Pour le nouveau responsable des partenariats et des transferts de technologies de l’Université, Christophe Haunold, amener l’entreprise assez tôt dans un projet né à l’université lui permettra d’être plus «facile» à vendre quand il sera prêt. (Photo: Université du Luxembourg)

Pour le nouveau responsable des partenariats et des transferts de technologies de l’Université, Christophe Haunold, amener l’entreprise assez tôt dans un projet né à l’université lui permettra d’être plus «facile» à vendre quand il sera prêt. (Photo: Université du Luxembourg)

Il y a un an tout juste que le Toulousain Christophe Haunold a pris la direction du bureau des partenariats et des transferts de technologies de l’Université du Luxembourg, le PaKKT. Sa mission: confronter chercheurs et étudiants aux réalités de l’entreprise pour lancer les pépites technologiques de demain.

«Si je monte une pizzeria, il y a de bonnes chances que je connaisse mes clients. Si je lance un nouveau produit ou procédé, vraiment novateur en termes techniques, je vais avoir à convaincre mes clients potentiels ou mes partenaires parce que je suis en avance.» Parti en Australie, diplôme d’ingénieur en génie chimique à Polytechnique en poche, Christophe Haunold a directement mis les mains dans le cambouis des relations entre universitaires et industriels.

30 ans plus tard, le Toulousain dirige depuis un an exactement le bureau des partenariats et des transferts de connaissances et de technologies (PaKKT) de l’Université du Luxembourg. «Je ne suis spécialiste de rien, mais j’ai une bonne base scientifique et un titre de docteur, reconnu par mes pairs, qui me permettent de discuter du fonds avec des scientifiques», avoue-t-il avec humilité au moment de donner son premier retour d’expérience depuis son arrivée au Luxembourg en pleine pandémie.

«De mon point de vue, le point fort de l’université, ce sont les idées! Même les idées les plus osées ou innovantes. Mais l’université n’est pas celle qui connaît le mieux les marchés. L’université est souvent en avance et ce n’est pas forcément un avantage», explique-t-il en préambule, dans une version revisitée de l’importance du «time to market».

Votre credo, c’est d’amener l’entreprise très tôt dans le projet d’un étudiant ou d’un chercheur. Comment organiser le cycle de développement du projet si l’étudiant ne peut pas rester sur son intuition?

«Idéalement, ce que j’ai constaté, dans cette période compliquée où on a l’idée d’un produit ou un service, mais qu’on ne l’a pas encore validée, c’est que plus tôt on a des entreprises dans le processus, mieux c’est: sinon, on a une approche trop linéaire. Sinon, j’ai une idée, je fais un prototype et à la fin, j’ai quelque chose après beaucoup d’efforts et de temps et je sors dans la rue en demandant ‘Qui en veut?’… Ça ne marche pas! Interagir assez en amont avec des entreprises ou des réseaux d’investisseurs, de créateurs, de partenaires ou de fournisseurs, ça me semble nécessaire.

Là, j’ai un étudiant qui a une idée pour développer un distributeur automatique de médicaments. Pourquoi? Parce qu’à titre personnel, il a rencontré cette problématique et qu’il a des amis qui travaillent dans le milieu. Il y a un syndrome du médicament pas pris. Il est plutôt informaticien et se dit qu’il va créer un système avec de l’intelligence artificielle qui va reconnaître les médicaments et donner les bonnes pilules à la bonne personne au bon moment. Face à une situation comme ça, mon rôle au service des partenariats et des transferts est de le confronter très vite à des gens du domaine de la médecine, des pharmaciens, du ministère de l’Économie, de Luxinnovation, du Technoport…, qui ont une vision potentielle d’un marché. Il faut parler à des utilisateurs potentiels très vite. Sinon, si on le laisse partir, il va faire un truc super. Est-ce que ça va être un produit vendable, je ne suis pas sûr. L’université n’a pas de produits, mais des prototypes, des démonstrations, des idées mises en œuvre, mais il faut aller vers le marché. Le marché, ce n’est pas le business de l’université directement.

C’est un métier génial, parce que tu passes ton temps avec des gens à moitié fous.

Christophe HaunoldHead of PaKKT de l’Université du Luxembourg

Peut-être que j’ai utilisé un mauvais terme: les porteurs de projets sont peut-être plus des étudiants que des chercheurs en science fondamentale?

«Ce sont deux types de personnes assez distincts! Notre priorité aujourd’hui est de soutenir les spin-off, les jeunes entreprises avec un fort potentiel qui vont être basées sur de la recherche universitaire. Quand un étudiant a une idée de création d’entreprise, c’est rarement le cas. Ça peut arriver, notamment avec les PhD, mais dans notre incubateur, orienté vers les étudiants, on a davantage de jeunes personnes qui arrivent avec plein d’idées et d’enthousiasme, à qui il faut donner un bon environnement pour les aider à développer cela, mais cela ne dépend pas forcément des ressources de l’université. Alors que dans le cadre d’un chercheur ou d’un jeune docteur, là, on a une autre démarche. Ils vont se servir des multiples ressources de l’université, du cerveau des autres chercheurs, des locaux ou des équipements, ou de la propriété intellectuelle, et c’est sur cela qu’on se concentre aujourd’hui.

Regarder des centres de recherche luxembourgeois, que ce soit le SnT ou le List, présenter régulièrement des innovations qui pourraient révolutionner certains secteurs a toujours invité à trouver des solutions pour les amener au monde de l’entreprise…

«Notre rôle est d’accompagner et de faire du scouting. Une partie importante des ‘tech transfer offices’ ou de mon service Partenariats et transferts de connaissances et de technologies est de très bien connaître les chercheurs, de les voir très souvent – en ce moment, c’est compliqué – et de faire cette identification de projets potentiels.

Nous avons dans notre équipe – qui va être amenée à grossir encore – à écouter un chercheur et à lui proposer des choses. As-tu pensé à tel type d’application? Es-tu en contact avec ce type d’entreprise? Il y a de jeunes chercheurs, en début de carrière, qui ont leurs propres idées et qui ont envie d’entreprendre, pas tous, et nous devons en plus faire de la détection de projets potentiellement intéressants. J’ai fait cela pendant 30 ans. C’est un métier génial, parce que tu passes ton temps avec des gens à moitié fous, mais c’est génial.

Un étudiant ou un chercheur met de l’énergie à développer une «proof of concept» de manière générale. Est-ce que ce n’est pas un peu dangereux ou compliqué de lui dire qu’une entreprise pense qu’il y a un marché, mais pas pour ça. Ça dénature son projet initial…

«Il faut savoir tuer les projets très tôt! Le chercheur qui s’enlise et qui finit par te dire – pas ici – que les clients sont des cons parce qu’ils ne comprennent rien, il n’y a rien de pire! Ça pose aussi la question d’une recherche en amont – et visionnaire – qui va conduire à des choses qui ne sont pas intéressantes de manière évidente aujourd’hui, mais qui seront les succès de demain. C’est un équilibre difficile à trouver!

Comment fait-on pour les repérer, ces projets-là?

«Pour le moment, comme on est en phase de croissance, l’Université est en train d’évoluer, elle est toute jeune. Toulouse, où j’étais, a 600 ans! Je dois d’abord tout regarder. Dans les sociétés d’accélération par où je suis passé, on s’était donné une petite règle interne sur le taux de projets qu’on acceptait, même si aujourd’hui on ne voyait aucun marché. C’est la partie compliquée. C’est le même enjeu pour les VC, qui décident à un moment donné de mettre de l’argent sur un projet qui n’est pas mûr.

À l’université, on ne peut pas se contenter de ne pas prendre de risque. Ça n’a pas de sens. Tout ça est une question de gestion du risque. Nous allons passer du temps, de l’énergie et des moyens, dont certains ne vont pas marcher, nous le savons. Notre objectif est de construire un environnement plus efficace et plus favorable pour ceux qui veulent y aller.

C’est une question d’équipe et de personnes. Pour monter une start-up ou une spin-off, c’est vraiment l’équipe qui compte. Il faut avoir l’idée, aller voir le marché, mais s’il n’y a pas une bonne équipe, soudée, ça ne marche pas. Il faut garder dans l’entonnoir de sélection une partie sur des projets potentiellement intéressants, même quand on n’en a pas la démonstration, et avancer petit à petit sur la maturité technique du marché – souvent longue – et de la production industrielle.

Qu’est-ce qui fait que des chercheurs ont des idées?

«Ça peut venir de besoins évidents, comme la santé. Quelqu’un qui travaille sur la problématique des vaccins, il n’y a pas besoin d’expliquer pourquoi. Nous avons quelques start-up, notamment du LCSB, sur de nouvelles approches à fin thérapeutique, c’est assez naturel. Les axes stratégiques de l’Université sont la digitalisation, la santé, le développement social et durable. Des sources de problèmes non résolus, comme celui de l’hydrogène. On a forcément des chercheurs confrontés à des problématiques sociétales et industrielles.

L’indicateur des brevets plaît beaucoup aux politiques et à plein de gens, parce qu’il est très pratique. Tu interroges les bases de données, tu trouves tout. Le problème, c’est qu’un brevet, ce n’est pas un marché.

Christophe HaunoldHead of PaKKT de l’Université du Luxembourg

Est-ce que les VC ne sont pas les mieux placés pour aider à la détection, eux qui reçoivent des dizaines de sollicitations qu’ils vont passer au crible de leurs propres filtres?

«Leur rôle est très important. J’ai discuté il n’y a pas très longtemps avec Expon Capital. Typiquement, dans le but de leur envoyer des porteurs de projets, qu’on discute ensemble de certains des projets et qu’ils me donnent leur avis. Un petit bémol: les investisseurs sont partagés par territoire, en gros. Certains arrivent en ‘early stage’, d’autres ont besoin de maturité. Il faut savoir parler à tout le monde et capter les signaux faibles des marchés. Par exemple, nous avons une spin-off portée par Tahereh Pazouki, je lui ai fait rencontrer les gens d’Expon très vite, qui ont déjà vu passer une centaine de projets sur l’enseignement des mathématiques, c’est précieux.

Est-ce qu’il y a une volonté de l’Université d’ajouter une sorte de cursus entrepreneurial, qui vienne compléter un cursus «classique»?

«Clairement oui, parce que la sensibilisation et la formation sont des axes clairs de mes priorités dans ce service et c’est une bonne pratique. Il y a déjà un master en entrepreneuriat, mais ce que je vois avec les porteurs de projets, c’est qu’on les aide à trouver des formations complémentaires. L’offre est assez importante, mais on pourrait peut-être mieux la structurer, même au niveau international, parce que toute l’offre n’est pas au Luxembourg. Notre incubateur offre aussi des formations à nos étudiants. Nous devons le rendre lisible et accessible, il y a un travail de clarification à effectuer. Ça pourrait tout à fait s’ajouter à leur cursus, la réflexion est en cours. Ils n’ont pas tous besoin des mêmes choses, mais c’est un chantier.

Est-ce que vous avez des KPI, des indicateurs qui permettent de mesurer votre travail ou son intérêt?

«C’est une problématique internationale, les ‘knowledge technology metrics’. Comment je démontre que j’ai atteint le succès? Je suis dans un groupe d’experts européens (il est vice-président de la première , ndlr). L’effet de ces transferts technologiques ne se mesure pas uniquement dans le périmètre de l’université. Il y a un impact économique, mais aussi sociétal. Il faut mettre en place des indicateurs selon les bonnes règles. Que peut-on raisonnablement mesurer? Et qu’est-ce qu’il serait intéressant de mesurer?

Nous discutons de ces sujets depuis plusieurs années, il y a plusieurs rankings dans ce monde-là. Typiquement, ce sont les brevets. L’indicateur des brevets plaît beaucoup aux politiques et à plein de gens, parce qu’il est très pratique. Quantitatif. Et public. Tu interroges les bases de données, tu trouves tout. Le problème, c’est qu’un brevet, ce n’est pas un marché. Donc tout ce que te mesures, c’est ta capacité à avoir de nouvelles idées, à mettre de l’argent pour les protéger, à délivrer des brevets grâce à l’Office des brevets, mais pas vraiment l’impact final. C’est pourtant un indicateur que tout le monde utilise au niveau international, alors nous nous en servons aussi.

Nous sommes en train de mettre en place de nouveaux indicateurs dans le cadre du prochain contrat quadriannuel avec l’État. Ils seront quantitatifs. On y trouvera des choses très classiques: combien de projets on fait avec des entreprises, combien de spin-offs on crée, combien de licences on signe... Ce qui est intéressant est que nous essayons d’intégrer des aspects qualitatifs. Si tu as une petite spin-off avec trois employés qui survit, mais pas plus et une spin-off dans le domaine des biotech qui est rachetée pour 200 millions de dollars et qui a recruté 40 personnes, dans ton tableau Excel, c’est une ligne dans les deux cas. Il faut d’autres indicateurs.

Il manque du storytelling, notamment sur la valorisation des sciences humaines et sociales, où on ne va pas forcément générer de grosses activités économiques, mais où on peut avoir des impacts importants sur l’éducation, la santé ou les politiques publiques. 

Quatre ans de contrat avec l’État, c’est trop court? Trop long? Adapté?

«Dans nos métiers, on a des temps longs. C’est le paradoxe: il faut être très rapide s’il y a une bonne idée à protéger, réactif avec les entreprises, mais une technologie protégée par un brevet a une durée de vie de vingt ans. Nous avons des processus qui, par nature, sont longs. Quatre ans, c’est une durée sur laquelle on va voir des résultats. Les écosystèmes d’innovation se mettent en place sur 15 ou 20 ans. Regardez le MIT, Israël, les biotech belges ou le système d’innovation français. Ce qui est très important, c’est le contexte. Il y a beaucoup de gens qui l’ont un peu fantasmé et qui disent: ‘Je suis allé voir Stanford, ils font des trucs super, on va faire la même chose.’ Ça ne marche pas. L’écosystème est très important. Et j’y mets aussi des entreprises. Quand on parle d’indicateurs, on doit aussi y mettre des indicateurs de l’environnement local. Est-ce que j’ai un écosystème favorable à la création de spin-off? Est-ce que j’ai accès à du financement? Est-ce que j’ai une volonté politique forte? Est-ce que j’ai un cadre légal? Là, on peut comparer au niveau international et définir des trajectoires. Moi, ce que j’aime au Luxembourg, c’est que la trajectoire est super positive et dynamique.

Quand le politique luxembourgeois parle de ‘start-up nation’, qu’est-ce que cela vous inspire?

«On est en construction. Mais avec une volonté et des moyens. Ça va! Il y a un très bon exemple: ce qu’on essaie de faire avec le Technoport, un outil stratégiquement important pour nous. Le ministère de l’Économie et le FNR ont publié . Nous y sommes associés par le LCSB et le LIH. Typiquement, le financement public permet de bâtir un incubateur stable, avec la bonne personne, c’est super. Le système n’est pas complet, il y a de bonnes idées pour le construire et le compléter et nous sommes dans cette phase-là. Tout est en naissance.

Est-ce que le Luxembourg a un écosystème industriel et d’entreprises suffisant pour accompagner les projets qui naissent à l’Université?

«La taille et la relative spécialisation font que toutes les disciplines scientifiques et que toutes les dynamiques de projets ne vont pas forcément trouver le tissu industriel complet en local. Il faut raisonner de préférence au niveau national, mais a minima dans la Grande Région. Nous avons un projet sur une eurorégion pour l’industrialisation avec le commissaire européen, la ministre de la Grande Région, la Chambre de commerce et toute une série de partenaires, comme l’Université de Lorraine. Dans un secteur comme les biotech, on a l’objectif de créer des entreprises au Luxembourg. Avec un pays comme la Belgique qui a bien développé ses bioparcs et qui a une grande expérience, il va y avoir de la concurrence et des complémentarités.

Ce n’est pas qu’une question de taille. À Toulouse, où j’étais, il n’y a pas non plus un tissu industriel si fort que ça. L’Occitanie souffre de ça. J’étais déjà dans un système où il y avait une université très développée, un des premiers centres universitaires en France et un tissu local incapable d’absorber tout. C’est l’occasion quand même de créer de l’activité en local. Il faudra choisir des priorités. On ne trouvera pas des débouchés dans les entreprises existantes dans tous les domaines. Est-ce que c’est vraiment un problème? On est aussi impliqué dans des projets européens. On peut avoir une incitation politique à travailler dans un mode local, chaque politique incite à le faire, mais il faut trouver d’autres partenariats.

Est-ce qu’au bout d’un an de cette période compliquée, vous parvenez à identifier des points positifs et négatifs de l’écosystème luxembourgeois, sur la base de vos 30 ans d’expérience dans la relation université-entreprises?

«Oui! Au Luxembourg, lorsqu’il y a une volonté politique, et c’est le cas, on a très vite tous les acteurs autour de la table. Je crois que j’ai rencontré tout le monde. L’autre point positif, c’est la trajectoire. L’Université a porté ses efforts au cours des premières années pour être visible et reconnue sur le plan international en recherche et maintenant, on peut enclencher parce qu’on a du contenu.

Le côté négatif, c’est ce virus. Dans un métier comme le mien, je suis très frustré. Je suis conscient que l’attraction des talents est un point central. L’université a un rôle à jouer là-dessus autant pour attirer des entreprises internationales que pour former les gens adaptés à ces entreprises. On a un enjeu aujourd’hui sur les ‘data sciences’ et nous sommes en train d’adapter nos formations à cela. J’ai l’impression que ça va beaucoup mieux qu’il y a 15 ans, quand je discute avec des gens…

Oui, si on regarde par rapport à il y a 15 ans. Mais si on regarde par rapport aux pays qui forment des milliers de ‘data scientists’ chaque année…

Ce que je vois, c’est que dans la réflexion stratégique, c’est pris en compte. Fournir des étudiants qualifiés et adaptés aux nouvelles technologies et à l’intérêt économique du Luxembourg.»

Cet entretien est issu de la newsletter hebdomadaire Paperjam Trendin’, à laquelle vous pouvez vous abonner .