaire conduite par la Banque centrale européenne (BCE) devrait, nous l’espérons, apporter assez de soutien à l’Europe pour qu’elle sorte de la pandémie relativement indemne. Le plus gros enjeu est le risque très réel de divergence entre les multiples économies de la zone euro. Ce sujet devrait soulever de nombreuses controverses politiques, à l’heure où le moteur franco-allemand, point d’ancrage essentiel de l’Europe, sera largement distrait par les élections nationales qui auront lieu l’an prochain. Cela risque de mettre au point mort les grands débats politiques sur la gestion de la situation économique après la pandémie, et d’offrir aux mouvements populistes une occasion d’exploiter les griefs. À moyen terme, j’éprouve des inquiétudes quant à la profondeur des stigmates du COVID-19 sur la situation socioéconomique, ainsi qu’à l'égard des déséquilibres croissants entre et au sein des pays très exposés aux secteurs les plus touchés par la pandémie (comme l’hôtellerie et la grande distribution, par exemple).

Pour connaître les dernières analyses et opinions de nos experts, cliquez