Le sujet du télétravail des frontaliers est brûlant. Au-delà des dérogations accordées en raison du Covid-19, la généralisation de cette pratique dépend de la conclusion d’accords entre les pays concernés. Pensez-vous qu’une solution puisse être trouvée?
. – «Il faut rappeler que le télétravail en tant que tel n’est pas prévu dans les conventions de double imposition qui existent actuellement. Au départ, le nombre de jours maximal au cours desquels il est autorisé de travailler en dehors du Luxembourg avait été fixé pour couvrir le travail en détachement, qui est fréquent dans certaines entreprises.
Pour élargir les possibilités de télétravail pour les frontaliers, il faudra donc plus qu’un accord fiscal. Des aspects liés à la protection des données, à la sécurité sociale, etc. devront également être pris en compte. On ne pourra pas se contenter de réviser un texte existant, et cela ne sera donc pas simple. Cela dit, selon moi, offrir la possibilité aux frontaliers de recourir au télétravail une fois par semaine me semble être un bon compromis entre l’augmentation de la qualité de vie de ces travailleurs et le maintien d’une certaine culture d’entreprise.
Les frontaliers sont parfois montrés du doigt pour leur impact sur la mobilité au Luxembourg. La solution doit-elle venir du logement plus abordable pour faire en sorte que des frontaliers deviennent résidents?
«Il est clair qu’il y a un problème par rapport aux logements au Luxembourg. Ceci étant dit, même si des logements étaient disponibles pour les frontaliers, je ne suis pas convaincue qu’ils voudraient tous habiter au Grand-Duché pour autant. J’ai, par exemple, des cousins qui vivent en Lorraine et qui travaillent au Luxembourg. Mais ils ne voudraient pas y habiter car ils sont attachés à leur région. Je suis convaincue qu’il y a des progrès à faire, notamment en proposant plus de logements à bon marché. Mais, pour régler ce problème de mobilité, il faudra aussi recourir à plus de coworking, plus de covoiturage et plus de télétravail.
Le nombre de frontaliers actifs au Luxembourg ne cesse d’évoluer, et la crise que nous vivons a démontré que le Grand-Duché ne pouvait pas se passer d’eux. Faut-il parler de dépendance?
«Nous sommes tous dépendants les uns des autres au sein de la Grande Région. Le Luxembourg a besoin des plus de 200.000 frontaliers qui viennent chaque jour travailler dans le pays. Et, de leur côté, les régions voisines savent que, sans le Grand-Duché, leur taux de chômage serait bien plus important. Il s’agit donc d’une relation qui va dans les deux sens.
Selon moi, la pandémie a surtout contribué à faire prendre conscience à chacun des citoyens de la Grande Région de la chance que nous avons de vivre dans cet espace très ouvert. Nous traversons chaque jour plusieurs fois la frontière de façon fluide et, avec la crise, ce privilège nous a momentanément été confisqué. Cela fait réfléchir.
La concentration des frontaliers dans certains secteurs d’activité a souvent été soulignée. Avec la crise du Covid-19, on a notamment craint que le secteur des soins de santé ne manque de personnel au pire moment. Comment remédier à cette situation?
«Nous avons un défi important à relever en ce qui concerne l’éducation. Nous devons continuer à mettre en place les filières qui nous permettront de répondre à la demande des secteurs porteurs ou en pénurie de personnel pour éviter ce genre de problème. Cela dit, actuellement, les frontaliers représentent 46% de la population active dans le pays. Nous ne pouvons pas nous passer d’eux.
Certaines communes frontalières belges perçoivent une compensation financière du Luxembourg au titre de l’impôt sur les personnes physiques perçu dans le pays de travail. Des élus de France ou d’Allemagne réclament le même traitement.
Que pensez-vous de ce débat?
«L’accord avec les communes belges est ancien et lié à un certain contexte historique. Il n’est pas transposable, en l’état, à d’autres régions voisines. Avec la France, nous avons toutefois convenu d’investir des sommes importantes dans l’infrastructure routière – notamment la réfection de l’axe Metz-Luxembourg – et ferroviaire, avec une augmentation de la cadence des trains. Et la mobilité n’est qu’un des aspects sur lesquels nous souhaitons travailler.
Alors que la Grande Région est un réservoir historique de main-d’œuvre pour le Luxembourg, certaines compétences pointues, notamment dans le secteur de l’informatique, ne peuvent plus y être trouvées en assez grand nombre. La source est-elle en train de se tarir?
«Le Luxembourg a effectivement besoin d’aller chercher des talents spécifiques plus loin, mais c’est aussi le cas de toute la Grande Région. Dans ce contexte, il est plus important que jamais de promouvoir la région et ses principaux atouts que sont la qualité de vie, les espaces naturels et le caractère international.
La Grande Région est ‘sexy’, mais il faut juste parvenir à le faire savoir. D’un autre côté, il est également impératif, comme nous l’avons déjà évoqué, de sensibiliser les jeunes aux besoins du marché du travail. Nous devons notamment investir dans les filières permettant de développer les compétences numériques.
S’il fallait rappeler à d’éventuels candidats quels sont les atouts du Luxembourg au sein de la Grande Région, à quoi feriez-vous référence?
«Le Luxembourg est une véritable métropole au cœur de la Grande Région. Elle présente tous les atouts d’une capitale européenne tout en offrant un cadre de vie attrayant. Il est possible d’y faire carrière dans un grand nombre de secteurs, et les chemins pour y parvenir sont plus courts qu’ailleurs. En outre, les salaires ne sont pas non plus anodins et contribuent à attirer certains profils dans le pays.»
Cet article a été rédigé pour le supplément «frontaliers» de l’édition magazine de qui est parue le 24 septembre 2020.
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