David Celis: «Bon nombre d’études montrent avec précision que les coûts de migration dans le cloud public et les économies qui étaient promises par la flexibilité de scalabilité et par la volumétrie n’ont pas été tenus.» (Photo: Eva Krins/Maison Moderne)

David Celis: «Bon nombre d’études montrent avec précision que les coûts de migration dans le cloud public et les économies qui étaient promises par la flexibilité de scalabilité et par la volumétrie n’ont pas été tenus.» (Photo: Eva Krins/Maison Moderne)

Google n’est plus seul. À court terme, Portus Data Centers, qui a repris l’European Data Hub l’an dernier, devrait chercher à construire un nouveau datacenter au Luxembourg. Voire un autre dans la Grande Région. Interview avec un très bon connaisseur du marché, David Celis, maintenu aux commandes par le nouvel actionnaire, Arcus, depuis novembre.

Aidez-nous à comprendre l’impact qu’a la reprise par Arcus d’European Data Hub, acteur 100 % privé au Luxembourg?

– «Sur une période de cinq ans, nous avons beaucoup et bien bossé avec une équipe formidable d’une vingtaine de personnes. Après 15 ans, un site comme le nôtre nécessitait d’investir pour pouvoir accompagner la croissance, remplacer des technologies plus anciennes par de nouvelles technologies plus efficaces, plus vertes… Il nous fallait un partenaire qui soit non seulement actif dans le secteur de l’infrastructure, mais qui ait également la compréhension de notre métier et la capacité financière pour nous épauler: Arcus Infrastructure Partners, l’actionnaire derrière Portus, avait déjà une stratégie au niveau européen, entre l’acquisition de sites existants et le développement de nouveaux sites dans différentes régions, notamment en Europe centrale. Ils sont devenus actionnaires d’EDH.

Le groupe Wagner est resté actionnaire minoritaire. Et, fin 2023, nous sommes devenus Portus Data Centers Luxembourg. Aujourd’hui, plus de 70% de notre site en production est occupé, mais il nous faudra penser à de nouvelles infrastructures parce que, d’ici fin 2026, nous occuperons 100% de notre site actuel. Avec peut-être, à terme, un troisième site dans la Grande Région.

Et est-ce que les clients ne préfèrent pas des marques connues?

«Notre activité est d’offrir de la colocation, de l’hébergement. En soi, on est complètement compatibles avec Google, Microsoft ou OVH dans le sens qu’ils proposent des infrastructures cloud. Il faut être conscient que Google, Microsoft et d’autres ont une certaine responsabilité de continuité des infrastructures qui permettent d’accéder à ces applications et données, mais ils ne sont pas responsables de la protection des données en elles-mêmes.

Tout ce qui est back-up, sauvegarde, par exemple, ça reste toujours la responsabilité de l’entreprise qui a fait le pas de migrer ces informations dans le cadre public. Beaucoup ne s’en rendent pas compte jusqu’au jour où elles ont un problème. Elles pensent que Microsoft, Amazon, notamment, vont garantir la résilience des données. Ce n’est pas le cas. La partie la plus fondamentale d’une salle informatique, c’est l’accès à du courant en continu, à du refroidissement en continu, à de la connectivité en continu et la sécurisation de cet espace. Toute la couche intelligente, la partie applicative, IT pure et dure, nous n’y touchons pas. 

Le cloud public peut toujours faire du sens, notamment pour des clients d’une certaine taille qui ont besoin d’une certaine résilience, d’une certaine redondance, mais qui n’ont ni la compétence ni les moyens pour investir dans une infrastructure. Ça dépend beaucoup de la criticité de l’informatique. Bon nombre d’études montrent avec précision que les coûts de migration dans le cloud public et les économies qui étaient promises par la flexibilité de scalabilité et par la volumétrie n’ont pas été tenus. Sur huit ans, on a eu des dépassements de ces plateformes de 10% en moyenne annuelle.

David Celis: «Nous avons aussi des données sur le WUE, le water usage efficiency, qui sera prochainement aussi en vigueur au Luxembourg.» (Photo: Eva Krins/Maison Moderne)

David Celis: «Nous avons aussi des données sur le WUE, le water usage efficiency, qui sera prochainement aussi en vigueur au Luxembourg.» (Photo: Eva Krins/Maison Moderne)

Toute société qui aurait décidé d’investir il y a, imaginons, cinq ans sur la base d’un modèle TCO a dû supporter le dépassement. Nous, nous garantissons de construire son infrastructure et de l’opérer à coûts constants, ce qui donne beaucoup plus de lisibilité aux prévisions d’amortissement. Personnellement, je crois plutôt dans l’hybride. Le futur, ce ne sera ni exclusivement de la colocation pure et dure dans des centres de données comme le nôtre, ni de l’hébergement dans des clouds publics purs et durs.

On commence à voir des solutions qui sont vraiment déconnectées. Est-ce que c’est un argument de vente aussi pour vous?

«Nous n’avons pas vocation à offrir des solutions d’environnements vraiment fonctionnels de type cloud souverain. Mais nous sommes intéressés par l’idée de travailler avec des partenaires qui ont cette ambition et qui sont spécialisés dans le design, l’opération et le support aux clients finaux pour des clouds ou pour des environnements souverains, parce qu’on parle beaucoup de cloud, mais, en réalité, ce sont des environnements informatiques souverains qu’ils garantissent à l’utilisateur final. Nous ne sommes pas une banque, mais on peut certainement les aider à trouver des solutions qui leur permettent d’opexise avec des partenaires. On a aujourd’hui des fabricants qui sont partenaires et qui ont des programmes de financement.

Donc ils vous vendent en fait la technologie sur 20 ans, par exemple, et vous vous la revendez? Vous revendez ses capacités?

«On peut louer voire revendre des capacités à des clients. Mais on n’a pas la main sur les données, on ne gère pas le cloud, on n’a pas les accès… C’est vraiment purement 100% géré par nos clients. C’est un petit peu comme le leasing d’un véhicule, si on veut. Nous sommes un enabler technologique. On facilite l’accès aux technologies pour que le client puisse construire sa solution et la gérer comme il veut d’une façon économiquement viable pour lui. Il y a beaucoup de clients qui préfèrent investir par exemple dans de la R&D, dans du développement de produits ou de services, qui est leur métier de base.

La première chose que vous avez voulu nous montrer, ce sont vos tubes de refroidissement. Vous êtes sensibles à ces questions autour de la gourmandise énergétique des data centers, que ce soit en électricité ou en eau?

«C’est un des grands défis de l’industrie des centres de données, et pas seulement au Luxembourg. Il y a une méconnaissance des data centers, des avantages que les centres de données présentent vis-à-vis de l’alternative. C’est quoi l’alternative? Que les sociétés individuelles, petites, moyennes, grandes, peu importe, hébergent elles-mêmes leur propre infrastructure? Nos pertes de puissance sont nettement inférieures pour produire le même service. Ces infrastructures ont été dessinées pour pouvoir être beaucoup plus efficaces. Et ça vaut autant pour la partie électrique que pour la partie eau.

D’ailleurs, à la différence des grands acteurs qui vous parlent toujours du PUE, le power usage efficiency, qu’ils essaient de ramener à 1 pour montrer leur efficacité (le PUE se calcule en divisant l’énergie totale consommée par celle utilisée uniquement pour les équipements informatiques. Un PUE de 1 indique une efficacité parfaite, tandis qu’un PUE supérieur reflète une consommation accrue pour le refroidissement ou autres systèmes, ndlr), nous, nous avons aussi des données sur le WUE, le water usage efficiency, qui sera prochainement aussi en vigueur au Luxembourg.

Le Luxembourg sera encore un des premiers pays à le transposer en droit national. Il y aura une obligation de reporting sur une plateforme européenne mise en place par la Commission européenne. Nous respectons déjà ce seuil aujourd’hui. Pour les très grands, ça va être un autre défi. Il y aura peut-être des dérogations. Dans le passé, on a vu que, parfois pour les très grands, on accorde des dérogations qu’on n’accorderait pas aux petits…

Nous sommes certifiés ISO 9001, ISO 14001, ISO 50001, ISO 27001 et EN 50600-2. Ce qui n’est pas le cas d’une grande majorité des acteurs individuels qui opèrent des salles informatiques séparées… Si on n’investit pas dans les centres de données, cette digitalisation aura lieu de toute façon. Il y a tout intérêt à passer le maximum de ces infrastructures digitales vers des centres de données, que ce soit dans le cloud public ou privé, peu importe.

C’est toujours mieux pour l’environnement que des data centers répartis dans des entreprises. Nous, en tant que Portus, notre priorité stratégique numéro 1, c’est de garantir nos services non seulement dans le respect de toutes les législations nationales et autres, mais également dans un souci sociétal. Pour minimiser l’impact à long terme. «

David Celis: «Nous sommes un enabler technologique. On facilite l’accès aux technologies pour que le client puisse construire sa solution et la gérer comme il veut d’une façon économiquement viable pour lui.»  (Photo: Eva Krins/Maison Moderne)

David Celis: «Nous sommes un enabler technologique. On facilite l’accès aux technologies pour que le client puisse construire sa solution et la gérer comme il veut d’une façon économiquement viable pour lui.»  (Photo: Eva Krins/Maison Moderne)

Arcus, investisseur derrière Portus

Rebrandée Portus Data Centers, l’entreprise luxembourgeoise est dans le giron d’Arcus, fonds qui a 9,1 milliards d’assets sous gestion et qui a investi 7,7 milliards d’euros en equity dans 21 entreprises actives dans le domaine de l’infrastructure, entreprises de transport ou de logistique, de l’énergie ou du digital. Avec des ambitions à long terme, c’est un actionnaire qui réinvestit régulièrement pour que ses infrastructures soient à jour. Sur les data centers, Luxembourg est la troisième prise du groupe, qui devrait construire de nouveaux data centers, dont un au Luxembourg et un en Sarre, ou en acquérir d’autres déjà existants. La société indépendante de gestion de fonds d’infrastructure parie notamment sur l’augmentation de 25 % par an des volumes de données produites et sur sa stratégie d’agrégation de centres de données régionaux de type «buy-and-build».

Bon à savoir

 1. Installée à la Cloche d’or, European Data Hub a été fondée par le groupe Wagner, notamment par Aloyse Wagner, qui est toujours le président du groupe Wagner au Luxembourg et aussi le fondateur, le créateur d’EBRC.

2. EDH a commencé son activité en 2008 et a évolué au fil des années en tant qu’acteur principal privé dans le secteur du centre de données au Luxembourg puisqu’EBRC appartient à l’État par l’intermédiaire de Post Luxembourg et est devenu entre-temps Deep. LuxConnect a toujours été une initiative prise par le gouvernement pour justement offrir une digitalisation plus forte au Luxembourg avec des infrastructures neutres.

3. En plus de clients traditionnels et institutionnels, Wargaming, l’éditeur de World of Tanks par exemple, est un client important. Deux des quatre localisations de l’éditeur pour l’Europe se trouvent chez Portus Luxembourg, un troisième à Amsterdam et le dernier au Kazakhstan. 200.000 joueurs se côtoient grâce à ses infrastructures.

Cet article a été rédigé pour l’édition magazine de parue le 29 janvier. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam.  

 

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