Nina Lagron, CFA, est gérante actions internationales à La Financière de l’Échiquier, en charge du fonds Echiquier World Equity Growth. Alexis Bienvenu est également gestionnaire d’Echiquier Allocation Flexible   et Mutual Fund Analyst en charge de l’allocation d’actifs. (Photo: La Financière de l’Échiquier)

Nina Lagron, CFA, est gérante actions internationales à La Financière de l’Échiquier, en charge du fonds Echiquier World Equity Growth. Alexis Bienvenu est également gestionnaire d’Echiquier Allocation Flexible et Mutual Fund Analyst en charge de l’allocation d’actifs. (Photo: La Financière de l’Échiquier)

Dans un contexte d’instabilité politique, économique et boursière, Nina Lagron – CFA – et Alexis Bienvenu, tous deux gestionnaires d’actifs au sein de La Financière de l’Échiquier, ont confié à Paperjam leur vision de l’évolution des marchés pour les mois à venir.

Nina Lagron, CFA, est gérante actions internationales à La Financière de l’Échiquier, en charge du fonds Echiquier World Equity Growth. Alexis Bienvenu est également gestionnaire d’Echiquier Allocation flexible et Mutual Fund Analyst en charge de l’allocation d’actifs au sein de la société de gestion.

Comment voyez-vous évoluer les marchés dans le contexte actuel?

Nina Lagron. «Les marchés portent selon nous une attention exagérée au fameux pivot, c’est-à-dire à la fin de la hausse des taux directeurs. Ce pivot des banques centrales aide simplement à déterminer à quel stade de la récession nous nous trouvons et à trouver le bon timing. C’est pour nous le moment de se focaliser sur les prévisions de bénéfices.

Quels enseignements tirez-vous de la dernière salve de résultats trimestriels?

N.L. – «Malgré le contexte, la période de résultats s’est révélée très positive dans l’ensemble des marchés, une saison émaillée de quelques surprises négatives, notamment sur le marché des devises et la technologie, secteur qui a signé une baisse impressionnante. Mais le marché fébrile semble avoir surréagi. La croissance devrait en effet rester au rendez-vous sur le secteur, selon nous, même si nous ne retrouverons plus les niveaux de forte croissance que nous avions pu connaître. Prenez le cloud par exemple, qui a encore de l’avenir, mais qui sort d’une phase de surcroissance exceptionnelle.

Le marché a-t-il touché son niveau le plus bas?

N.L. – «C’est la grande question. Le point positif, c’est que l’actuel mouvement baissier s’effectue dans le calme. Il n’y a pas d’effet panique. Si quelques inquiétudes ont pu surgir, comme avec la présentation du mini budget de l’ancien Premier ministre britannique Liz Truss, le marché n’a pas basculé.

Nous estimons être relativement encore loin du point le plus bas.

Les marchés vont surtout devenir beaucoup moins lisses.
Nina Lagron

Nina LagronCFA, gérante actions internationalesLa Financière de l’Échiquier

 Le marché devient-il moins lisible?

N.L. – «Les marchés vont surtout devenir beaucoup moins lisses. Nous sortons d’une phase qui a duré près de 20 ans de taux d’intérêt très bas et de stimulus monétaires et budgétaires puissants injectés au moindre accroc économique. Nous quittons donc des marchés haussiers, une hausse mécanique qu’il ne faut pas confondre avec la génération d’alpha. C’est cet environnement de hausses “mécaniques” qui disparaît actuellement.

Les cycles vont également devenir plus courts, ce qui incitera à une plus grande prudence en matière de market timing. Investir selon un style ne suffira pas. Jusqu’à aujourd’hui, il suffisait par exemple d’être estampillé «digital» pour connaître une appréciation immédiate. Si le digital représentera toujours une part importante des portefeuilles – notamment via le cloud et la digitalisation –, une analyse beaucoup plus fine sera nécessaire… La sélectivité sera clé.»

Dans un tel contexte de polycrises et de marchés moins lisibles, quelle est la meilleure stratégie d’allocation d’actifs?

Alexis Bienvenu. – «À La Financière de l’Échiquier, nous distinguons trois temporalités pour parvenir à bien se repérer dans toutes ces crises.

D’abord, le très long terme, en se fiant à l’historique des rendements et des résultats sur lesquels nous appliquons nos hypothèses de Ratio de Sharpe afin de déterminer ce qui est optimal pour un investisseur aujourd’hui. C’est dans ce cadre que l’on projette l’impact des grands risques sur les portefeuilles, comme le changement climatique, le vieillissement démographique, la baisse de productivité ou l’endettement des États. Nous pouvons ainsi apprécier les potentielles déviations sur le moyen et le court terme.

Sur le moyen terme, nous sommes particulièrement attentifs à la gestion des crises par les institutions – banques centrales et États qui insufflent des stimulus ou les retirent en fonction de leurs préoccupations – ainsi qu’au cycle économique. Sur le très court terme, nous nous ajustons à des crises intenses, mais courtes qui n’impactent pas forcément les marchés sur le long terme, comme le Covid, le conflit en Ukraine ou encore le discours d’un banquier central. Dans ces cas-là, nos prises de position se font au jour le jour, voire à l’heure.

Malgré ces tendances structurelles, malgré les crises à venir, les opportunités existent. Il n’y a pas de crises sans opportunités.
Alexis Bienvenu

Alexis BienvenuGestionnaire d’Echiquier Allocation flexible et Mutual Fund Analyst en charge de l’allocation d’actifs.La Financière de l’Échiquier

L’idée est de s’ajuster au quotidien aux évolutions de court terme, dans le cadre du cycle de moyen terme en vue de la réalisation des hypothèses développées sur le long terme.

De manière générale, pensez-vous que les marchés vont générer à l’avenir moins de performances que ces 20 dernières années?

A.B. –  «Il ne serait pas étonnant que le rendement des actions diminue. Nos hypothèses à horizon 5-10 ans estiment que les obligations souveraines seront moins intéressantes que par le passé. Sur le terrain des actions, compte tenu des tendances de long terme que sont la croissance démographique qui s’atténue, le vieillissement de la population touchant également l’Asie, des crises de très longue durée comme le réchauffement climatique, l’augmentation de la dette des États et la baisse structurelle de la productivité, le rendement des actions devrait également diminuer sur le long terme, en toute logique.

 Quelles doivent être alors les attentes de rendement de vos clients maintenant?

A.B. – «Tout dépend des horizons. Compte tenu d’un probable ralentissement de la croissance économique par rapport à ce que l’on a connu ces 60 dernières années, nous devrions nous rapprocher sur les 20 prochaines années d’une moyenne de 5 à 6% pour les actions contre 6 à 8% de croissance “historique”.

Malgré ces tendances structurelles, malgré les crises à venir, les opportunités existent. Il n’y a pas de crises sans opportunités. Des thèmes très porteurs émergeront, peut-être à une fréquence moindre dans l’ensemble. Mais si on choisit bien les marchés et les entreprises, cette sélectivité pourra selon nous compenser le risque de perte en rendement global au sein du MSCI World.

La période de taux très bas enclenchée depuis 2008 a favorisé l’émergence de nouvelles classes d’actifs, plus particulièrement les marchés privés et les cryptoactifs. Le nouvel environnement macroéconomique caractérisé par une inflation plus forte et des taux plus élevés remet-il ne cause la pertinence et les rendements de ces deux classes d’actifs?

A.B. – «Notre prudence à l’égard des cryptoactifs a toujours été marquée. Ces actifs n’offrent pas de rémunération, ne sont pas acceptés par les grandes institutions, ni ne sont régulés par les banques centrales. Et aucune méthode ne permet de les valoriser, hormis la dépense énergétique qu’il faut pour miner d’une manière presque stérile. Leur valeur est uniquement idéologique et spéculative.


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La donne est différente pour les actifs privés. Nous disposons d’un véritable modèle de valorisation et les raisons d’investir sont multiples, sous réserve de la liquidité. Si nous n’investissons pas dans ces actifs, c’est surtout parce que nous voulons garder la liberté de faire évoluer les portefeuilles très rapidement. Mais ces actifs ont une valeur et une réelle utilité économique.»

Cette interview est issue de la newsletter Paperjam + Delano Finance, le rendez-vous hebdomadaire pour suivre l’actualité financière au Luxembourg.