Le LGX a suscité un intérêt considérable, selon la head of sustainable finance Laetitia Hamon. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Le LGX a suscité un intérêt considérable, selon la head of sustainable finance Laetitia Hamon. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Le Luxembourg Green Exchange joue un rôle actif pour engager la transformation du secteur financier dans son ensemble depuis 2016. La head of sustainable finance, Laetitia Hamon, revient sur cette épopée et évoque les défis à venir.

En 2016, il y a sept ans déjà, la Bourse de Luxembourg lançait le Luxembourg Green Exchange (LGX), se positionnant comme pionnière en matière de finance durable. Pouvez-vous nous expliquer ce qui a conduit votre institution à prendre une telle initiative?

Laetitia Hamon. – «Ce lancement est intervenu juste après 2015, année charnière pour le développement de la finance durable. D’une part, les Nations unies venaient de définir les 17 objectifs de développement durable. D’autre part, 2015 est également l’année de l’accord de Paris. Un nouvel horizon, avec des objectifs ambitieux en matière de développement durable, se présentait à nous. La Bourse s’est alors demandé comment elle pouvait contribuer à la transition à mener.

Nous sommes partis du constat que nous avions déjà des obligations vertes listées à la Bourse, et notamment la première obligation verte émise par la Banque européenne d’investissement (climate awareness bond) en 2007 ainsi que celle de la Banque mondiale émise l’année suivante. En 2016, environ 50% du marché des obligations vertes étaient listés chez nous.

Vous étiez déjà une bourse verte, en fait…

«Oui. Mais, à l’époque, nous n’avions pas encore de critères permettant de définir ce qu’était une obligation verte. En dehors des Green Bond Principles de l’International Capital Market Association, aucun critère n’avait été établi pour reconnaître une obligation verte. C’est à l’époque qu’un groupe de travail, au sein de la Bourse, a trouvé opportun de créer le Luxembourg Green Exchange, qui est une plateforme qui affiche les obligations vertes, sociales et durables listées chez nous. L’objectif était double.

D’une part, il s’agissait de mettre en avant ces obligations et d’aider les investisseurs à trouver plus facilement ces produits. D’autre part, la volonté était de donner de la visibilité et de la crédibilité aux émetteurs, à travers l’établissement d’un ensemble de critères de transparence auxquels il faut répondre pour être admis au LGX.

Pouvez-vous nous rappeler ce qu’est une obligation verte?

«Une obligation, avant toute chose, est une dette que tout type d’entité peut émettre. Une société, un État, une ville ou encore une banque de développement peut se tourner vers le marché des capitaux afin de pourvoir à ses besoins de financement. De manière générale, cependant, on ne sait pas ce qu’une entité va financer en émettant une obligation. Lorsque l’on parle d’obligations vertes, par contre, il devient important d’expliquer au départ dans quel projet on va investir les capitaux qui ont pu être levés et, si on y arrive, quels seront les impacts générés par ce projet. Au-delà, il convient aussi de s’assurer que les fonds mobilisés seront bien alloués à l’objectif annoncé.

Quels types de projets financent les obligations aujourd’hui affichées au LGX?

«On y trouve des obligations vertes, les premières que nous avons affichées, qui financent des projets environnementaux. Le plus souvent, elles con­cernent le développement des énergies renouvelables ou encore des projets d’efficacité énergétique. Rapidement, d’autres types d’obligations ont intégré la plateforme, dans une approche de développement durable. D’un côté, il y a des obligations sociales, orientées vers des investissements à caractère social, comme des projets dans le secteur de la santé ou de l’éducation, la création d’emplois ou encore de logements accessibles. D’un autre côté, il y a des obligations durables, qui visent des projets sociaux et / ou environnementaux.

Pour ces trois premières catégories, l’allocation des fonds est déterminée pour un projet défini. Il existe une quatrième catégorie d’obligations affichée au LGX: les obligations liées au développement durable. Pour celles-ci, l’allocation des fonds n’est pas associée à un projet. L’émetteur s’engage sur des objectifs à atteindre. Par exemple, une société active dans l’énergie peut émettre une obligation liée au développement durable en s’engageant à atteindre une réduction de 20% de ses émissions d’ici 2050 (avec un objectif intermédiaire à 2030). Mais ces objectifs peuvent concerner d’autres dimensions, comme l’égalité des genres. Par exemple, les entreprises qui émettent ce genre d’obligations peuvent s’engager à augmenter le ratio de femmes dans leurs organes de décision.

Laetitia Hamon: «Le LGX est un levier de promotion-clé, positionnant le Luxembourg comme une place financière durable de premier plan.» (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Laetitia Hamon: «Le LGX est un levier de promotion-clé, positionnant le Luxembourg comme une place financière durable de premier plan.» (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Que se passe-t-il si l’objectif annoncé n’est pas atteint?

«L’objectif étant défini au niveau de la documentation légale associée à l’obligation, s’il n’est pas atteint, l’émetteur sera sanctionné par des pénalités, elles aussi prévues. Le plus souvent, il s’agit d’une augmentation du coupon payé aux investisseurs.

À quels critères de transparence faut-il répondre afin de pouvoir être affiché au LGX?

«Un préalable, avant d’évoquer les critères, réside dans le fait que l’obligation émise doit être listée sur un des deux marchés que propose la Bourse de Luxembourg ou qu’elle doit être reprise sur la liste officielle. À partir de là, on peut prétendre à être affiché au LGX pour peu que l’obligation réponde à un ensemble de critères de transparence.

Nous allons, notamment, vérifier si l’émetteur a bien produit un ensemble de documents. À travers l’un d’eux, appelé framework, l’émetteur va devoir expliquer comment il va utiliser les fonds levés, comment il va sélectionner les projets qui seront financés, comment il va s’assurer que les fonds sont bien tracés jusqu’aux projets. Il doit aussi expliquer de quelle manière il va rendre compte de l’allocation effective des fonds et, éventuellement, de l’impact généré par le projet. Au niveau du LGX, nous allons également exiger que ce document essentiel, qui explique la démarche, soit vérifié par un second-party opinion provider, un expert qui va pouvoir vérifier si ce qui est écrit est bien aligné avec des standards internationaux, et qui va donner une opinion – accessible, elle aussi, aux investisseurs.

Enfin, pour le LGX, nous exigeons que l’émetteur s’engage à fournir un reporting post-émission de l’obligation. Parce que ce n’est pas tout d’afficher des engagements, nous voulons que les investisseurs puissent bénéficier des suivis de ceux-ci.

Quel engouement a suscité le lancement du LGX, avec l’application de ces critères?

«Cela a suscité un intérêt considérable et a renforcé l’attrait des émetteurs et des investisseurs pour la Bourse de Luxembourg. Nous étions déjà un acteur très international. Nous avons acquis, à travers cette démarche, une dimension bien supérieure, dont profite par ailleurs toute la place financière. Le LGX est un levier de promotion-clé, positionnant le Luxembourg comme une place financière durable de premier plan. Suite au lancement du LGX, nous avons eu l’opportunité de prendre part à de nombreuses discussions. Nous avons été sollicités et impliqués dans de nombreux groupes de travail.

Notre CEO, Julie Becker, a fait partie du groupe d’experts de la Commission européenne en charge d’émettre des propositions et recommandations concernant le package réglementaire autour de la finance durable. Personnellement, je suis impliquée dans le groupe d’experts de la Commission européenne Scaling up Sustainable Finance in Low and Middle-­Income Countries, dont ­l’objectif est d’envisager les leviers permettant de mobiliser l’investissement privé pour soutenir les enjeux de développement des pays émergents.

Le LGX contribue à la visibilité et à la crédibilité des émetteurs d’obligations durables.
Laetitia Hamon

Laetitia HamonHead of sustainable financeLGX

Et quel intérêt l’initiative a-t-elle suscité, du côté des émetteurs?

«Il a été important. Il y a d’abord eu beaucoup de questions, autour des critères notamment. À l’époque, l’obligation du reporting n’était pas une pratique courante. Elle le devient de plus en plus, bien que des efforts doivent encore être faits pour améliorer la qualité des rapports émis. Nous accompagnons les émetteurs à ce niveau. L’enjeu est que les données transmises après l’émission de l’obligation répondent aux attentes des investisseurs, et les aident à réaliser les reportings auxquels ils sont désormais contraints, eux aussi.

Que représentent les obligations vertes, sociales, durables (ou liées à la durabilité) au niveau de la Bourse de Luxembourg?

«En 2016, les obligations affichées au LGX représentaient moins de 1% de toutes celles émises au niveau de la Bourse de Luxembourg sur une année. En 2022, elles représentaient presque 20% du total. Aujourd’hui, les obligations affichées au LGX, ce sont 930 milliards d’euros. Les émetteurs, dans leur documentation, n’hésitent pas à se prévaloir d’être affichés au LGX. C’est un élément qui contribue à leur crédibilité vis-à-vis des investisseurs.

À la suite du lancement du LGX, avez-vous vu se multiplier des initiatives similaires par ailleurs?

«Oui, on en a vu beaucoup. Toutefois, ces initiatives sont quelque peu différentes de ce que l’on propose, en raison notamment de notre positionnement. La Bourse de Luxembourg est, avant tout, une plateforme d’échange orientée vers les obligations. Cependant, depuis le lancement du LGX, nous avons vu beaucoup d’autres bourses développer des segments durables ou verts. À ma connaissance, nous sommes les seuls à imposer des critères aussi poussés et, entre autres, l’obligation de reporting.

Par contre, et c’est important de le mentionner, nous travaillons beaucoup avec d’autres bourses, notamment dans les pays émergents, pour les aider à mettre en place ce genre de démarche. Nous avons, par exemple, accompagné la Bourse du Cap-Vert dans la mise en œuvre d’un blue exchange, autrement dit un segment pour les obligations finançant la protection des ressources maritimes.

Comment résumeriez-vous votre contribution à la transition durable à mener?

«On sait que la transition climatique – et, plus largement, vers un développement durable – implique d’opérer des changements importants, d’investir dans de nouvelles technologies, dans des infras­­tructures, de faire évoluer des modèles… Des fonds publics conséquents sont mobilisés. Les banques jouent aussi leur rôle. Mais cela ne suffit pas. Il est nécessaire que les marchés des capitaux supportent cette transformation. Notre rôle, à ce niveau, est de contribuer à orienter les fonds vers les projets qui participent à cette transition.

Concernant la bourse, nous souhaitons aller plus loin, en agissant au niveau de l’éducation à faire en la matière, en accompagnant les acteurs de la finance afin qu’ils puissent bien appréhender ces enjeux. C’est pour cela que nous avons créé la LGX Academy en 2020. À travers elle, nous aidons les acteurs à comprendre les produits qui s’inscrivent dans cette démarche, les standards et les réglementations en vigueur, afin que, à leur échelle, ils puissent contribuer au développement de cette finance durable.

Depuis 2016, beaucoup de choses ont évolué. Quel regard portez-vous sur le développement de la finance durable ces dernières années?

«Quand je suis arrivée au Luxembourg, en 2008, on parlait déjà de finance responsable. Cependant, le sujet ne mobilisait qu’une poignée de personnes convaincues. Si la thématique était évoquée, cela restait marginal, et rarement suivi d’actions. ­L’année 2018, avec l’adoption d’un ensemble de réglementations en matière de finance durable, a marqué un tournant important. Tous les acteurs ont alors pris conscience que cela allait avoir des implications profondes sur leurs opérations et qu’ils devaient engager des démarches crédibles en la matière. Il faut aussi saluer l’effort associé à l’adoption de la taxonomie verte, longtemps discutée, mais qui a le mérite d’apporter une définition claire et ­partagée de ce qui relève d’une activité durable.

Laetitia Hamon: «Nous travaillons beaucoup avec d’autres bourses, notamment dans les pays émergents.»  (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Laetitia Hamon: «Nous travaillons beaucoup avec d’autres bourses, notamment dans les pays émergents.»  (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Afin de soutenir le développement de la finance durable, quels défis faut-il encore relever?

«Il s’agit de faire de la finance durable un standard, d’accompagner les acteurs pour que ces critères soient au cœur de leur stratégie, qu’ils soient intégrés dans tout ce qu’ils font. À l’avenir, l’enjeu est qu’il n’y ait plus de déconnexion entre finance et finance durable. On parle ici d’un changement structurel. Il s’agit de repenser en profondeur les habitudes d’investissement, la manière avec laquelle on conçoit les produits, en intégrant les notions de durabilité. Cela ne se fait pas sans mal. Cela implique d’importants efforts d’éducation et d’accompagnement du changement.

Chacun doit être formé à ces enjeux, en acceptant que le monde de demain sera durable ou ne sera pas. Un autre défi réside dans la gestion des données, qui doivent renseigner sur l’impact de ces investissements durables, pour convaincre chacun de la pertinence de l’approche. Or, actuellement, nous sommes submergés par une vague de données en tout genre. Il faut pouvoir déterminer quelles sont celles qui font le plus de sens, et pourquoi, et s’assurer que les investisseurs les comprennent.

Autour des données durables, la Bourse de Luxembourg a mis en place le LGX DataHub. À quels enjeux cette plateforme vient-elle répondre?

«Notre approche autour du LGX et de ses critères de transparence invite les acteurs à produire des données et à les mettre à disposition des investisseurs. Mais nous avons souhaité aller plus loin. À travers la mise en œuvre du LGX DataHub, nous avons créé une base de données centralisée, qui reprend les informations des obligations affichées au LGX mais qui capture aussi les données de toutes les obligations vertes, sociales ou durables listées partout dans le monde.

Au total, le LGX DataHub fournit un accès aux données de plus de 12.000 obligations (le LGX en affiche 1.700, ndlr). Cela permet aux investisseurs ou aux ­gestionnaires d’actifs d’opérer des choix, de filtrer selon divers critères, de comparer les obligations, afin de construire plus ­facilement des portefeuilles correspondant à leur niveau d’exigence. La mise en place de cette base de données a nécessité un important travail pour établir un modèle cohérent, qui s’applique à toutes les obligations.

Que peuvent y trouver les investisseurs?

«La base est riche, s’articulant autour de 150 points de données par obligation. Elle permet de comprendre la promesse faite au moment de l’émission, mais aussi de suivre ce qui a été effectué, à travers les données post-émission reprises. Il ne s’agit pas d’évaluer nous-mêmes les obligations, mais de donner aux investisseurs les éléments pour le faire.

Aujourd’hui, qui produit les données reprises dans les reportings post-émission? Dans quelle mesure sont-elles contrôlées ou vérifiées?

«Aujourd’hui, c’est l’émetteur du produit qui émet les rapports post-émission, sur une base déclarative. C’est lui aussi qui décide de les faire vérifier ou non par des auditeurs externes. C’est effectivement un enjeu-clé. De plus en plus d’émetteurs, à l’instar de la Banque européenne d’investissement, font vérifier leurs rapports post-émission. C’est très bien, mais ce n’est pas systématique.

Nous engageons d’ailleurs des discussions sur ce sujet avec les acteurs. Dans le futur, avec l’évolution des standards, cela devrait se généraliser. Par exemple, les obligations qui souhaiteront être reconnues en tant que EU Green Bonds, dans le contexte de la réglementation EU Green Bond Standard, devront faire vérifier leurs données.

En matière de finance durable, considérant les diverses initiatives prises ces dernières années, comment est perçu le Luxembourg?

«Le Luxembourg est perçu comme une place financière qui travaille beaucoup sur ce sujet, comme pionnier dans ce domaine. Le LGX mais aussi LuxFlag ou encore la LSFI démontrent l’engagement du pays sur ces questions. Sa force réside dans sa capacité à agir avec agilité à l’égard de ces changements. Ses acteurs se mobilisent efficacement, soutiennent l’innovation, pour avancer plus rapidement que d’autres sur ces sujets.

Coopération

La Bourse de Luxembourg, forte de son expérience autour de l’émission des obligations durables, agit auprès de nombreux pays émergents dans une démarche de coopération. Particulièrement touchés par les impacts climatiques, ces pays doivent mobiliser des moyens importants pour, notamment, atténuer les risques. La Bourse de Luxembourg, dès lors, leur apporte une assistance technique, partageant avec eux ses connaissances, son expertise et des cas pratiques pour les aider à émettre des obligations durables de qualité et accéder aux financements nécessaires à la réalisation de leur projet.

Cinq dates-clés à retenir

2007: la première obligation verte au monde est cotée sur le LuxSE. Il s’agit d’un climate-awareness bond, émis par la Banque européenne d’investissement.

2016: création de la Bourse verte de Luxembourg (le Luxembourg Green Exchange), première plateforme mondiale pour les titres durables.

2020: dans l’optique de ­renforcer l’accès à la formation sur la ­finance durable et aux données structurées sur le développement durable, la Bourse crée la LGX Academy et le LGX DataHub.

2021: le LGX atteint la barre des 1.000 obligations durables, composées d’obligations vertes, sociales, durables et liées au développement durable.

2022: afin de faire progresser le financement de l’égalité entre les hommes et les femmes, les obligations axées sur le genre sont affichées au LGX pour permettre aux investisseurs d’identifier plus facilement les opportunités d’investissement dans ce domaine.

Demandes en hausse

On constate que les obligations durables les plus crédibles, proposant un reporting de qualité, sont le plus souvent sursouscrites. Plusieurs éléments permettent de justifier cet engouement. Le principal, toutefois, a trait à la réglementation, qui impose aux gestionnaires de dresser un tableau de la dimension durable de leurs produits. Les banques, d’autre part, devront aussi rendre compte de leur green asset ratio, à savoir la proportion des actifs de l’établissement bancaire investis dans des activités économiques durables, ou écologiquement responsables, par rapport au total des actifs d’une entreprise. Ces exigences sont de nature à booster la demande.

 Cet article a été rédigé pour le supplément ESG de l’édition de  parue le 25 octobre 2023. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam. 

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