Gérald Vanhove (cuisine), Eric Steponian (facilities), la chargée de direction Stéphanie Rondoz, Thierry Raach (accueil) et Isabella Colamonaco (directrice des soins): l’équipe de Récital est en place pour accueillir graduellement jusqu’à 123 personnes. (Photo: Maison moderne)

Gérald Vanhove (cuisine), Eric Steponian (facilities), la chargée de direction Stéphanie Rondoz, Thierry Raach (accueil) et Isabella Colamonaco (directrice des soins): l’équipe de Récital est en place pour accueillir graduellement jusqu’à 123 personnes. (Photo: Maison moderne)

Un an après le début du scandale Orpea et trois mois après que les premiers résidents ont commencé à arriver, la chargée de direction de la première résidence du groupe français au Luxembourg, Stéphanie Rondoz, en appelle au dialogue quotidien et à davantage de contrôles pour s’assurer des bonnes intentions de son équipe.

Il est presque midi. Des flocons glissent le long des parois vitrées qui donnent sur une terrasse et d’autres immeubles. Du jazz ajoute un dernier vernis de luxe à une ambiance raffinée. Seuls, avec un membre du personnel en blouse blanche ou comme cette dame avec un déambulateur accompagnée de sa petite-fille, des résidents traversent lentement le hall d’entrée puis le salon et se dirigent vers le restaurant pour un des moments les plus importants de la journée: le repas.

Un an après la publication du livre «Les fossoyeurs» de Vincent Castanet, la première résidence pour senior du groupe Orpea au Luxembourg, sous la marque Récital, a commencé à accueillir ses premiers résidents à Merl depuis le 6 décembre. Sa chargée de direction, Stéphanie Rondoz, a un mot, en luxembourgeois, pour chacun. Aux incessantes questions sur les agissements du groupe, l’ancienne infirmière puis cadre de Servior oppose le contexte luxembourgeois totalement différent, mais aussi sa volonté, pour son premier poste de chargée de direction d’une maison de retraite, d’offrir le meilleur accueil possible à ses clients. Dimanche, l’établissement a fait salle comble à l’occasion de sa première journée portes ouvertes.

Récital dépend directement d’Orpea Belgique, à Bruxelles. Ce n’est pas forcément une bonne chose, compte tenu des dernières nouvelles: à la recherche de 90 millions d’euros, le groupe Orpea a annoncé la fermeture probable de dix maisons de retraite en Belgique…

Stéphanie Rondoz. – «Nous sommes gérés de manière indépendante de cette situation. Nous venons d’ouvrir, ce n’est pas comparable, y compris pas en termes de législation ou de gestion d’un CIPA. Je ne me sens pas du tout concernée ici, par la situation du groupe, vu le contexte luxembourgeois et notre convention collective SAS, nous sommes à part.

Si la société-mère n’a plus de moyens financiers à allouer à ses maisons de retraite, peu importe que vous soyez en Belgique ou au Luxembourg…

«Le budget prévisionnel est fait de longue date. Rien n’a changé. Faire tourner une maison, c’est avoir les contrats d’hébergement et une dotation fixée par l’Assurance-dépendance.

Combien êtes-vous aujourd’hui à travailler?

«29 équivalents temps-plein.

Pourriez-vous aller un peu plus dans le détail, au regard de plusieurs articles qui évoquent le sort de certains CDD du groupe…?

«Tous services confondus. Nous n’engageons que des gens en CDI. 

Et combien de personnes résident chez vous?

«Une vingtaine.

Vous êtes donc largement en mesure de bien vous occuper d’eux…

«Si je n’étais pas en mesure de m’occuper d’eux, je ne les aurais pas acceptés. Il y a la dotation qui est calculée en fonction du niveau de dépendance des résidents. Si on n’est pas prêts, on ne le fait pas.

Comment cela fonctionne? En théorie, de combien de personnel avez-vous besoin pour combien de résidents? 

«C’est, en termes de soins, selon le niveau de dépendance octroyé par la cellule d’évaluation de l’assurance-dépendance. Cela détermine le nombre d’infirmières dont on a besoin. Le pourcentage est fixé par la loi pour toutes les structures au Luxembourg, 20% d’infirmières, 60% de soignants, etc. À terme, on sait qu’avec 123 lits, on va tourner autour de 120 EQT. À terme.

C’est quand «à terme»? 

«Nous avons eu l’autorisation ministérielle le 1er novembre. Mes attentes n’étaient pas en termes de chiffres mais en termes de prises en charge et d’accueil. Corrects. Sereins. Du mieux possible dans le contexte que vous connaissez.

Vous ne pouvez pas recruter au dernier moment, dans un secteur sous tension, qui va souvent piocher dans le vivier frontalier?

«Nous avons déposé une demande d’agrément en janvier 2022 en estimant pouvoir ouvrir dans le courant du mois de mars. Un personnel de base avait déjà été engagé dès le mois de janvier pour pouvoir accueillir un petit nombre de résidents. Un minimum pour faire tourner une cuisine, pour faire tourner une administration et donner des soins. Il y a quinze niveaux de dépendance qui impliquent d’avoir un nombre de soignants différent. Nous ne pouvons pas nous permettre d’avoir trop peu de personnel. Il vaut mieux en avoir trop que trop peu, sinon ça voudrait dire que nous ne pourrions pas prester des soins. C’est à nous de freiner sur les accueils si nous ne sommes pas aptes à bien les accueillir. Nous sommes en recrutement permanent avec des annonces non-stop et des projections à deux ou trois mois. Ceux qui quittent un autre prestataire ont aussi des préavis.

Je pourrai admettre 15 résidents le mois prochain mais ça ne serait pas qualitatif»
Stéphanie Rondoz

Stéphanie RondozChargée de direction de la résidence Récital

Vous avez quand même des objectifs? On ne vous laisse sans doute pas vous débrouiller seule dans cette nouvelle structure… 

«Nous avons accueilli notre premier résident le 6 décembre. Si j’étais à trois résidents après trois mois, je me poserais des questions. J’aurais tiré la sonnette d’alarme. Il y a de la communication, de la pub ou que sais-je à faire! Les premiers résidents qui sont là sont nos meilleurs promoteurs. Nous nous concentrons sur la réussite de leur prise en charge et de leur accueil. Je pourrai admettre 15 résidents le mois prochain mais ça ne serait pas qualitatif. Nous avons la chance de nous dire que notre maison est vide. Nous pouvons nous permettre d’accueillir les résidents et de faire fluctuer notre dotation en fonction. Alors qu’une maison déjà complète, avec une chambre ou deux qui se libère, doit respecter des chiffres-clés; ils ont le personnel, ils ne peuvent pas le mettre à la porte. Et là encore, la question de la dépendance est cruciale.

Cela doit quand même difficile, quand on va voir une infirmière ou un soignant potentiel, de lui dire qu’on aura besoin que dans trois, six mois…

«Au risque d’être banale, ce n’est plus l’employeur qui choisit son employé mais l’employé qui choisit son employeur. Nous nous démarquons par le standing de la maison, il ne faut pas se cacher que c’est un milieu de travail très agréable. Le résident et le salarié ont le même ressenti. Nous avons la proximité avec l’autoroute, nous sommes en centre-ville avec des accès rapides et des parkings. Au niveau salaire, nous sommes alignés sur la convention collective SAS et donc sur tous les autres prestataires.

L’an dernier, les images de mauvais traitements sur des grands-mères ou des grands-pères étaient particulièrement choquantes. Comment, dans ce contexte qui est malheureusement le vôtre, garantissez-vous que ces choses-là n’arrivent pas ici?

«Nous avons vu madame la ministre [, ndlr.]. Nous avons donné des garanties. Ce que peut faire un employeur est de former son personnel au respect de la dignité, à la bienveillance. Mais pas une seule fois, en permanence! Nous pouvons aussi mener des enquêtes de satisfaction, une à deux fois par ans, avec les familles et les résidents, mais aussi avec le personnel. Être un maximum sur le terrain. Sensibiliser toutes les personnes à observer avec sa conscience…


Lire aussi


Ceux qui se comportent mal ne sont justement pas retenus par leur conscience…

«J’imagine mal qu’il n’y ait eu aucun signe avant-coureur…

Comment cela se passerait-il ici, si quelqu’un, une famille ou un résident venait vous dire qu’il a été maltraité?

«Nous suivons le code du travail. Écouter le résident et sa famille. Voir le salarié et l’entendre. Et voir ce que nous devons mettre en place. Jusqu’au licenciement. La maltraitance commence très tôt. Nous assurons des mini-formations. 

Comment vous-même, en tant que professionnelle du secteur, maman ou fille, avez-vous pris ces révélations?

«La remise en question doit être faite par tout le monde à partir du moment où l’on s’occupe de personnes vulnérables, que ce soit des enfants ou des personnes âgées, peu importe. J’étais rassurée parce qu’ici, il y a un contexte qui fait que cela ne pourrait pas arriver.

Vous n’êtes pas plus à l’abri d’un salarié indélicat que les autres…

«Il y a trop peu de surveillance. Il y en a plus que dans d’autres pays mais il pourrait y en avoir encore beaucoup plus. 

Que pourrait-on faire de plus?

«Des contrôles inopinés au lieu de les annoncer. Beaucoup plus de contrôles inopinés. C’est bien qu’il y ait la cellule d’évaluation ou des contrôles qui viennent sur place. Pour moi, ça ne doit pas être pris comme quelque chose à craindre. Ça doit servir à améliorer les choses. Il y a des mesures à prendre. Si ce n’est pas le cas, qu’on nous mette le doigt dessus. C’est au bénéfice du bien-être des salariés, de la société, de nos salariés.

Nous ne sommes pas dans un monde parfait; nous devons faire confiance à des professionnels qu’on engage.»
Stéphanie Rondoz

Stéphanie RondozChargée de direction de la résidence Récital

C’est très philosophique au regard de ce qui s’est passé?

«Non. C’est de l’humain pour de l’humain, c’est compliqué. 

Ça n’excuse pas tout!

«Loin de là! Justement, nous devons donner des garanties, proposer des choses, programmer, planifier des tas de contrôles et de formations pour nous et nos employés. Nous ne sommes pas dans un monde parfait; nous devons faire confiance à des professionnels qu’on engage. Nous devons leur donner tous les outils nécessaires pour qu’ils prennent soin de nos résidents.

Est-ce que la technologie peut aider? Comme ces caméras que certaines familles avaient installées à l’insu du personnel d’Orpea en France?

«Si ces famille ont installé ces caméras, c’est qu’il y avait déjà un doute. 

Personne n’a voulu partager leur doute…

«Oui, c’est ça! S’ils en sont arrivés là, c’est qu’ils n’ont pas été entendus ou écoutés. 

Est-ce que le ministère vous oblige à documenter les problèmes potentiels? À avoir une sorte de registre des problèmes et des solutions que vous leur avez apportées?

«Oui. Toute une série de choses doivent être documentées dans la prise en charge d’un résident. Il y a des critères de qualité évalués régulièrement et si cela n’est pas fait, nous devons nous justifier et y remédier rapidement. Une simple procédure qui n’a pas fonctionné, on n’est même pas sur la maltraitance. Nous nous réunissons et nous adaptons. Nous ne laissons pas les choses traîner. Je veux être dans le préventif!

Un master 2 pour un nouveau départ

Racontez-moi comment vous vous jetez dans l’aventure alors que le scandale lié au groupe n’en finit pas de rebondir?

«Après 22 ans chez Servior… J’ai commencé comme infirmière à Wiltz en 2001, et chef de service en 2009, nous avons ouvert le nouveau centre, puis j’ai pris un poste de chef de service à Esch et le poste de chef de département soins à Niederkorn. Après avoir trouvé de l’épanouissement avec mes quatre enfants, j’avais envie d’aller plus loin encore dans ce métier que j’aime beaucoup. J’ai passé un master 2 en management du secteur social et sanitaire à la Chambre des salariés. Si le groupe a déposé la demande pour ouvrir en janvier 2022, j’étais déjà en discussion avec eux fin 2021, avant que… Mais la sortie du livre n’a rien changé.

Votre nouvelle carrière commence donc dans un contexte très particulier…

«Oui, je n’avais pas exercé cette fonction. Mais dans un secteur que je connais et étant infirmière depuis longtemps. Ça aurait pu me faire peur mais ça ne m’a pas fait peur. Je suis déterminée! C’était un défi de prendre ce poste de chargé de direction, d’ouvrir une nouvelle maison et d’avoir confiance dans mes compétences et dans celles de mes collaborateurs. Nous nous voyons tous les matins, dans la joie et dans la bonne humeur. Le mercredi, nous faisons une réunion plus poussée en termes de projets et d’organisation. Mais la porte de mon bureau est toujours ouverte. Les employés savent que je suis là et les résidents aussi. Ce qui est fabuleux et probablement lié au quartier est d’avoir une population multiculturelle. Il y a des résidents locaux et des résidents qui viennent rejoindre leurs enfants au Luxembourg.»