L’inflation ne se calmera pas d’elle-même. Il faudrait pour cela une «solution crédible au problème de l’énergie» sur le long terme, indique Christos Koulovatianos. Mais cette solution reste pour le moment inconnue. (Photo: Uni)

L’inflation ne se calmera pas d’elle-même. Il faudrait pour cela une «solution crédible au problème de l’énergie» sur le long terme, indique Christos Koulovatianos. Mais cette solution reste pour le moment inconnue. (Photo: Uni)

Les solutions classiques pour faire face à l’inflation sont inapplicables dans une situation aussi complexe et imprévisible que celle que nous vivons, selon l’économiste Christos Koulovatianos, professeur à l’Uni. Mais le report de l’indexation est nécessaire du fait des fragilités du marché du logement.

La situation économique actuelle, marquée par une forte inflation, est très complexe et la conséquence de multiples facteurs liés à la pandémie de Covid-19 et à la guerre en Ukraine. Les solutions pour y faire face sont donc inconnues, explique le professeur Christos Koulovatianos, économiste à l’Université du Luxembourg.

Au Luxembourg, la fragilité du marché du logement impose un des salaires, explique-t-il. De fait, selon l’économiste, tant que l’inflation est forte, une indexation provoquerait une très forte hausse des taux d’intérêt hypothécaires. Avec pour conséquence de grandes difficultés pour certains particuliers à rembourser les emprunts en cours.

Les plus vulnérables doivent en parallèle être la cible prioritaire des aides, ceux-ci étant les principales victimes de la hausse des prix de l’énergie et de l’alimentation, souligne Christos Koulovatianos. Une sortie de crise ne sera en tout cas envisageable qu’en cas de solution à long terme apportée au prix de l’énergie.

Quels sont les instruments que les autorités publiques ont à disposition pour faire face à une telle période d’inflation?

Christos Koulovatianos. – «La mauvaise nouvelle est qu’il n’y a pas de recette pour faire face à l’inflation. C’est le résultat de facteurs complexes. Et, dans la situation actuelle, nous ne pouvons pas recourir aux recettes connues.

Dans la situation actuelle, nous ne pouvons pas recourir aux recettes connues.
Christos Koulovatianos

Christos KoulovatianosprofesseurUni

Mais les banques centrales ne sont-elles pas chargées de cette mission?

«et l’inflation en temps normal. Mais le problème est que nous ne vivons pas des temps normaux. Les banques centrales ne peuvent donc pas totalement contrôler les taux d’intérêt et l’inflation. Elles ne peuvent pas inverser une tendance et, même si elles le peuvent, elles ne peuvent le faire que sur des périodes très limitées.

Quelles sont les différentes causes de ces «temps anormaux» et de cette inflation galopante?

«Il y a quatre raisons à cela. En premier lieu, la pandémie de Covid-19, pendant laquelle nous avons boosté l’économie avec des politiques fiscales et monétaires très agressives. Les gouvernements occidentaux, des États-Unis et de l’Union européenne, ont ainsi mis en place des paquets de relance, en empruntant de l’argent aux générations futures pour éviter des faillites en cascade, des pertes d’emplois et une inflation énorme.

Il s’agissait de traiter les symptômes du problème, non les causes. Mais si vous donnez des médicaments très puissants à un patient, au bout d’un certain temps, le corps s’habitue, et cela provoque des effets secondaires. Dans notre situation, l’un d’entre eux est une demande agrégée très forte.

Si nous indexons complètement les salaires, comme cela se fait en temps normal, une certitude est que cela provoquera une hausse des taux d’intérêt.
Christos Koulovatianos

Christos KoulovatianosprofesseurUni

Ensuite, la sortie de pandémie a aussi provoqué des perturbations…

«Les politiques de confinement et de vaccination n’ont pas été coordonnées au niveau mondial. La Chine, qui est le grand producteur du monde, a imposé de nouveaux confinements, ce qui a perturbé ses chaînes de production, provoquant un goulot d’étranglement au niveau de celles-ci. Et cette faiblesse de l’approvisionnement a pour conséquence des prix très hauts et une forte inflation.

La guerre en Ukraine n’a ensuite rien arrangé…

«Elle provoque deux problèmes supplémentaires: une situation de très grande incertitude, ce qui est mauvais pour les investissements et les marchés financiers. Et, du fait des sanctions russes, l’isolement, en termes de marchés de l’énergie et de marchés alimentaires, entre la Russie et les deux grandes économies occidentales, européenne et américaine. Les prix de l’énergie et des aliments sont ainsi extrêmement élevés.

Dans ce pays, du fait principalement des fragilités du marché du logement, nous devons rester très prudents.
Christos Koulovatianos

Christos KoulovatianosprofesseurUni

L’ensemble de ces facteurs rend donc la situation très imprévisible…

«Oui, le résultat de tout ceci est que tout ce que nous savons à propos de l’inflation, les recettes connues, ne peuvent pas fonctionner dans cette situation. Les modèles que les banques centrales utilisent ne peuvent pas prendre tout cela en considération, les évolutions des marchés, tous ces changements géopolitiques dramatiques. Nous avons cette incapacité.

Au Luxembourg, le débat s’est focalisé autour du report de l’indexation des salaires. Cette indexation représente-t-elle un risque majeur pour l’économie du pays?

«Si nous indexons complètement les salaires, comme cela se fait en temps normal, une certitude est que cela provoquera une hausse des taux d’intérêt. Et je veux dire une très forte hausse.

Le problème est que les taux d’intérêt hypothécaires peuvent tuer le marché du logement au Luxembourg. C’est une grande inquiétude du gouvernement et de la Banque centrale du Luxembourg (BCL). Donc, dans ce pays, du fait principalement des fragilités du marché du logement, nous devons rester très prudents.

La hausse des prix de l’énergie et de l’alimentation est avant tout un problème pour les plus vulnérables.
Christos Koulovatianos

Christos KoulovatianosprofesseurUni

Qu’est-ce qui rend le marché du logement si fragile au Luxembourg?

«Les prix du logement sont trop élevés, en relation avec les prix des loyers, et cela contient en soi de nombreux risques. Un exemple: beaucoup de personnes ont un taux d’intérêt hypothécaire qui est fixe, mais sur dix ans. Passé ce délai, celui-ci vient à expiration et le taux d’intérêt devient alors variable. Par conséquent, vu le contexte, de nombreuses personnes pourraient avoir de grandes difficultés pour payer l’emprunt de leur logement si les taux d’intérêt augmentaient.

Une telle situation est arrivée aux États-Unis en 2007, en Irlande, en Espagne, en Islande, au Royaume-Uni… Et, dans certains cas, cela a provoqué un désastre. Au Luxembourg, nous ne voulons pas déclencher cela. Donc il ne faut pas jouer avec le feu.

Les plus vulnérables sont en première ligne face à l’inflation…

«Oui, la hausse des prix de l’énergie et de l’alimentation est avant tout un problème pour les plus vulnérables. Il faut donc maintenir leur niveau de revenus, les cibler. Nous devons aider les entreprises de taille moyenne, les entreprises familiales, les restaurants à nouveau, ainsi que les personnes vulnérables.

Dans le futur, si nous constatons que les prix de l’énergie s’améliorent, nous pourrons retourner à un schéma d’indexation automatique des salaires.
Christos Koulovatianos

Christos KoulovatianosprofesseurUni

Le report de l’indexation tel que l’a décidé le gouvernement, avec un système de compensation pour les revenus les plus faibles, vous paraît donc une solution appropriée…

«C’est mon opinion. Reporter l’indexation pour le moment. Puis attendre et voir. Nous vivons une période de très forte incertitude. Donc attendre de voir ce que va faire Poutine avec cette guerre, ce que les Européens vont faire, n’est pas une mauvaise idée. Dans le futur, si nous constatons que les prix de l’énergie s’améliorent, nous pourrons retourner à un schéma d’indexation automatique des salaires.

Mais quand une telle amélioration est-elle envisageable? La situation a plutôt tendance à se dégrader…

«Dans les années 2006-2007, les prix du pétrole étaient très élevés. Puis, en 2010, les Américains, Georges W. Bush en l’occurrence, ont décidé de commencer à extraire davantage de pétrole sur leur territoire. À partir du moment où cela est devenu crédible pour les marchés, les prix de l’énergie au niveau mondial ont baissé.

Si quelque chose de similaire survient, une solution crédible au problème de l’énergie, alors je peux vous garantir que l’inflation va arrêter de grimper au niveau mondial. Je ne sais pas quelle est cette solution. Mais tant que nous n’aurons pas la confirmation que le problème de l’énergie peut être solutionné sur le long terme, il est inutile d’espérer que l’inflation se calme d’elle-même.»