Quelles sont selon vous les solutions prioritaires à mettre en œuvre pour répondre à la pénurie de logements au Luxembourg?
Felix Hemmerling. – «L’immobilier ne s’écrit pas sans politique ni réglementation. Ainsi, nous devons poursuivre les échanges entre la politique et le secteur privé de l’immobilier. Plus particulièrement, nous devons nous concentrer sur la construction, afin de nous assurer que nous mettons en place les bons outils non seulement pour ralentir la pénurie croissante de logements, mais aussi la surmonter efficacement.
Des processus plus efficaces, tant dans le secteur public que dans le secteur privé, sont également nécessaires afin de garantir une prise de décision plus rapide et cruciale pour le développement de l’immobilier résidentiel, comme les processus de demande et d’approbation des permis de construire.
En outre, nous sommes tenus d’établir une approche équilibrée entre préserver l’environnement et fournir des espaces de vie.
En général, je pense qu’il y a beaucoup de bonnes idées provenant des parties publiques et privées, mais les actions doivent être prises plus rapidement et les aspects réglementaires nécessaires doivent être adaptés et mis en place en conséquence pour s’assurer que nous n’augmentons pas le retard dans son développement.
Comment anticipez-vous l’impact de l’évolution des taux d’intérêt sur le marché immobilier?
«L’inflation et la hausse des taux d’intérêt, qui font partie des sujets les plus discutés en 2022, constituent certainement une préoccupation majeure pour l’ensemble du secteur. Si l’on ajoute à cela les prix de l’immobilier déjà élevés et inaccessibles pour une partie importante de la population, ainsi que le resserrement des approbations hypothécaires par les institutions financières, il est inutile de dire que l’impact sur les aspects non seulement économiques mais aussi sociétaux n’est pas à sous-estimer: la hausse des taux d’intérêt signifie que moins de particuliers (et d’organisations) peuvent financer et donc accéder à l’immobilier.
On peut entendre les échos d’une augmentation des refus de prêts hypothécaires. Cela dit, je vois un impact à l’échelle des générations sur l’accès à l’immobilier: les familles plutôt aisées peuvent porter leurs héritiers et assurer l’accès à l’immobilier grâce aux propriétés déjà possédées dans leurs portefeuilles, tandis que les moins fortunés pourraient ne jamais avoir accès à la propriété. La polarisation de la société, c’est-à-dire l’enrichissement des riches et l’appauvrissement des pauvres, est une dynamique qui entraîne la disparition de la classe moyenne. Cette dynamique n’est pas nouvelle: presque toutes les générations ont connu ce creusement du fossé en termes d’accès à l’immobilier, ce qui en fait un risque systémique permanent pour les différents gouvernements depuis des années.
Du côté des valorisations au Luxembourg, je vois plutôt un ralentissement qu’un crash à venir, car je pense que le Luxembourg reflète un marché qualitatif où les particuliers espèrent accéder à l’immobilier, plutôt qu’un marché spéculatif purement porté par des investisseurs. Le Luxembourg est marqué par un manque d’offres pour les demandeurs de logement et je suis d’avis que la dynamique est telle que, tout en ralentissant, l’immobilier ne s’effondrera pas complètement. Cependant, cela ne résout ni ne justifie évidemment les problèmes liés à l’accès à l’immobilier mentionnés plus haut.
Cela dit, de tels ralentissements et corrections peuvent avoir un impact positif sur la professionnalisation du secteur. Ces périodes permettent d’éliminer les entreprises fragiles. Les acteurs qui fournissent des services de haute qualité intégrant une gestion saine des risques et de la trésorerie seront en mesure de tirer leur épingle du jeu. Personnellement, je reste optimiste quant aux perspectives pour l’ensemble du secteur.
Quelles évolutions technologiques impacteront selon vous le plus la construction et les transactions immobilières dans les prochaines années?
«Il existe un large éventail d’évolutions et de solutions technologiques qui auront un impact important sur le secteur de l’immobilier dans son ensemble, et plus particulièrement sur la promotion immobilière, y compris la construction et les transactions immobilières. Bien que ces solutions apportent une valeur ajoutée à l’écosystème et à un grand nombre de ses parties prenantes, elles ne sont pas nécessairement bénéfiques à tous les acteurs du marché. J’expliquerai mes réflexions plus en détail ci-dessous.
En tant qu’acteur de la digitalisation du secteur, je reste convaincu que les plateformes et ERP, comme kodehyve, représentent plus une nécessité qu’une option. Les promoteurs immobiliers sont conscients que la digitalisation représente un enjeu majeur pour conserver des marges durables à long terme. Ces solutions ont déjà démontré leurs capacités à structurer leurs projets et à booster la collaboration avec l’ensemble des parties prenantes. L’automatisation des processus associée et l’organisation de la communication entre les différentes parties prenantes apportent des bénéfices mesurables en ce qui concerne la rapidité d’exécution et l’augmentation des marges.
De plus, nous devons nous concentrer davantage sur la conformité régulatoire avec les contrôles KYC et AML notamment. À ce jour, le secteur immobilier manque encore d’outils dédiés pour évaluer efficacement les risques et détecter ces fraudes. Il est donc crucial d’automatiser et de rationaliser ces contrôles pour permettre aux acteurs de se conformer aux nouvelles réglementations en vigueur.
Outre ces outils d’ERP, je suis très optimiste quant à la réalité augmentée (RA), car j’y vois un énorme potentiel et des gains en termes de qualité et d’efficacité lorsqu’il s’agit de la construction d’infrastructures.
En outre, l’apparition de modèles de transaction immobilière de type «peer-to-peer» aura certainement un impact important sur les agences immobilières, et il va sans dire qu’il ne sera que positif.
De plus, à mesure que l’utilisation de la blockchain se démocratise dans un large éventail de secteurs, je vois de plus en plus de possibilités d’application dans l’immobilier – tout en gardant à l’esprit que les entreprises qui réussissent dans le web3 ne proviennent pas nécessairement du web2. En d’autres termes, toutes les entreprises et tous les modèles commerciaux qui réussissent dans le web2 ne prospèreront pas nécessairement dans le web3.
L’évolution technologique dont les impacts sur l’immobilier sont à ce jour encore terriblement sous-estimés est l’intelligence artificielle (IA). Elle représente une opportunité clée et en même temps une menace pour des parties prenantes les plus centrales telles que les architectes.
Avec la naissance d’outils d’IA image-texte et texte-image comme Dall-E (et Dall-E 2), Stable Diffusion et Midjourney, parmi beaucoup d’autres, les architectes doivent (rapidement) commencer à adopter ces outils. L’IA est en train de devenir extrêmement puissante, rendant obsolète un large éventail de processus et d’aspects manuels existants, y compris les compétences et la créativité humaines. Dans ce contexte, je pense que l’IA est amenée à connaître une croissance et une évolution exponentielles.
Je suis très enthousiaste quant à l’avenir de l’immobilier dans son ensemble, car tous les acteurs ont beaucoup à apprendre les uns des autres dans le cadre de la relation entre la technologie et l’immobilier.»