Depuis le début de la pandémie, les cours de récréation sont loin d’être calmes, selon Catherine Verdier, psychologue et présidente de l’association Amazing Kids, qui lutte contre le harcèlement scolaire au Luxembourg. «Le confinement a créé des tensions au sein des couples, des familles… Toute cette électricité ambiante se traduit chez les enfants», témoigne-t-elle. «Ils sont électriques, pas concentrés. Ceux qui d’habitude sont très calmes deviennent agressifs.»
Cela se joue en classe comme en ligne. La psychologue estime que les cas de cyberharcèlement ont doublé au Grand-Duché pendant la crise, regrettant le manque de chiffres globaux. En France, l’association e-Enfance parle de . «Cela ne s’arrête pas aux frontières», assure-t-elle. Sans parler du «sexting non consenti»: «Il y en a eu énormément pendant le confinement.»
Catherine Verdier ne reçoit pas forcément plus de consultations pour cause de harcèlement, mais le sujet revient toujours. «Chaque enfant, à un moment donné, a pu être impliqué dans un cas de harcèlement scolaire, comme victime, harceleur ou témoin», relate-t-elle. «Pour eux, c’est normal. C’est devenu d’une banalité à en faire peur».
Internet efface les frontières
«Le harcèlement est une problématique réelle au Luxembourg», confirme Sally Stephany, psychologue à la helpline de Bee Secure, l’initiative pour promouvoir une utilisation plus sûre des nouvelles technologies, opérée par le Service national de la jeunesse (SNJ) et le Kanner-jugendtelefon (KJT). «Le sujet est connu depuis des années. L’évolution la plus frappante, c’est qu’il n’y a plus cette séparation entre online/offline. Avant, la maison pouvait représenter un lieu sécurisé, loin de l’exposition ou de l’humiliation. Avec les GSM et internet, la partie cyber est beaucoup plus importante et difficile à ignorer.» Encore plus pendant la crise, où, «avec le homeschooling, tout ce qui est digital est encore plus présent».
En 2020, la helpline a reçu 48 demandes, dont le motif principal était le harcèlement, soit huit de moins qu’en 2019, et 14 de plus qu’en 2018. Mais le sujet peut aussi revenir lors de conversations pour d’autres motifs: dépression, pensées suicidaires, sexting, extorsion…
Sally Stephany explique la légère baisse du nombre d’appels pendant la crise par les restrictions de déplacement, empêchant certaines victimes de trouver un lieu discret pour téléphoner. Elle constate cependant que «les conversations sont plus intenses, elles durent plus longtemps, et les limites des personnes semblent atteintes plus tôt.» Le nombre de messages (en anglais) reçus via la , où elle travaille en parallèle, tous sujets confondus, a ainsi doublé en 2020.
8% de harcèlement scolaire en 2018
«Bien qu’on ait noté une diminution du harcèlement ces 15 dernières années, la réalité de la crise génère une augmentation», corrobore le ministère de l’Éducation nationale. «Le bien-être général étant affecté par la crise, on pourrait craindre une disposition plus accrue à la violence. Le manque de contacts en présentiel ne privilégie pas la résolution des conflits.»
Les dernières données officielles sur le sujet datent de 2018 et proviennent de réalisée tous les quatre ans. 8% des élèves de 11 à 18 ans y avaient déclaré être fréquemment victimes de harcèlement. Ils étaient 12% dans le fondamental, 4% dans l’enseignement secondaire classique et 9% dans l’enseignement secondaire général.
Chaque enfant, à un moment donné, a pu être impliqué dans un cas de harcèlement scolaire.
Des signes à repérer
Que faire lorsque cela arrive? Sally Stephany conseille de ne «pas rester seul» et de prévenir parents, amis plus âgés ou professeurs en qui on a confiance, ou de s’adresser directement à Bee Secure, au 8002 1234. L’initiative œuvre aussi à la prévention, en passant par exemple annuellement dans les classes de septième, ou via la publication de son sur le sujet.
En tant que parent, il s’agit de remarquer «tout changement brusque physique, scolaire ou du comportement», avertit Catherine Verdier. «Chute des résultats, bleus, l’enfant ne mange plus ou ne dort plus, se désintéresse de ses activités extrascolaires…» Elle ajoute qu’un travail important doit se faire sur celui qui harcèle. «Je n’ai jamais reçu une famille qui me dit, mon fils est intimidateur. C’est dommage.»
En ligne, «un parent a le droit et le devoir, quand il donne un téléphone, d’établir un contrat. Avec les horaires, les contenus autorisés, le rapport aux réseaux sociaux, souvent interdits avant 13 ans… Et, chaque semaine, nous vérifions ensemble.» Rappelant les dangers de TikTok pour les plus jeunes, où des enquêtes ont montré la présence de nombreux pédophiles.
Il n’y a plus cette séparation entre online/offline.
L’action à l’école
Et que font les écoles lorsqu’elles prennent connaissance d’une affaire de harcèlement? «Une première rencontre a lieu avec l’élève intimidé pour qu’il puisse exprimer son ressenti», nous explique le lycée et école Vauban. «Il est primordial lors de ce premier entretien que l’élève sache qu’il n’est plus seul et que son problème est désormais celui de toute la communauté scolaire, qu’il soit associé à ce qui va être fait et qu’il soit d’accord avec cela.»
Viennent ensuite des rencontres, tous les deux jours, avec le ou les élèves intimidateurs, qui «visent à l’arrêt de la situation». Souvent, il s’agit d’un «élève qui va mal et qui a également besoin d’aide», précise l’école. Des mesures concrètes suivent selon la situation – groupes de parole, médiations, travail sur le groupe de classe, orientation vers un psychologue… «Les parents sont informés et conviés, les équipes sensibilisées, afin de redoubler de vigilance.» Ce genre d’affaires restent «difficilement quantifiables», l’école parlant d’une «dizaine sur l’ensemble de l’établissement».
Pour les éviter, elle travaille aussi à la prévention, via la formation du personnel et la sensibilisation des élèves. Avec la crise sanitaire, elle ne constate pas plus de harcèlement, mais «davantage de situations d’élèves en mal-être, angoissés par l’épidémie qui n’en finit pas et par des mesures anxiogènes qui ne sont pas toujours bien comprises, notamment chez les plus jeunes». Cela se manifeste par «une plus grande difficulté à gérer ses émotions. Par exemple, chez les plus jeunes, où la relation à l’autre est en pleine construction, les jeux au sein de la cour de récréation peuvent parfois déraper en dispute, voire en bagarre. Chez les plus grands de l’école primaire et du collège, on remarque qu’ils sont plus nombreux à jouer ‘en ligne’ avec des dérapages verbaux fréquents, avec une tendance à la banalisation.» Des situations qui «nécessitent un suivi et un accompagnement plus appuyés.»