Avant même la hausse des taux directeurs de la BCE actée ce 21 juillet, les emprunts hypothécaires avaient sensiblement augmenté ces derniers mois. (Photo: Shutterstock)

Avant même la hausse des taux directeurs de la BCE actée ce 21 juillet, les emprunts hypothécaires avaient sensiblement augmenté ces derniers mois. (Photo: Shutterstock)

La hausse des taux directeurs de la BCE va impacter les emprunteurs, les épargnants, les investisseurs et surtout les États. Mais elle ne constitue pas un tsunami. Les observateurs estiment que la politique de la BCE restera accommodante.

La Banque centrale a-t-elle vraiment surpris les marchés ce jeudi en relevant ses principaux taux directeurs de 50 points de base (pb)? Pas sûr… Si l’on regarde ce qui s’est passé sur les taux longs, ceux-ci n’ont quasiment pas bougé. «Le 10 ans allemand est resté globalement inchangé», constate Alexandre Gauthy, macroéconomiste chez Degroof Petercam Luxembourg.

Pour lui, cette hausse des taux de la BCE était déjà intégrée par les taux longs orientés à la hausse depuis le début de l’année. «Je ne pense pas que cette hausse soit un véritable ‘game changer’.» L’impact pour les emprunteurs, qu’ils soient des particuliers ou des entreprises, s’est déjà fait sentir.

Comme en témoignent les dernières données de la BCL relatives à l’évolution des principaux taux d’intérêt moyens sur les opérations de crédit et de dépôt appliqués par les établissements de crédit du Luxembourg aux ménages et aux sociétés non financières de la zone euro.

Des prêts déjà plus chers au Luxembourg

Le taux d’intérêt variable des crédits immobiliers accordés aux ménages a augmenté de 4 points de base de juin 2021 à mai 2022 pour s’établir à 1,36%. Sur la même période, le taux d’intérêt fixe a progressé de 72 points de base pour s’établir à 2,05%. Pour les crédits supérieurs à 10 ans, la progression est de 22 points de base pour un de 2,11%. Pour les crédits à la consommation, la progression annuelle est de 36 points de base pour un taux de 2,89%.

Pour les sociétés non financières, le taux d’intérêt variable pour des crédits égaux ou inférieurs à 1 million d’euros a, sur douze mois, reculé de 9 points de base à 1,32%. Pour les prêts supérieurs à un million, la progression annuelle est de 20 points de base à 1,11%.

Si les taux progressent globalement, on ne peut pas encore parler de choc de crédit.

Dans sa dernière enquête sur la distribution du crédit bancaire dans la zone euro, qui date de juillet 2022, la BCE relève que les banques ont durci leurs critères d’octroi de prêts pour les entreprises et les ménages, «l’incertitude demeurant élevée et la politique monétaire devenant moins accommodante». Cette aversion au risque va mécaniquement entraîner une hausse de demande de garantie et de fonds propres de la part des banques.

Une politique monétaire condamnée à être accommodante

La véritable inquiétude touche aux effets sur la croissance du relèvement des taux directeurs de la BCE.

L’impact sur la croissance européenne inquiète du côté de Quintet Private Bank. Daniele Antonucci, chief economist, prévoit «une contraction de la zone euro pour les trois prochains trimestres, notamment parce que le rationnement du gaz est probable et que l’Italie est aux prises avec une crise politique». Dans ce contexte très mouvementé estime-t-il, «la BCE est probablement en train de resserrer l’étau d’une récession».

Et face à ce risque, l’économiste estime que les prochaines hausses de taux – le scénario de base de la BCE en juin faisant état d’une hausse de 50 points de base pour septembre après une hausse de 25 points de base en juillet – «seront plus limitées que le consensus actuel du marché». «La BCE est confrontée à une pression inflationniste intérieure réduite par rapport à certaines régions – l’inflation de base de la zone euro étant plus faible qu’aux États-Unis, par exemple – mais à une inflation importée plus élevée en raison de la hausse des prix du pétrole et du gaz, ainsi qu’à une monnaie plus faible. Ayant moins de prise sur ces facteurs externes, et ayant quelque peu manqué le coche pour un resserrement de la politique monétaire, nous pensons que la BCE répondra probablement de manière moins vigoureuse que les autres banques centrales au cours des prochains mois.»

Et il invoque Christine Lagarde qui, lors de la conférence de presse de la BCE d’hier tenue suite à l’annonce du relèvement des taux, a lourdement insisté sur le fait que la poursuite de la normalisation des taux d’intérêt se ferait «réunion par réunion» et dépendrait exclusivement de l’évolution des données économiques.

La BCE va-t-elle définitivement basculer dans le camp des faucons, à l’instar de la Fed qui resserre fortement sa politique monétaire? Wolfgang Bauer, gestionnaire de fonds au sein de l’équipe Public Fixed Income de M&G Investments, ne le pense pas. Pour lui, même si la BCE a mis fin à l’ère des taux d’intérêt négatifs en Europe, elle continue de déployer une politique monétaire nettement plus accommodante que les autres grandes banques centrales. «Cette hausse de 0,5% n’était qu’un premier pas – bien que plus audacieux que prévu – vers la normalisation des taux d’intérêt et, si l’inflation continue à sévir, il reste encore beaucoup à rattraper.»

Les gagnants et les perdants

Si, comme on l’a vu, les emprunteurs sont les plus touchés par la hausse des taux courts de la BCE, hausse qui impacte l’évolution des taux longs sur laquelle les banques centrales n’ont aucune prise directe, la hausse ne va pas faire que des malheureux.

Les grands gagnants devraient être les banques. Des banques pénalisées depuis des années par les taux bas. «Cette hausse des taux leur enlève une épine du pied», estime Alexandre Gauthy.

Pour les épargnants, si les produits d’épargne bancaires devraient voir leur rendement progresser à terme, ces rendements subiront de plein fouet l’inflation. Les taux réels vont encore rester négatifs un certain temps pour l’épargnant.

Pour ce qui est des investisseurs, la hausse des taux est synonyme de baisse des valorisations – des valorisations historiquement hautes, voire déconnectées des fondamentaux économiques à cause des taux bas – et de baisse de la capacité bénéficiaire des entreprises. Il va falloir relancer les portefeuilles.

Les grands perdants seront les États de la zone euro les plus endettés. Leurs marges de manœuvre budgétaire vont fortement être impactées dans un contexte où la lutte contre la baisse du pouvoir d’achat nécessite beaucoup de moyens.

Si la BCE s’est dotée d’un nouvel instrument, l’IPT (instrument de protection des transmissions), son but est d’éviter la fragmentation financière dans la zone euro. Ce n’est pas un instrument de politique budgétaire.