Où en est-on concernant la présence des femmes dans les CA du secteur privé au Luxembourg? Est-elle, comme cela était attendu, en croissance?
— «Il y a une dizaine d’années, la progression du nombre de femmes dans les conseils d’administration était plus marquée qu’elle ne l’est aujourd’hui. Il est vrai qu’on venait de loin, il y avait très peu de femmes dans les conseils jusque-là. Il y a alors eu une prise de conscience et beaucoup de conseils d’administration se sont dits qu’ils devaient s’adjoindre une femme, je dis bien une. Aujourd’hui, j’ai l’impression que cela stagne quelque peu.
La publication de l’EBA en 2020 montrait que le Luxembourg était plutôt en fin de course pour ce qui concerne la diversité hommes/femmes dans les conseils d’administration et les organes de direction des banques.
Comme les chiffres le démontrent…
«Les récentes études que nous avons faites à l’ILA (Institut luxembourgeois des administrateurs) le montrent. La ILA-KPMG Rémunération Survey de 2022 fait état de 34% de femmes dans les CA ayant participé au sondage – tout en sachant que les sociétés qui fournissent ces informations sur une base volontaire ne sont normalement pas les mauvais élèves. Il est donc probable que le chiffre global soit bien inférieur à cet échantillon. Dans le secteur des fonds d’investissement, notre ILA-PwC Fund Governance Survey met en évidence que la progression semble quasiment à l’arrêt: si nous pouvions noter une amélioration de 6% entre 2016 et 2020 (pour passer de 16% de femmes dans les conseils d’administration de fonds et sociétés de gestion à 22%), ce chiffre est resté à 22% entre 2020 et 2023. À ma connaissance, les chiffres dans les banques et sociétés d’assurance ne sont pas meilleurs: la publication de l’EBA en 2020 montrait que le Luxembourg était plutôt en fin de course pour ce qui concerne la diversité hommes/femmes dans les conseils d’administration et les organes de direction des banques.
Sentez-vous néanmoins une évolution en ce qui concerne la considération des genres et de leurs apports?
«Mon impression est que les CA qui ont nommé des femmes réalisent la valeur que cette diversité leur apporte. C’est triste que cette conviction n’existait pas avant, et que l’idée était plutôt qu’il fallait diversifier pour diversifier, mais pas nécessairement que cela allait être bénéfique pour le conseil et la société. À mon avis, cette manière de voir les choses est différente aujourd’hui, et il y a une compréhension globale de la valeur ajoutée qu’apporte un CA diversifié. Néanmoins, la progression semble stagner.
C’est le cas pour les postes exécutifs…
«Une tendance que nous observons est que les femmes sont souvent recherchées pour les postes d’administrateurs non-exécutifs, ce qu’on appelle les “administrateurs indépendants”. Ces personnes sont extérieures aux sociétés dont elles deviennent administrateurs. Les différentes statistiques montrent en effet que les administrateurs exécutifs, donc ceux qui viennent de l’intérieur du groupe en question, sont encore plus souvent des hommes que pour les administrateurs externes, indépendants. On dirait donc qu’il y a un effort qui est fait pour trouver des administratrices externes, à défaut d’en avoir en interne dans les groupes.
Dans nos événements et formations, nous comptions en 2022 44% de femmes, contre 40% en 2021 (…) Cela démontre à mon avis que les femmes cherchent à se former sur les sujets de gouvernance, et à interagir avec d’autres personnes actives dans ce domaine.
L’ILA compte-il plus de candidates en formation?
«Selon les informations dont nous disposons, les femmes représentent environ 33% des membres à l’ILA. En revanche, dans nos événements et formations, nous comptions en 2022 44% de femmes, contre 40% en 2021 ce qui est une belle progression. Cela démontre à mon avis que les femmes cherchent à se former sur les sujets de gouvernance, et à interagir avec d’autres personnes actives dans ce domaine. C’est positif et devrait rétorquer l’affirmation erronée que j’entends encore toujours qu’il n’y a pas assez de femmes compétentes sur le marché.
Le plafond de cette demeure une réalité pour les femmes en ce qui concerne certaines fonctions?
«Ces dernières années, l’effort de diversification s’est beaucoup porté sur les femmes dans les conseils d’administration. Il y a encore beaucoup de progrès à faire à ce niveau. Mais il faut aussi travailler à diversifier les directions dans les entreprises. Il y a peu de statistiques à cet égard, mais ce que je vois dans les sociétés, ce sont des chiffres inférieurs à ce que nous avons au niveau du CA: les femmes sont très peu représentées dans les postes de direction. Alors que l’équilibre est normalement donné au niveau inférieur de la hiérarchie. Il y a donc un travail sérieux à faire pour que cet équilibre soit maintenu quand les personnes progressent dans leur carrière. J’admets que cela peut prendre du temps, mais il faut surtout une réelle volonté des dirigeants en place pour faire changer les choses.
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Les «role models» ont-elles toujours un rôle important?
«Nous avons tous besoin de “roles models”, qu’ils soient hommes ou femmes. Que ce soit un/une personne proche ou un leader historique ou un athlète de haut niveau. Se laisser inspirer par quelqu’un qui a eu du succès est à mon avis très positif, motivant et utile.
C’est vrai que les femmes qui aspirent à siéger dans des CA cherchent souvent à s’adjoindre une sorte de mentor pour les accompagner, les encourager, les guider. Quand je suis sollicitée pour cela, j’aime cette relation de partage réciproque. J’ai souvent l’impression que j’apprends autant de la personne qui m’a sollicitée que ce que je lui apporte.»