Tom Baumert veut se concentrer sur les 90 premiers jours suivant sa prise de fonction pour prendre le pouls du secteur et de celles et ceux qui le font vibrer. (Photo: Andrés Lejona/Maison Moderne)

Tom Baumert veut se concentrer sur les 90 premiers jours suivant sa prise de fonction pour prendre le pouls du secteur et de celles et ceux qui le font vibrer. (Photo: Andrés Lejona/Maison Moderne)

Ce 1er décembre, Tom Baumert aura la lourde tâche de prendre le relais de Nicolas Henckes à la direction de la CLC. Celui qui s’est rapidement frayé une place dans les arcanes du patronat évoque ses priorités avec, en filigrane, une approche libérale assumée.

La crise a-t-elle eu un impact sur l’esprit d’entreprendre? 

Tom Baumert. – «L’impact a été très faible selon ce que j’ai perçu via la House of Entrepreneurship. Il est évident qu’en mars, avril et mai 2020, les demandes qui nous ont été adressées sont tombées à un niveau très bas, mais nous sommes entre-temps revenus au niveau de 2019, nous l’aurons même probablement dépassé d’ici à la fin de l’année. J’ajoute que la crise et les confinements ont aussi été des moments mis à profit par certains pour décider de devenir entrepreneur. Sans compter que nous n’avons pas encore connu cette vague de faillites d’entreprises tant redoutée en raison des confinements et de la pression qui était mise sur le cash des entreprises, en particulier dans l’événementiel, le tourisme et l’horeca. Nous devons toutefois rester prudents et surtout attentifs à l’égard des secteurs du tourisme et de l’événementiel.

Craignez-vous que les répercussions réelles de la crise arrivent d’ici quelques semaines, à mesure que les effets des aides du gouvernement touchent à leur fin? 

«Je suis davantage préoccupé par les restrictions sanitaires avec lesquelles les commerces doivent composer que par la fin des aides, en particulier dans l’horeca, qui risque de perdre une partie de la clientèle qui n’est pas vaccinée et qui ne voudra probablement pas effectuer un test payant à chaque fois. Il est inévitable que la poursuite des restrictions entraîne un impact, soit avec des fermetures, soit avec une refonte du business model de certaines entreprises. Le même constat vaut pour le secteur du voyage, et évidemment l’événementiel. Je reste néanmoins optimiste et je pense que, d’ici au printemps 2022, on devrait être sortis de la phase pandémique. Il reste six mois à affronter, mais avec des restrictions moins fortes que par le passé, les conséquences devraient être gérables.

Faut-il lever certaines restrictions sanitaires? 

C’est mon avis personnel, mais à un moment donné il faut dire que l’État doit laisser la liberté à chacun de se faire vacciner en connaissance de cause. La communication a déjà été effectuée sur le sujet, chacun dispose de suffisamment d’informations pour prendre une décision. Je suis vacciné par conviction, mais je sais que beaucoup le sont pour retrouver une liberté. Mais jusqu’à quel moment cette partie de la population va-t-elle accepter des restrictions? Si l’on motive les gens à se faire vacciner pour recouvrer leur liberté, autant leur redonner une liberté totale si on veut susciter leur adhésion lors des prochaines campagnes de vaccination.

Faut-il imaginer de nouvelles aides, plus ciblées, pour les secteurs que vous venez d’évoquer? 

«J’aurais plutôt tendance à ne pas cibler de nouvelles aides, car il y aura toujours des exceptions dans chaque secteur. Je plaiderais plutôt pour une nouvelle aide conditionnée à une perte de chiffre d’affaires à déterminer.

Donner aux petits indépendants la possibilité de toucher le chômage partiel au même titre que leurs équipes.

Tom Baumert

Que faut-il prévoir comme mesures pour favoriser la relance économique?

«Je pense tout d’abord à un signal qui serait adressé aux indépendants, en particulier aux petits indépendants, qui ont effectué des sacrifices durant la crise, à savoir leur donner la possibilité de toucher le chômage partiel au même titre que leurs équipes. L’inscription d’une telle possibilité dans la loi représenterait un pas important pour ces entrepreneuses et entrepreneurs. Si on parle de relance, je pense aussi spontanément aux bons d’hôtels qui ont déjà bien fonctionné. Pourquoi ne pas utiliser à nouveau ce procédé ou le décliner à d’autres desseins? Je pense aussi à des aides pour permettre aux entreprises de disposer de liquidités, par exemple via les instruments dont dispose la Société nationale de crédit et d’investissement (SNCI).

Faut-il limiter l’usage des chèques-repas aux restaurants pour les soutenir durant la période que nous traversons?

«Les supermarchés proposent aussi une partie de restauration. Je verrais dans cette décision une intervention de l’État assez forte et finalement assez difficile à mettre en place. 

Outre des aides toujours en mode relance, faut-il stimuler l’investissement des entreprises, là aussi en octroyant de nouveaux subsides? 

«La panoplie d’aides en la matière est déjà suffisamment large. Faut-il en inventer d’autres ou, au contraire, adapter celles déjà existantes si le besoin se fait sentir? Je plaide plutôt pour la seconde option. Je pense, en revanche, qu’il faut sensibiliser les entreprises à ces aides qui paraissent parfois nébuleuses quant aux formalités administratives à effectuer. Nous devons changer la perception à l’égard de ces aides tout en veillant à faire sauter des freins administratifs s’ils se présentent. Et surtout vulgariser l’ensemble du langage utilisé pour les démarches administratives préalables à l’obtention de ces aides. J’ajouterais que la mise en lumière des réalisations effectuées par les entrepreneurs grâce à ces aides doit être faite dans ce même sens.

Le «consommer local» a gagné en importance depuis le début de la crise. Est-ce un objectif pour la CLC d’encourager cette tendance?

«Notre rôle se situe à un niveau macroéconomique, tout d’abord avec une offre de consultance auprès des communes qui le souhaitent. Nous proposons en effet 20 heures de conseil gratuit aux communes dans le cadre du Pakt Pro Commerce (mis en place par la CLC, le ministère de l’Économie direction générale [DG] des Classes moyennes et la Chambre de commerce, pour répondre à l’évolution des habitudes de consommation, ndlr) afin de leur permettre de développer des stratégies commerciales ad hoc. L’autre levier en la matière est la plateforme Letzshop, dont la CLC est l’une des parties prenantes depuis sa création, également dans le cadre du Pakt Pro Commerce.

Nous avons pour ambition d’établir l’an prochain un rapport détaillé du paysage commercial national.

Tom Baumert

La CLC a aussi été à l’origine de la création du cadastre commercial, pensé comme un outil qui permet de disposer d’une vue actualisée et précise du paysage commercial national. Quels enseignements vous livre actuellement ce cadastre en ligne? 

«Le cadastre, une initiative commune de la CLC, du ministère de l’Économie DG des Classes moyennes et de la Chambre de commerce, permet de faire des recommandations sur la base du concret, en fonction de la situation dans une localité. Il nous offrira surtout la possibilité d’ajuster les stratégies commerciales des communes en fonction du retour mesurable sur le terrain, en termes de passage par exemple. L’ambition est d’être dans le concret en mesurant autant que possible les données relatives à l’activité commerciale, mais aussi en s’interrogeant sur des éléments comme la sécurité ou encore l’éclairage public, qui concourent à une atmosphère commerciale agréable. Le cadastre nous permettra d’ailleurs de faire le bilan de l’évolution de l’activité commerciale au sortir de la crise. Nous avons pour ambition d’établir l’an prochain un rapport détaillé du paysage commercial national.

Qu’en est-il des grandes surfaces? Doit-on reconsidérer leur développement afin d’éviter une trop grande concurrence à l’égard des plus petits commerces? 

«Le cadastre commercial permet de tout mesurer, mais je ne considère pas les grandes surfaces comme une concurrence à l’égard des petits commerces. Chacun propose une expérience différente à la clientèle, du centre-ville aux périphéries. Tout nouveau projet de grand magasin attire le scepticisme, et ce depuis que Cactus a ouvert sa première grande surface à Bereldange en 1967. Or, je ne connais pas encore de grande surface qui ait fermé au Luxembourg. Il faut laisser faire le marché. À l’État de définir un cadre, au marché d’ajuster l’offre en fonction de la demande des consommateurs. Ceci vaut pour les types de commerces, mais aussi les types de produits.

Comment percevez-vous les investissements d’un géant technologique comme Amazon dans le commerce de détail aux États-Unis? 

«Je ne suis pas surpris. Un géant comme Amazon va essayer de diversifier son offre. Nous observons déjà actuellement différents types de commerces qui vont cohabiter, certains sans caissières par exemple, pour des raisons de business model, d’autres qui se concentrent sur un modèle avec un conseil plus qualitatif. La digitalisation a déjà accéléré – et va encore, dans le futur, accélérer – ces tendances. Je crois à un mix commercial avec différentes options pour des clients qui, d’une manière générale, utilisent de plus en plus différents canaux pour faire leurs achats. Nous l’avons vu durant la crise avec l’utilisation massive du commerce en ligne, ce qui doit nous pousser à continuer à accompagner les commerçants locaux dans leur digitalisation via Letzshop. 

Je suis à nouveau contre une intervention étatique qui rendrait obligatoire le télétravail.

Tom Baumert

L’ouverture dominicale des commerces reste un combat pour la CLC?

«Oui. Le consommateur est demandeur, les entreprises également, et je pense qu’une partie des employés sont prêts aussi. 

Quel sera, à terme, l’impact du télétravail sur le commerce local?

«Je dois d’abord noter que le télétravail va rester profondément ancré dans les habitudes de nombreuses entreprises à qui il revient de trouver la meilleure manière de s’organiser. Je suis à nouveau contre une intervention étatique qui rendrait obligatoire le télétravail. Quant à l’impact sur le commerce, nous allons certainement voir la mise en place d’un nouvel équilibre au niveau de la fréquentation des villes par exemple, entre les différentes régions du pays. Les commerçants trouveront des solutions, j’en suis convaincu. C’est aussi pour cette raison que j’aime travailler auprès d’eux: ils sont orientés vers des solutions et sont souvent plus engagés qu’on ne le pense dans les bonnes pratiques et les normes environnementales. La recherche du profit à tout prix n’est pas, et de loin, leur principale raison d’être.

Vous deviendrez, ce 1er décembre, directeur de la CLC. Comment vous sentez-vous à l’approche de ce nouveau chapitre de votre carrière?

«J’ai le sentiment du devoir accompli après huit années passées à la Chambre de commerce, dont six à la tête de la House of Entrepreneurship, que nous avons développée en quelque sorte comme une start-up. Nous avons débuté avec neuf personnes, pour compter aujourd’hui 48 collaborateurs. Cette évolution, à laquelle j’ajoute l’utilité particulière de la House of Entrepreneurship durant la crise, illustre la pertinence de cet organe créé par la Chambre de commerce. 

Mais pourquoi vous orienter vers la CLC? 

«J’avais l’impression d’être arrivé à la fin de ma mission, mais je voulais rester dans le giron du patronat et mener un travail que je définirais plus comme ‘advocacy’ que comme lobbyiste. Je n’avais pas pour intention primaire de postuler, mais, après réflexion, je me suis dit que l’enjeu était intéressant. Il m’a d’ailleurs paru important de rencontrer les membres du bureau, que je connaissais, bien entendu, afin de comprendre leur vision et leurs ambitions. Il est indispensable que la symbiose soit parfaite, notamment entre le président (Fernand Ernster, ndlr) et le directeur. Je me sens soutenu au début d’une mission où, contrairement au secteur privé, le résultat du travail est parfois difficile à mesurer.

Vous êtes jeune – 36 ans –, vous avez gravi rapidement les échelons au sein de l’organigramme de la Chambre de commerce… Quelle est votre «recette magique» pour conduire ce parcours au pas de charge? 

«J’avoue ne pas la connaître. Je travaille beaucoup. Je m’engage beaucoup. J’écoute aussi beaucoup et je suis curieux. J’essaie de structurer mes pensées autour des clients que l’on sert, ceux de la House of Entrepreneurship jusqu’à présent. À partir du 1er décembre, ce seront les 1.700 membres (entreprises et fédérations) de la CLC.

Votre parcours vous a permis de vous rapprocher aussi des entrepreneurs, de leur façon de penser…

«Oui, et ma formation dans une école de commerce (Solvay, ndlr) concourt aussi à cette proximité. Je suis pour une économie ouverte, mon approche est libérale. J’accorde aussi de l’importance à la place et la perception de l’entrepreneur au sein de la société tout entière, en m’inspirant d’exemples étrangers intéressants, comme le Canada, où l’entrepreneuriat est beaucoup plus valorisé. En Europe, c’est un peu moins évident.

Le chemin est encore long pour que les entrepreneurs soient pleinement intégrés au débat public et politique.

Tom Baumert

Et au Luxembourg, pensez-vous que cette perception se soit améliorée ces dernières années, sous l’effet, par exemple, de l’initiative start-up nation? 

«Oui, l’esprit d’entreprendre s’est amélioré, comme le montre le Global Entrepreneurship Index, mais le chemin est encore long pour que les entrepreneurs soient pleinement intégrés au débat public et politique. Certaines prises de parole de responsables politiques durant la crise ont montré que les deux mondes se côtoient sans forcément toujours se comprendre. Nous devons poursuivre la valorisation de l’entrepreneuriat.

En s’adressant notamment aux plus jeunes, dans les écoles? 

«Les Jonk Entrepreneuren font déjà beaucoup pour présenter la vie des entreprises aux élèves. Maintenant que nous disposons d’un beau vivier de start-up, nous devons aussi les utiliser pour raconter leur histoire aux plus jeunes afin de contribuer à générer de l’intérêt pour l’entrepreneuriat. Cette démarche de sensibilisation, quasi culturelle, prend du temps, mais elle peut porter de jolis fruits.

On parle beaucoup de start-up, autrement dit d’entreprises nées autour de la technologie au sens large, mais peut-être moins des commerces qui se montent. Or, comme l’avaient dit en janvier 2018 les présidents de la Chambre des métiers – Tom Oberweis – et de la Fédération des artisans – à l’époque Michel Reckinger, le Luxembourg est aussi une «PME nation»…

«On considère souvent comme plus ‘sexy’ les start-up technologiques. C’est une tendance mondiale. Or, l’on constate, à la House of Entrepreneurship, que 99% des projets de création d’entreprise ne présentent pas le profil de la start-up. La grande majorité des entrepreneurs le sont donc dans des secteurs qui existent depuis longtemps, en l’occurrence dans le commerce et l’artisanat. Eux aussi innovent à leur manière. Il est donc important de poursuivre l’accompagnement des porteurs de projets de création de PME, qui demeurent la colonne vertébrale de notre économie.

Vous inscrivez-vous dans une forme de continuité avec votre prédécesseur, Nicolas Henckes? 

«Nicolas a fait un formidable travail de refonte de la CLC, de son organisation et de sa proposition de service à destination de ses membres. Je vais bien entendu m’inscrire dans la continuité de cette refonte tout en imprimant mon propre style, peut-être plus orienté vers la recherche du compromis, que je ne considère pas en soi comme un échec.

Comptez-vous, comme votre prédécesseur, rester environ cinq ans à la direction de la CLC? 

«Je suis impatient de commercer à travailler à la CLC, d’entrer en contact avec les membres et d’avoir les premiers contacts avec l’équipe. Je me concentre sur les 90 premiers jours de mon nouveau job. Non, je ne vais pas me fixer un quelconque maximum à ce moment.  

Quelles sont justement vos priorités pour commencer ce nouveau travail?

«Je vais tout d’abord rendre visite à un maximum de membres pour bien comprendre la situation sur le terrain. J’ai, bien entendu, déjà eu l’occasion de parler avec un certain nombre d’entre eux depuis l’annonce de ma prise de fonctions. Je n’arrive pas non plus tout à fait en terrain inconnu. Ces prises de contact me font dire que, malgré la crise, l’état d’esprit est très encourageant. J’ajoute que je voudrais recueillir l’adhésion de l’équipe de permanents et de nos membres avant de lancer une vision pour les prochaines années, une vision qui ne sera pas que ma vision, mais bien une vision collective, condition sine qua non pour qu’elle soit suivie de résultats. 

Quelle sera la clé pour négocier avec le gouvernement?

«La représentativité et le support de nos 1.700 membres confèrent un poids non négligeable durant les négociations.

Quelle sera la clé pour négocier avec les syndicats?

«La même clé.»

Cet article a été rédigé pour l’écembre   parue le 27 novembre 2021.

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